TÉMOIGNAGE - Guidel : "Au quatrième bébé sans main, je me suis dit 'ça n'est pas un hasard' "

En 2012, la fille d'Isabelle Taymans-Grassin naît sans main gauche. Ce médecin, qui vit alors à Guidel (56), découvre que 3 autres enfants sont nés avec la même malformation dans la même commune, en seulement 18 mois. Jeudi, les autorités ont reconnu le nombre anormal de malformations congénitales. 

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Isabelle Taymans-Grassin se souvient très précisément de ce jour de juin 2012 où elle découvre le handicap de sa fille, le jour même de sa naissance, à la maternité de Lorient.

"Ça a été un choc. J’ai beaucoup pleuré. A la fois parce que c’était mon premier enfant et qu’il y a tout un bagage émotionnel. Mais aussi parce que l’enfant ne correspond pas à l’image qu’on s’en fait"  se souvient-elle. La grossesse s’était parfaitement bien passée, rien n'avait été détecté à l'échographie".

Charlotte est née avec une agénésie transverse de l’avant bras gauche, une malformation qui apparaît comme un niveau d’amputation au premier tiers de l'avant bras. Une maladie rare, avec moins de 200 naissances chaque année en France.

"Au début, c'était dur à vivre, et en même temps, c'était mêlé à plein d’émotions positives. La relation qui s'est créée avec ma fille a permis de dépasser la souffrance. Mais pendant une année, il y a eu beaucoup d’angoisse et de questions sur le devenir de Charlotte".

A 6 ans, Charlotte a appris à vivre avec son handicap. "Elle fait tout comme tout le monde, ou presque. La semaine dernière, elle a roulé sans roulettes sur son vélo pour la première fois. Elle n’a aucun souci à l’école, tout se passe à merveille" témoigne Isabelle.
 

D'autres cas éveillent ses soupçons 


En avril 2013, Isabelle Taymans-Grassin découvre qu’une autre femme vivant à Guidel, qui a la même sage-femme et le même médecin traitant que son enfant, vient de donner naissance à une petite fille atteinte exactement de la même malformation.

Les deux familles se rencontrent à l’été 2013. "A l’époque, on s’est dit : c’est un hasard", se remémore aujourd'hui Isabelle. 

A la même période, ce médecin décide de déménager en Belgique, d'où elle est originaire. En 2010, elle avait suivi son mari à Guidel, commune de 10 000 habitants. Elle était tombée enceinte de Charlotte dans la foulée.

"Le choix de repartir vivre en Belgique arrive dans un contexte de choc", explique t-elle. On avait besoin de retrouver le soutien de nos proches et de ma famille".

En 2014, elle rejoint l’association Assédéa, qui regroupe des parents d'enfants atteints d'agénésie. C'est sur le groupe Facebook privé de l'association qu'elle fait la connaissance d'une autre mère vivant à Guidel ayant donné naissance à un garçon avec la même malformation. Un enfant né à la fin 2011, quelques mois avant la naissance de Charlotte.

Le constat est alors implacable : trois enfants nés sans main gauche à Guidel en dix-huit mois, entre la fin 2011 et le début 2013. Et ce n'est pas fini, un quatrième cas va bientôt être découvert.  "Ça m’a bouleversé", se souvient la jeune femme, alors en congé maternité de son deuxième enfant.
 

Une concentration inhabituelle de cas


Isabelle Taymans-Grassin ne peut que se rendre à l'évidence : ces quatre cas identiques dans une même période et au même endroit sont exceptionnels, alors que la commune de Guidel ne compte qu'une centaine de naissances par an, et qu’une telle malformation n’arrive que dans deux naissances sur 10 000.

Elle contacte alors le registre des malformations congénitales de Bretagne, qui lance une enquête. La conclusion vient confirmer ses doutes : il s'agit bien d'une concentration anormale de cas, qui ne serait pas due au hasard, ou exprimé en langage statistique :"un agrégat spatio-temporel, appelé encore cluster".

Les autorités sanitaires soumettent alors aux familles des questionnaires sur leurs habitudes de vie. 

Jeudi 04 octobre, Santé publique Francel'organisme chargé de la veille sanitaire dans l'Hexagone, a présenté trois rapports d’investigations des anomalies congénitales en Bretagne,  Pays-de-Loire et Rhône-Alpes

   

Incertitudes sur l'environnement

En échangeant entre elles, les trois familles ont exclu avec certitude, dans leurs cas, les facteurs connus dans le déclenchement de ces malformations : anomalie génétique, prise de certains médicaments ou de drogues pendant la grossesse. Reste donc l'hypothèse d'une contamination environnementale.

Un facteur déjà envisagé dans des concentrations similaires de cas, ailleurs en France, tous en zone rurale.  

A Mouzeil en Loire-Atlantique, en février 2013, trois cas d'enfants scolarisés dans une école maternelle et atteints d’agénésies de membres supérieurs ont été identifiés.
 
Dans l’Ain, sur un périmètre de 17 km autour de Druillat, sept cas d’agénésies des membres supérieurs sont signalés chez des enfants dont les parents habitaient dans le département au moment de la grossesse, comme le révèle un reportage de France 2.

► "L'oeil du 20 Heures" du 26 septembre 2018


Les parents réclament un registre national



De passage à Guidel avec Charlotte et son petit frère, Arthur, Isabelle Taymans-Grassin et son mari ont suivi de près les conclusions rendues, jeudi, par Santé publique. L'organisme a bien confirmé un nombre anormal d'agénésie transverse de l'avant-bras, à Guidel sur la période 2011-2013 mais elle ne fournit aucune explication. 
 
"Nous espérons que les recherches vont se poursuivre, tout en sachant que nous n'aurons probablement pas de réponse concernant le cas de notre fille", confie Isabelle Taymans-Grassin à France 3 Bretagne. Les parents regrettent le manque de moyens mis en oeuvre pour poursuivre l'enquête. Ils déplorent aussi l'absence d'un registre national qui permettrait de confronter les cas enregistrés par les six registres régionaux, lesquels ne couvrent que 19% des naissances.

De son côté, le registre des anomalies en Bretagne assure maintenir, et même renforcer, sa surveillance. 
 
 
Malformations congénitales: un système de repérage à améliorer (par AFP)
Santé publique France a proposé jeudi de créer une "fédération nationale des six registres sur une base de fonctionnement commun".
Buts affichés: "Coordonner l'ensemble de ces registres, disposer d'une base de données communes" et les croiser avec les données du Système national de données de santé  (SNDS).
Cette piste ne satisfait pas Emmanuelle Amar, la dirigeante du principal des six registres, le Remera. "Parler de fédération, ce sont des éléments de langage, nous sommes déjà fédérés", a-t-elle affirmé à l'AFP.

Elle réclame la création d'un "vrai registre national", comme l'avait proposé en mars 2016 la ministre de la Santé de l'époque, Marisol Touraine.
    
Basé à Lyon, le Remera, a été fondé en 1973 après le scandale du thalidomide, anti-nauséeux qui avait fait naître des milliers d'enfants sans bras entre 1957 et 1962. 

Il a notamment aidé à montrer le lien entre incinérateurs et malformations rénales, et les conséquences possibles de la prise de l'antiépileptique Dépakine pendant la grossesse. 

Cette structure s'inquiète pour son avenir car la région Auvergne-Rhône-Alpes et l'Inserm ont selon elle stoppé leur financement.
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