Pendant 41 ans, il a été médecin généraliste à Dinard. En consultation dans son cabinet ou au domicile de ses patients, il a soigné les petits maux du quotidien et les grandes douleurs qui frappent parfois. À l’heure de la retraite, Bruno Ferrieu a rassemblé ses souvenirs dans un livre "Médecin et patient(s)". Témoignage d’un généraliste heureux.
"Oui, j’ai été très, très heureux", affirme immédiatement le docteur Ferrieu. "J’ai travaillé dans un gros cabinet, on était plusieurs et on avait fait notre devise : "Les médecins restent, les patients passent". Chez nous, il n’y avait pas d’histoires de "Tu m’as volé mon patient". On a toujours lutté contre cela. Quand un de nos clients changeait de salle d’attente, cela ne nous faisait évidemment pas plaisir, mais on sait bien qu’on ne peut pas plaire à tout le monde."
Les multiples facettes de la côte d’Emeraude
Le docteur Ferrieu, lui-même fils de médecin généraliste et aujourd’hui père de médecin, s’est installé à Dinard un peu par hasard à l’âge de 27 ans. Il rêvait de la campagne mayennaise, il a vécu au milieu des villas cossues du bord de mer.
Mais derrière la carte postale de la belle cité, il y a des réalités parfois douloureuses. "C’était extraordinaire, j’ai rencontré toutes sortes de gens, tous très attachants mais parfois dans leur monde, sourit l’ancien médecin. J’avais une double patientèle, celle des Dinardais de souche et celle des touristes parisiens qui enfilaient leurs marinières en été pour passer l’été sur la côte."
Le beau monde
Au début, le jeune docteur a du faire ses preuves. "Je suis venue vous essayer", lui a expliqué un jour une patiente… Et puis, les malades se sont habitués à lui et il s’est adapté à eux.
Au fil des pages, il égratigne quelques fois les "Versaillais "qui demandent au "petit médecin", "Quels sont ses honorrrrrairrrres ? "et lui laissent un billet, "Voilà, gardez la monnaie, cherrr docteurrrr !"
Un jour, Bruno Ferrieu doit se rendre au chevet d’un malade. Il glisse sa minuscule 104 entre des Cadillac, des Porsche et des Jaguar. "Mais comment êtes- vous venu ?, s’étonne alors la maîtresse de maison. Je ne vois pas votre voiture ?"
Mais les apparences sont parfois trompeuses. Bruno Ferrieu raconte aussi l’histoire de ce monsieur très chic qu’il recevait parfois en consultation. Costume sombre, chemise blanche, chaussures noires vernies, boutons de manchette.
Un jour, l’état de son patient s’est dégradé, et quand il s’est rendu à son domicile, il a découvert qu’il vivait dans un abri de jardin en fibrociment avec un matelas jeté au sol. Le costume sombre et les accessoires soigneusement accrochés à un cintre. Il a soigné aussi une vieille dame très chic mais très affaiblie qui ne se nourrissait que de pain depuis des années.
L’oreille du médecin
"Le malheur et la maladie n’épargnent personne", observe le médecin. " Les gens ont tous des fardeaux, qu’ils soient riches Versaillais ou pauvres habitants de la cité d’urgence, ils trainent tous des choses. Ils ont besoin qu’on les écoute. Il faut qu’on les écoute. Si les jeunes médecins font de la médecine à toute allure, ils ne seront pas heureux. "
La plus grosse épidémie à l’heure actuelle, c’est la peur.
Bruno Ferrieu, ancien médecin généraliste de Dinard
Pour préciser son propos, Bruno Ferrieu relate l’histoire de cette dame qui l’interroge pour savoir si elle peut manger un morceau de fromage lors d’un mariage. "Elle a peur, décrit-il. Elle redoute que les graisses de ce petit morceau de fromage ne se déposent dans ses artères et provoquent un infarctus."
"Si je ne prends pas le temps, la peur de cette dame me contamine, je me dis, et si elle fait un accident cardiaque en partant du mariage… je panique, je lui prescris des examens, etc… etc… et j’engorge le système de soins.", poursuit le médecin. "Si, au contraire, je prends le temps de l’écouter, de la rassurer, je peux calmer ses angoisses, elle ira mieux et moi aussi."
Une question de temps
A son époque, le docteur Ferrieu travaillait 70 à 80 heures par semaine. "On considérait que c’était normal, mais c’était trop. Il faut trouver un juste milieu."
Un patient, ce n’est pas un cas, c’est une personne.
Bruno Ferrieu, ancien médecin de Dinard
Le généraliste a vu les choses changer, le temps s’accélérer. "Une ordonnance, c’est pratique pour nous, explique-t-il. Ca clôt la consultation. Alors que si je commence à discuter, je peux en avoir pour 20 minutes… mais c’est pourtant ce qu’il faut. Un patient, ce n'est pas un cas, c'est une personne."
"Les patients ont besoin d’empathie, écrit-il. C’est sans doute l’une des principales qualités qu’ils attendent, de même qu’un diagnostic fiable et un traitement efficace. Ils espèrent que le médecin traitant, le moment de la maladie venue, les éclairera dans la jungle médicale et administrative et défendra leur cause."
Un médecin philosophe
Quand l’heure de la retraite a sonné, le docteur Ferrieu a commencé à griffonner la nuit quelques-uns de ses souvenirs de praticien. Une petite histoire, puis une autre, puis encore une autre. Un jour, il a proposé ses textes à un éditeur, qui a immédiatement signé.
L’éditeur avait demandé à Bruno Ferrieu de mettre un peu d’ordre dans ses histoires, le médecin a catégoriquement refusé. "Ce n’est que dans ce désordre là qu’on peut comprendre la vie d’un médecin généraliste. Ce plein d’histoires pêle-mêle c’est notre quotidien, on passe d’un drame à un moment gai et vice et versa. Il faut s’adapter à tout."
Le médecin courait d’un malade à un autre, d’une appendicite à une entorse, d’une crise de foie à un constat de décès. Et comme il a choisi de toujours voir les choses du bon côté, Bruno Ferrieu se dit que c’était sans doute une chance. "Grâce au rythme de travail, on n’a pas le temps de réfléchir sur ses états d’âme. Si j’avais eu du temps libre, cela aurait peut-être pu être terrible, mais je n’en avais pas, alors j’enchainais."
Et plein d’humour, il évoque ses nuits de garde où on lui téléphone parfois à 2h du matin pour savoir "le rappel du vaccin du tétanos, c’est tous les combien ?"
Une autre nuit, une citoyenne britannique lui demande de venir au plus vite. Il se dépêche et à son arrivée, la lady lui indique qu’elle a très faim mais qu’elle n’a pas réussi à ouvrir le gaz.
Au cours de sa carrière, Bruno Ferrieu a totalisé quelques 250 000 consultations. La relation médecin- patient se tisse ainsi petit à petit, d’une grippe à un petit bobo, d’une naissance à une vilaine gastro. Des moments heureux, d’autres douloureux. "Un lien affectif incroyable se noue "témoigne l’ancien médecin. "C’est un métier passionnant" dit-il, avant de répéter pour conclure, "oui, j’ai été très très heureux…"
"Médecin et Patient(s) !", Bruno Ferrieu, Mareuil éditions, 18 €.