Cela fait 175 ans que le célèbre écrivain François-René de Chateaubriand a été inhumé sur le Grand Bé, cet îlot de Saint-Malo qui n'est accessible à pied qu'à marée basse depuis la plage de Bon Secours, au pied d'Intra Muros. Une localisation privilégiée et dangereuse ! Avec l'érosion, le sépulcre de l'écrivain, menace de tomber à l'eau. Faut-il laisser faire la nature ? Ou bien déplacer le monument ? La mairie a engagé un diagnostic.
"Il repose seul face à la mer. Telle était sa volonté". Cheveux au vent, Alexandra Durand termine son circuit touristique dédié à François-René de Chateaubriand par un endroit clé : le tombeau de l'écrivain !
Situé à l'extrémité nord de l'îlot du Grand Bé, l'emplacement est pour le moins insolite. "Il s'est battu de son vivant pour avoir ce privilège !" poursuit la guide-conférencière face à la quarantaine de visiteurs.
Ce jeudi 16 novembre est une journée particulière : "Le 16 novembre 1841, François-René de Chateaubriand achevait la rédaction de la première version des Mémoires d'outre-tombe" explique la mairie de Saint-Malo qui a décidé de profiter de cette date symbolique pour lui rendre hommage. Cet anniversaire, c'est l'occasion pour la cité corsaire d'organiser une journée spéciale avec visite guidée, lecture de pièce et table ronde.
"Pas de péril imminent"
C'est que le célèbre écrivain est un "bijou" pour la cité malouine. Né dans intra-muros, l'auteur pilier du romantismer est un "incontournable" : "il fait partie de nos illustres !" confirme Isabelle Dupuy, l'adjointe chargée de la culture à la Ville de Saint-Malo.
Alors quand les médias s'agitent autour de son tombeau qui menace de tomber à cause de l'érosion, la cité corsaire rassure : "Il n'y a pas de péril imminent, et à vrai dire, la question de l’érosion existe depuis le début !" poursuit l'adjointe.
Si la question se pose, c'est qu'un des pieds de la lisse de protection qui entoure le tombeau commence sérieusement à flirter avec le vide. "En montant par le chemin, je me suis dit que la tombe ne va pas rester éternellement là", constate en effet Véronique Callot, touriste francilienne venue admirer la tombe de ce pionnier du romantisme (1768-1848), qui jouit d'un panorama sublime sur les flots de la côte d'Émeraude et la cité corsaire.
Désormais impossible d'accéder par l'arrière du tombeau
"Le côté droit de la tombe est au bord de la falaise alors qu'il y a 15/20 ans on pouvait faire le tour de la tombe à pied", soupire le maire Gilles Lurton, 50 ans.
Michel Désir, administrateur de la société de Chateaubriand, est également inquiet. "À ce jour, il m'est désormais impossible d'accéder par l'arrière du tombeau pour fixer sur la croix la gerbe de blé et de fleurs des champs, pose traditionnelle du 4 juillet, anniversaire de la mort de l'écrivain".
"Il y a deux ans, je pouvais me glisser avec précaution. L'année dernière je pouvais passer un pied en me tenant à la grille. Cette année, j'ai escaladé la grille. L'année prochaine ?", s'interroge-t-il.
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Une tombe presque anonyme
Devant la tombe, protégée par un fil de sécurité, de nombreux touristes étrangers passent sans savoir qu'ils ont sous leurs yeux la dernière demeure de l'un des plus grands écrivains français, car ni date ni nom ne figurent sur cette dalle de granite anonyme surmontée d'une imposante croix.
Seule une plaque, apposée sur un muret à proximité, rend hommage à l'auteur des "Mémoires d'outre-tombe" avec ces mots: "Un grand écrivain français a voulu reposer ici pour n'entendre que la mer et le vent. Passant respecte sa dernière volonté".
Peut-on imaginer la dépouille de Chateaubriand loin du Grand Bé ?
Si le risque d'effondrement n'est pas imminent, la mairie, propriétaire de la tombe, a décidé de réaliser une étude. "On a pris la décision de lancer une mission de diagnostic et après on demandera l'avis de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac)", explique Gilles Lurton, précisant que les résultats devraient être connus en 2024.
Peut-on envisager de déplacer un jour la tombe et la dépouille de L'enchanteur ? Et peut-on l'imaginer loin du Grand Bé ?
"Ailleurs que sur le Grand Bé, ça me paraît compliqué. Pour moi, s'il faut la déplacer, il faut la reculer, mais je m'avance beaucoup en disant cela: si des fois on devait déplacer la tombe ça devient un événement national".
Gilles Lurton, maire de Saint-Malo
Venus du Finistère, Cathy et Antoine, la cinquantaine, ne sont eux pas étonnés de l'aspect de la tombe et du péril qui la guette. "Avec les coups de tabac, la côte s'effrite de plus en plus. Sur le GR 34 (le sentier qui parcourt la côte bretonne, ndlr), il y a de plus en plus de portions fermées. Le trait de côte change, on s'habitue à l'érosion en Bretagne et on le voit même ici", se lamente Cathy.
Qu'aurait souhaité Chateaubriand lui-même?
Grand amateur du Romantisme et du XIXe siècle, Frédéric, 36 ans, Parisien en week-end à Saint-Malo, se fait lui philosophe. "Je me demande ce que Chateaubriand aurait souhaité... Que le tombeau se laisse détruire par les phénomènes naturels ? Car pour les romantiques, l'Homme est au centre d'une nature plus grande que lui et qui peut le terrasser".
Avec AFP et B. Le Vaillant