Dans toutes les cours d'appel de France, magistrats, avocats et greffiers tirent la sonnette d'alarme : manque de temps, manque de moyens, la justice française est malade. Ce mercredi 15 décembre est une journée de mobilisation générale et inédite. Trois professionnels nous expliquent pourquoi.
"A un moment donné, ça suffit !" Muriel Corre, juge des libertés et de la détention dans le Morbihan n'y va pas par quatre chemins.
La déléguée régionale adjointe de l'Union syndicale des magistrats fait partie de tous ces professionnels de la justice qui seront dans la rue ce mercredi, vent debout contre la tournure que prend la justice dans notre pays.
Cette façon de rendre la justice le plus vite possible au détriment de la qualité, au détriment de l'écoute des justiciables, au détriment de sa propre santé... Là, on dit que ça suffit !
Muriel Corre, juge des libertés et de la détention
Après le suicide d'une jeune magistrate à Béthune et la tribune dite des 3 000 écrite suite à ce drame, les acteurs de la profession ont décidé de dire stop !
Manque de budget et de personnels, ils ne peuvent plus rendre la justice correctement et dans des délais raisonnables. "Tous les magistrats se sont rendus compte avec cette tribune rédigée par de jeunes collègues, que la souffrance que chacun pouvait avoir était très largement partagée" poursuit la Lorientaise.
Mobilisation à tous les étages
Ce mercredi est donc une journée de mobilisation générale et inédite. Magistrats, greffiers mais aussi avocats sont appelés à faire manifester leur mécontentement.
Aujourd'hui on est en train de nous expliquer qu'on peut faire mieux avec moins de personnel : ce n'est juste pas possible ! C'est pour ça qu'on vient en soutien de ce mouvement pour l'institution judiciaire !
Pierre Guillon, bâtonnier du Tribunal de Lorient
Gronde généralisée à tous les étages : "Le soutien de la hiérarchie c'est assez inédit car nos professions ont un droit de réserve important, explique Thibaut Spriet, magistrat au tribunal judiciaire de Rennes et délégué régional du syndicat de la magistrature. Là, le fait d'avoir jusqu'à la Cour de cassation qui s'exprime publiquement pour dénoncer cette situation, c'est quelque chose d'assez fort pour nous."
"Y a quand même des gens en grande souffrance, on a vu malheureusement un magistrat se suicider... poursuit Pierre Guillon. Il n'est pas admissible qu'on ait un tel niveau de souffrance dans l'institution judiciaire et qu'on meurt dans le cadre de son métier !"
Justice en souffrance
Depuis plusieurs années déjà, les professionnels de la justice dénoncent un manque de moyens grandissant. Situation qui ne s'est pas améliorée avec le développement démographique, palpable tout particulièrement en Bretagne.
"On se mobilise parce qu'on arrive à un point de rupture, explique Thibaut Spriet, magistrat au tribunal judiciaire de Rennes mardi soir sur le plateau de France 3 Bretagne. Malgré tous les sacrifices qu'on peut faire personnellement pour essayer de tenir la mission qui est demandée, on n'y arrive pas et ça ne suffit plus !"
Selon le délégué régional du syndicat de la magistrature, la Cour d'appel de Rennes fait partie des plus sinistrées. "En terme de juge par habitant, nous sommes tout en bas de la liste, parmi les plus mal lotis de toutes les Cour d'appel française, hors Paris. Nous avons une région très attractive, l'augmentation démographique y est bien au-delà de la moyenne nationale ces dernières années alors que l'augmentation du nombre de magistrats et de greffiers n'a pas suivi. On sent encore plus d'intensité cette crise de la justice."
Contractuels, la fausse bonne solution ?
Depuis quelques années, une réponse est apportée : le recours aux "contractuels" pour pallier le manque de moyens. "Dans ce quinquennat, on nous dit que la justice est réparée puisqu'on vous a donné énormément de contractuels, explique Thibaut Spriet, magistrat au tribunal judiciaire de Rennes. C'est la majorité des derniers recrutements."
Les contractuels sont des personnels très volontaires certes mais précaires et que l'on forme nous-mêmes puisqu'ils ne sont pas passés par le concours ! Et qui s'en vont au bout de quelques mois car leur contrat est terminé !
Thibaut Spriet, magistrat au Tribunal judiciaire de Rennes
Par exemple, un juge des enfants, en assistance éducative, suit entre 400 et 500 mineurs. les juges des tutelles : 2000... Difficile de dire que ce n'est pas tenable puisque c'est ce que l'on est censé tenir, mais ce n'est pas satisfaisant : on ne peut pas y consacré le temps que cela mérite. On voit bien que ce n'est pas suffisant. Et même l'augmentation du budget qui nous est proposé est loin de satisfaire à nos revendications !"
Les états généraux de la justice lancés le 18 octobre dernier... "On est en fin de quinquennat donc il ne risque pas d'y avoir beaucoup de réforme. Néanmoins on voit dans les questions posées dans le cadre de la consultation que de nouvelles réorganisations, simplifications, des déjudiciarisations se profilent. ce n'est pas vraiment ce qu'on demande !"