L'interdiction pour un mois de la pêche dans le Golfe de Gascogne est "une solution absurde" qui n'est pas bonne pour les pêcheurs et "qui ne sauvera pas les populations de dauphins", estime un chercheur en écologie marine. Selon lui, d'autres solutions doivent être trouvées, impliquant dialogue et incitations pour les pêcheurs.
"Une solution absurde" ou encore "un aveu d'échec de la gouvernance des pêches". Dans un entretien accordé à l'AFP, Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l'Institut Agro de Rennes-Angers, estime que l'interdiction de la pêche pendant un mois dans le Golfe de Gascogne est une mauvaise décision pour les pêcheurs comme pour les dauphins. Personne n'y gagne, selon lui.
"Cette fermeture ne sauvera pas les populations de dauphins"
Pour l'auteur de "La pêchécologie" (éditions Quae, 2023), "cette fermeture ne sauvera pas les populations de dauphins : les travaux scientifiques montrent qu'il faudrait fermer plus longtemps qu'un mois. À l’inverse, elle impacte très fortement les pêcheurs et la filière dans son ensemble. Elle a des conséquences socio-économiques très, très fortes."
À Lorient, les mareyeurs sont anéantis : "C'est brutal, radical. Et nos clients vont aller voir ailleurs". Cette fermeture pourrait se traduire par 8.000 tonnes de produits de la mer en moins et représenter une perte de 60 millions d'euros de chiffre d'affaires pour le mareyage.
La pêche durable, ça ne peut pas être de payer des pêcheurs à rester à quai avec les deniers publics
Didier GascuelProfesseur en écologie marine
"Une gestion de la pêche par des décisions de justice"
Le chercheur regrette que l'on se soit enfermé dans "une situation inextricable. D'un côté, les pêcheurs n'ont pas fourni les données permettant qu'on en sache un peu plus sur les répartitions de dauphins : où, quand, comment ils sont capturés ? Et puis, on n'a pas instauré un vrai dialogue pour trouver des solutions."
"On arrive à cette situation où la gestion des pêches serait assurée par des décisions de justice. Ce n'est pas la bonne solution, ni pour la conservation de la biodiversité, ni pour les pêcheurs eux-mêmes" déclare Didier Gascuel à l'AFP.
Pourquoi ces captures accidentelles de dauphins ?
Combien de dauphins échoués et pourquoi ? Le conseil d'Etat avait pointé, il y a quelques mois, l'absence d'estimation "fiable", dont pêcheurs et scientifiques se renvoient la responsabilité dans un débat "pollué par le militantisme".
Didier Gascuel regrette aussi de son côté un manque de données et d'observations. Les raisons sont en tout cas probablement multiples. "La population de dauphins change de répartition spatiale et vient plus à la côte, remarque-t-il, probablement avec des effets encore mal connus du changement climatique."
Les captures pourraient également être expliquées par des changements de pratiques de pêche faites par les fileyeurs. "Il se développe depuis quelques années un filet plus haut, surnommé "filet pêche-tout", qui vient plus près de la surface. Il y a une interrogation sur les conséquences que pourrait avoir ce filet sur les dauphins" souligne l'enseignant en écologie marine.
"Une phase de diminution des populations de dauphins"
Si les raisons exactes de captures et d'échouages des dauphins ne sont pas claires, le scientifique alerte : "Les captures accidentelles ont aujourd'hui dépassé un seuil qu'on considère comme un seuil de durabilité. Elles sont à un tel niveau qu'on pourrait entrer dans une phase de diminution de ces populations de dauphins."
La priorité pour Didier Gascuel : la reprise d'un dialogue de "bonne foi". "On devrait aussi aller regarder du côté des politiques d'incitation en matière de quotas de pêche, avec des bonus/malus lorsqu'on capture des dauphins. C'est un outil prévu par la politique commune des pêches qui n'est aujourd'hui pas mis en œuvre. Décidons qu'une partie des quotas attribués dans le golfe de Gascogne, peut-être 5 ou 10% pour commencer, seront d'abord attribués aux pêcheurs qui ont des caméras embarquées."
Remettre tout le monde autour de la table
À terme, les pêcheurs devront peut-être aussi "renoncer à certaines zones, certaines saisons de pêche ou certaines pratiques de pêche, mais ce sont eux qui doivent en décider et le mettre en place" dit encore Didier Gascuel.
"Ce sont les pêcheurs qui connaissent le terrain et qui trouveront une solution sur place." Le chercheur rennais appelle l'Etat à les accompagner dans cette démarche, avec une discussion entre les pêcheurs et les organisations environnementales.
(Avec AFP)