Le cargo russe Vladimir-Latyshev est immobilisé dans le port de Saint-Malo en application des mesures européennes de gel des avoirs russes. Ces sanctions en représailles à l'invasion de l'Ukraine sont contestées par la société propriétaire, arguant qu'elle ne figurait pas sur la liste noire.
La société qui exploite en leasing le cargo russe bloqué dans le port de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) a demandé au tribunal administratif de Rennes, ce mercredi 25 mai 2022, de se pencher sur la "nullité" des procès-verbaux des trois douaniers qui avaient servi de base légale à l'immobilisation de son navire.
Dans ce dossier, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Malo avait déjà examiné la requête de la société Alpha LLC et s'était demandé si ce type de dossier ne relevait pas plutôt de la "compétence" juridique de ses homologues de la justice administrative. Il avait donc transmis une "question préjudicielle" en ce sens au tribunal administratif de Rennes.
Pour rappel, le cargo Vladimir-Latyshev appartient à la société GTLK et est bloqué en vertu des mesures européennes de "gel" des avoirs russes décidées après l'attaque de l'Ukraine par la Russie. La société Alpha LLC, qui exploite le bateau, veut faire condamner l'Etat français à lui verser 524 000 € de dédommagements pour cette immobilisation qu'elle juge "illégale".
Les conséquences de la guerre en Ukraine s'invitent partout, y compris devant vous.
Rapporteur public
Elle soutient en effet que la société propriétaire du cargo ne figurait pas sur la liste des personnes physiques ou morales blacklistées par l'Union européenne (UE) à la date de la décision attaquée. Les douanes, pour leur part, considèrent que la société GTLK était malgré tout sous le contrôle du ministre russe des Transports.
"Les conséquences de la guerre en Ukraine s'invitent partout, y compris devant vous", a donc commencé par dire le rapporteur public aux trois juges administratifs rennais, ce mercredi 25 mai 2022.
Le magistrat, dont les avis sont souvent suivis par les juges, a ensuite confirmé que les deux rapports des douaniers étaient des "décisions administratives, même s'ils portent le nom de procès-verbaux". La justice administrative est donc bel et bien compétente pour statuer sur leur légalité, et encore plus celle du tribunal administratif de Rennes.
Une application des mesures européennes
"Il en va d'un souci de bonne administration de la justice : si ce dossier était renvoyé à Melun, comme le demande la société, quel serait l'intérêt de cette procédure d'urgence ?", s'est en effet interrogé le rapporteur public à ce sujet. "Cela reviendrait à repousser de plusieurs jours, voire de quelques semaines, la solution qui serait apportée au litige."
L'administration française des douanes était par ailleurs légalement tenue d'appliquer les mesures européennes de gel des fonds et biens russes. "Les procès-verbaux des douaniers n'avaient pas pour objet de réprimer des infractions pénales ou douanières, mais simplement d'assurer l'application de ces mesures européennes", a encore insisté le rapporteur public.
La France avait bel et bien des marges de manœuvre par rapport aux mesures européennes
Avocat de l'exploitant du cargo Vladimir-Latyshev
Il a donc invité le tribunal administratif de Rennes à répondre au juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Malo que les arguments de la société Alpha LLC n'étaient "pas fondés" et que sa requête, notamment indemnitaire, devait être rejetée.
L'avocat de l'exploitant du cargo Vladimir-Latyshev maintient pour sa part que la France avait bel et bien des marges de manœuvre par rapport aux mesures européennes et qu'elle n'était donc pas juridiquement tenue de les appliquer.
"On ne parle pas de yachts d'oligarques mais de bateaux de commerce, pour lesquels il n'y a eu que trois ou quatre gels en France et un en Grèce", a-t-il dit aux trois juges rennais.
Des navires passés en Allemagne sans problème
"Certains navires sont ainsi passés en Allemagne sans être inquiétés. Il n'y a que la France et la Grèce qui ont estimé que ces bateaux étaient contrôlés par des entités sanctionnées par l'UE."
Le tribunal administratif de Rennes rendra ce vendredi 27 mai 2022 sa décision sur cette question juridique inhabituelle, de l'aveu-même du rapporteur public