Pendant des années, Pierre Le Ménahes, ancien secrétaire général de la CGT de la Fonderie de Bretagne s’est battu sur tous les fronts pour sauver l’entreprise de Caudan. Aujourd’hui, alors que de nouvelles menaces pèsent sur la fonderie, il s’inquiète du sort réservé à ses anciens collègues. Entretien entre révolte et amertume.
"J'ai passé ma vie là, dans ce laminoir, mes poumons, mon sang et mes colères noires", chante Bernard Lavilliers. Des mots écrits pour lui, gamin de Saint-Etienne qui a poussé à l’ombre des cheminées d’usines.
Des mots que l’on dirait forgés aussi pour Pierre Le Ménahes, ancien secrétaire général de la CGT de la SBFM, devenue Fonderie de Bretagne. Les autres vers de la chanson donnent alors des frissons : "Cheminées muettes, portails verrouillés, wagons immobiles, tours abandonnées, plus de flamme orange dans le ciel mouillé. J'voudrais travailler encore, travailler encore, forger l'acier rouge avec mes mains d'or."
"Travailler encore"
A la retraite depuis une douzaine d’années, Pierre Le Ménahes n’a jamais quitté la fonderie, ni des yeux, ni du cœur. "Je me suis battu dans cette fonderie pendant 35 ans, dit-il. À l’annonce de ces nouvelles menaces sur le site, je suis en colère, révolté, et j’ai beaucoup d’amertume forcément. Ça réveille énormément de souvenirs de lutte, c’est toute une vie qui ressurgit. Une vie de luttes. Toutes les batailles qu’on a menées."
Pierre Le Ménahes est entré à la SBFM en 1979. La fonderie venait de naître (en 1966) sur les cendres des Forges d’Hennebont fermées quelques années plus tôt. Très vite, il prend sa carte au syndicat. "À l’école de la CGT SBFM, on n'apprend pas, on se bat !"
"Un tas de familles ici ont eu un grand-père, un père ou un fils qui ont travaillé à Caudan. C’est quelque chose d’énorme. Des successions de générations se sont battues pour que cette entreprise devienne un fleuron industriel de la région et permette à une multitude d’autres entreprises de vivre."
"C’était un métier dur, mais aussi un métier très noble", décrit Pierre Le Ménahes. Dans les fours, la fonte entre fusion pour fabriquer boite de vitesse ou systèmes d’échappement pour l’industrie automobile."Notre savoir-faire et la qualité de nos produits a toujours été reconnu", s'indigne l’ancien délégué syndical.
Une vie de luttes
Car, au cours de sa carrière, il a vu… "L’histoire de la fonderie s’est faite dans la lutte", rappelle Pierre Le Ménahes.
"Au début, on était une filiale de Renault à 100%, mais l’histoire a été émaillée de divorces avec le groupe automobile. Il y a eu jusqu’à 1 600 salariés dans les années 1980. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 350."
1981, 1988, 1998. "On a été créés, vendus, repris, cédés par Renault. Tous les dix ans à peu près, ils brandissaient la menace de leur départ. En 1998, on est racheté par Fiat, qui nous revend en 2006. À chaque fois, ce qui comptait c’était la rentabilité financière, jamais on ne s’est soucié du sort des salariés."
En 2008, c’est le coup dur. La SBFM dépose le bilan et est placée en redressement judiciaire.
Pendant des mois, les métallos vont mener le combat. Ils multiplient les manifestations, bloquent les routes, séquestrent la direction. "On était indispensables au groupe. On travaillait pour Renault, mais aussi pour BMW, Mercedes. On a bataillé et obtenu la réintégration dans le giron de Renault. On a demandé l’impossible, on l’a obtenu," se réjouissait-il alors. Un bref instant de paix et de satisfaction… "Douze ans après, ça recommençait, on était vendus à un fonds de pension." Vendus pour un euro symbolique !
"Les salariés ont toujours été une vulgaire variable d’ajustement. C’est eux qui ont maintenu l’entreprise à bout de bras. Entre 2008 et 2010, on n’avait pas de direction, mais on a continué à fonctionner."
Lire : Caudan : Maël Le Goff, le frondeur des fondeurs
Défendre la fonderie, sur tous les fronts
Cette année-là, le 25 janvier 2010, le "Che" du Morbihan, blouson de cuir et boucle d’oreille, est invité sur le plateau de TF1 pour débattre avec Nicolas Sarkozy. Il entend défendre la fonderie de Caudan et toute la classe ouvrière. Le regard sombre, il assène donc ses vérités au Président de la République : "Non je ne suis pas d’accord. Il y a eu des aides publiques versées à Renault et à PSA, mais qui n’ont pas servi l’emploi. Ça se saurait, ça se saurait. Aujourd’hui, les salariés partagent les licenciements et les liquidations. C’est ça, la France qui se lève tôt" explose-t-il.
En quittant le studio, il a suggéré au président de "régler son sonotone pour entendre les revendications des salariés et de régler sa vue pour constater qu’en France, il y a des gens qui luttent et se battent".
Aujourd’hui, le ton est plus calme, mais la colère du militant syndical est restée intacte.
"On continue à se battre contre les actionnaires qui à chaque fois placent les salariés devant la guillotine", balance-t-il comme un coup de poing.
"Les constructeurs automobiles, les pouvoirs politiques, les politiques, tous se dédouanent et jettent la faute sur les autres. Le constructeur sur le fonds de pension, le fonds de pension sur le donneur d’ordre, les politiques sur les actionnaires et les entreprises etc etc…"
"Ceux qui se retrouvent entre le marteau et l’enclume, c’est encore les salariés. C’est eux qui créent les richesses mais ils ne partagent que les licenciements et ne font que subir les décisions. Mais tout cela, c’est quand même bien des décisions politiques. Si on veut réindustrialiser la France, c’est pas en fermant des usines !"
En 2009, au moment du conflit, Bernard Lavilliers avait donné un concert à Caudan. "Je suis venu pour les gars de l’usine avait-il annoncé. On ne va pas se faire avoir !"
Mais comme dans la chanson, "les monstres d’acier "semblent tout près d’être "vaincus par l’argent."
"Ils ont tout délocalisé, les savoirs faires et les productions qui étaient les nôtres."
La Fonderie de Bretagne est l’une des dernières fonderies en activité en France. "On a décapité toutes les fonderies. On vit la même chose que la sidérurgie dans les années 70, on a sacrifié les outils de production."
En 2020, lors des dernières difficultés de la Fonderie, Pierre Le Ménahes les avait soutenus avec toute son énergie…
Cette fois, il regarde "Sa" fonderie avec inquiétude. Après toutes ses années de lutte, il aimerait croire que l’histoire va se poursuivre… mais il redoute que pour les salariés ne soit arrivée l’heure du dernier combat.