En ce mois de décembre, la grève ressemble à une ruche devant le port de la Houle, à Cancale : les tracteurs arpentent à marée basse les alignements de parcs à huîtres avant de remonter la cale, leurs remorques chargées du précieux coquillage.
"Tout le monde ramène plusieurs tonnes, voire plusieurs dizaines de tonnes tous les jours", commente, devant ce ballet incessant avec le mont Saint-Michel en toile de fond, François-Joseph Pichot, co-gérant des parcs Saint-Kerber. Il dirige l'une parmi la trentaine d'entreprises ostréicoles de la commune qui vient d'être inscrite à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel en France et vise maintenant l'Unesco.
L'huître spécialité française sur les tables des fêtes
Car, creuse ou plate, l'huître est une invitée de choix sur les tables de fête de fin d'année. Une spécialité française: si la France est le premier pays producteur en Europe, selon le comité national de la conchyliculture, elle est aussi le premier consommateur d'huîtres fraîches au monde.
Manque d'eau douce au printemps pour les huîtres
Mais cette année, l'ostréiculteur, dont la société exporte dans le monde entier, n'est pas très satisfait: certains rangs d'huîtres n'ont pas grossi comme il l'escomptait. "Il n'a pas plu au printemps et, du coup, les huîtres ont manqué d'eau douce et elles n'ont pas grossi", explique-t-il, juché au volant de son tracteur. "Les huîtres, c'est comme l'agriculture: il faut de l'eau douce et du soleil. Sinon, ça ne pousse pas! Les parcs, ce sont nos champs en mer", dit-il. A cause des conditions climatiques du printemps, "on a beaucoup moins de grosses huîtres -du numéro 2 ou du numéro 1- cette année", constate-t-il.
Des ostréiculteurs "jardiniers de la mer"
Comme un agriculteur, un "jardinier de la mer", ainsi qu'aiment à s'appeler les ostréiculteurs, fait un travail très physique. Les naissains d'huîtres, "on les reçoit à neuf mois, au printemps. Ensuite, elles restent chez nous deux ou trois ans, parfois quatre. Ca dépend comment elles grossissent", énumère François-Joseph Pichot, désormais dans l'eau jusqu'à mi-cuisse, devant des tables métalliques où sont amarrées des poches d'huîtres d'une quinzaine de kilos.
20 à 25% de coquillages récoltés par rapport aux naissains semés
"Le prix d'une huître, c'est 80% de main d'oeuvre, car elle est manipulée une quarantaine de fois", rappelle ce quinquagénaire, à qui le médecin a interdit de déplacer les poches d'huîtres pour ne pas endommager davantage ses épaules devenues trop fragiles. Au-delà de l'aspect physique, l'élevage de l'huître est exigeant économiquement. Le taux de "recapture", c'est-à-dire le nombre de coquillages récoltés par rapport au nombre de naissains semés, "c'est de 20 à 25% pour les creuses. En plates, quand on en a 10%, c'est le grand maximum", constate le professionnel.
Des plates au goût de noisette
Cancale est le fief de l'huître plate (Ostrea edulis), une espèce indigène au goût différent, seule présente jusqu'au début du 20e siècle, avant d'être décimée par des maladies dans les années 1970. "La plate va être beaucoup plus ferme, plus croquante sous la dent, avec ce goût de noisette inimitable", vante Laurence Coffineau, devant son étal, sur le marché aux huîtres du port. "Contrairement aux creuses, les plates ne sont pas dans des poches, elles poussent de manière totalement naturelle, posées sur le sable. Elles ne sont jamais découvertes, même aux grandes marées", à la différence des creuses. "Le problème, c'est qu'on en perd 90% minimum parce qu'elles sont victimes d'un prédateur", déplore François-Joseph Pichot qui en produit pourtant.
A Cancale, la plus faible densité de France en huîtres
Bien que toujours extrêmement modeste comparé à la creuse, la production de plates repart d'ailleurs à la hausse depuis quelques années, se félicite le comité régional de conchyliculture: environ 1.000 ha, dont 95% dans la baie du mont Saint-Michel. "A Cancale, en matière d'huîtres, on a la plus faible densité de France", relève François-Joseph Pichot. Mais pas question d'aller plus loin : "dans la baie, toute nouvelle extension est gelée" car il n'y a pas assez de plancton pour nourrir davantage de mollusques.
Dernier défi pour la commune bretonne: obtenir son inscription au patrimoine immatériel de l'Unesco pour l'élevage de ses huîtres, cultivées depuis le VIè siècle.