Ce 12 juillet 2022, pour la première fois, un trimaran Ultim est entré dans le bassin Vauban à Saint-Malo. Pendant quelques minutes, tout le monde a retenu son souffle quand Actual, large de 23 mètres s’est glissé dans l’écluse de 25 mètres. Mais le pari est réussi, les Ultims pourront être présents dans les bassins pour le départ de la prochaine Route du Rhum.
Soudain, autour de l’écluse, le silence se fait. On n’entend plus que les frottements des pare-battages contre la coque et le craquement des haussières.
Quelques instants plus tôt, sur la mer, le trimaran paraissait immense. Devant le port il est gigantesque. L’écluse mesure 25 mètres de large, il en fait 23.
Sur le site Internet du Port de Saint-Malo, il est écrit noir sur blanc que seuls les bateaux de 21 mètres de large peuvent passer l’écluse et rentrer dans les bassins.
Jusqu’à ce jour, personne n’avait tenté de faire passer un de ces géants des mers.
Un marin capable de faire passer un chat dans un trou de souris
Depuis leur arrivée dans la course à partir de 2010, les Ultims, ces grands trimarans capables de frôler des vitesses de 50 nœuds étaient donc cantonnés dans l’avant-port, loin du village de la Route du Rhum, de la fête, des regards des spectateurs et donc dans un lieu bien moins intéressant pour les sponsors.
Il y a deux ans, les organisateurs de la Route du Rhum ont donc imaginé de faire rentrer les bateaux dans le bassin. Sur le papier, 23 mètres ça rentre dans 25 mètres, mais dans la réalité d’un navigateur qui se lance dans la course transatlantique, il y a la houle, le vent, les courants.
Un trimaran peut traverser les océans, affronter les vagues et le gros temps, mais une coque en carbone n’aurait aucune chance face à un quai en béton.
A quatre mois de l’épreuve, Yves Le Blevec a préféré faire le test pour vérifier. "Nous sommes dans un rétro-planning, et là nous sommes dans l’entonnoir avant le départ, cette phase de l’entrée du bassin ça ne doit pas être un problème et surtout ça ne doit pas être un problème qui arriverait au dernier moment."
La date et l’heure ont donc été fixées de longue date pour correspondre aux conditions de marée de la fin octobre. Toute l’équipe d’Actual Ultim 3 est sur le pont.
Le temps suspend son vol
Des pare-battages ont été installés le long de la coque et des zodiaques poussent doucement l’immense navire tandis que les hommes le tirent. Le trimaran se glisse entre les portes.
"Il y a un peu de gras", sourit le skipper Yves Le Blevec. Un petit mètre de chaque côté, ça ne fait pas beaucoup de gras, mais ça passe. Le pari est réussi.
Tous savent que la mer d’automne n’aura pas les mêmes couleurs que celles de juillet. "Là, on avait un bateau, en octobre, il y en aura 138 à faire passer dans le sas, plus de pression, du public, ce ne sera pas tout à fait pareil", reconnait Nicolas Belloir, adjoint au maire de Saint-Malo en charge de la Route du Rhum.
"Les skippers signent tous des deux mains pour être dans le bassin, explique Yves Le Blevec. Ici, là, il y aura tous les autres concurrents, là, le village. Pour nous, pour les sponsors, pour les spectateurs, c’est important d’être là."
Une chance pour tout le monde
"C’est quand on est devant eux, qu’on se rend compte de leur taille, même si je ne suis pas sûr que l’on puisse imaginer ce que c’est de traverser des océans seul sur un bateau comme ça, ces Ultims, c’est le rêve", confirme Joseph Bizard, directeur général OC Sport Pen Duick - Organisateur de la Route du Rhum Destination Guadeloupe.
Sur les quais, des membres des teams des autres Ultims inscrits pour la Route du Rhum ont suivi l'exploit d'Actual. Tous les petits détails de son périple dans l'écluse vont être étudiés, décortiqués, analysés. Quand les bateaux passeront l'écluse, ils ne seront qu'à quelques jours du départ et le moindre incident serait irréversible.
"Mais vous savez, par rapport au reste de la course, cette écluse, finalement, ce n'est pas grand chose", relativise Yves Le Blevec.
"La Route du Rhum, c’est un rêve de gosse., raconte Yves Le Blevec. J’avais 13 ans quand la première est partie, je suivais dans les revues spécialisées, c’était la première transat français. C’est toute ma vie de marin, toute ma vie de navigateur. Et aujourd’hui, faire la Route du Rhum avec un bateau qui est en mesure de gagner, je ne peux pas en dire plus, c’est…" Le skipper laisse son regard filer vers le large. En 2014, il avait terminé quatrième de l’épreuve mythique.
A la fin du mois d’octobre, Yves Le Blevec refranchira donc l’écluse pour rentrer dans le bassin de Saint-Malo d'abord et vivre à fond le village départ. Puis début novembre, il la passera dans l’autre sens pour partir vers le large et la grande aventure de la Route du Rhum.