"On écrit la course au large du XXIe siècle": Thomas Coville, qui va tenter de remporter la Transat Jacques Vabre en novembre avec son compère Thomas Rouxel, estime que son Ultime Sodebo, un trimaran qui s'apparente presque à un aéronef, redessine le monde de la voile.
Au large de Lorient, au milieu des bateaux de pêche et des navires militaires, à quelques encablures des plages de l'île de Groix, le navigateur aux huit tours du monde et aux 17 records en solitaire peaufine différents réglages avec son équipe. "La moitié du temps, il va voler" lors de la transat entre Le Havre et La Martinique, qui pourrait durer 17 jours, pronostique Thomas Coville, 53 ans.
Comme dans un avion de chasse...
Car, sur son Ultime, on a presque l'impression d'être aux commandes d'un avion de chasse ou d'un Airbus. "On retrouve un vocabulaire d'aéronef : est-ce qu'on a eu un vol stable, est-ce qu'on a piqué, cabré...", se marre Thomas Coville. Les foils, ces appendices élevant la coque centrale au-dessus de l'eau, peuvent être déployés à partir de treize nœuds de vent (24 km/h).
Le cockpit est placé à l'avant et devant le mat, une curiosité qui renvoie à l'aviation et diffère d'autres "Ultimes" comme Banque Populaire ou Edmond de Rothschild amarrés au port de Lorient.
Dans l'habitacle, le néophyte est frappé par le nombre d'écrans et de données chiffrées qui évoquent un cockpit d'avion. "On a pas mal les yeux sur les compteurs", reconnaît Thomas Rouxel. "On a besoin de beaucoup d'infos, les bateaux sont complexes, il y a plein de trucs à régler : les réglages des voiles, les tensions sur les câbles, mais en plus on a tous les réglages pour les appendices, les inclinaisons des foils".
Car il existe dans le bateau quatre volants, deux grands qui correspondent à la barre mais aussi deux plus petits de la taille de ceux d'une voiture, devant un siège incliné. "Ces volants gèrent l'altitude du vol", résume Thomas Coville.
Ça va remuer !
Si l'intérieur du bateau est assez spacieux et lumineux avec de nombreux hublots, contrairement à certains Imoca, il comporte de nombreuses fixations, tant le trimaran peut être "exigeant", disent en choeur les deux navigateurs.
"Quand ça va vite, le bateau bouge beaucoup, on est toujours en train de s'accrocher, voire d'être à quatre pattes pour se déplacer", sourit Thomas Rouxel, 38 ans, soulignant la nécessité d'une bonne condition physique pour manœuvrer à deux un tel bateau d'une longueur de 32 m et disposant d'un mât de 34 mètres, soit un immeuble de dix étages. Et pour hisser la voile aux motifs représentant des bonhommes colorés faisant penser à une œuvre de Keith Haring, "il faut tourner pas mal les manivelles!".
"Moi, en développé couché, j'arrive aux alentours de 100 kg, je peux commencer à jouer avec Arthur", lance, taquin, Thomas Coville en faisant allusion à son cousin Arthur, demi de mêlée du Stade français.
Parmi les difficultés du bateau figure le bruit, aux alentours de 75 décibels avec des pointes à 95 db. Les navigateurs se protègent avec des casques anti-bruit et peuvent communiquer avec des casques-audios, un peu comme dans un hélicoptère.
"Viscères qui bougent"
Autre écueil lié à la vitesse de ces machines qui approchent la barre des 50 nœuds (plus de 90 km/h): les mouvements latéraux. "Quand t'es dans le siège ou à la bannette à l'endormissement, ce n'est pas rare de sentir tes viscères qui bougent à l'intérieur."
Ça, c'est vraiment nouveau, un peu comme dans un aéronef, notamment l'hélicoptère", souligne l'expérimenté skippeur.
Et quand on lui fait remarquer que la voile a dû bien changer depuis ses premiers succès, il lève les bras au ciel. "Avec Laurent Bourgnon, dans les années 1990, on rentrait tout content le soir en disant : on a dépassé les 20 nœuds ! ".
Avant de conclure, "On est une génération bénie des Dieux", se frottant les mains à l'idée de batailler avec les quatre autres Ultimes à partir du 7 novembre.