Alors que le flou règne toujours autour de la mort de l’opposant russe Alexeï Navalny, de nombreuses voix s’élèvent sur les réseaux sociaux notamment, pour dénoncer les responsables de son décès : le Kremlin est pointé du doigt, mais aussi indirectement le Groupe Rocher, dont le siège social est dans le Morbihan.
"Le groupe Yves Rocher est implanté depuis des années en Russie. Il ne pouvait pas ignorer qu'ils allaient donner un coup de main au comité d'enquête criminelle, qui est un outil créé par et pour Poutine et dont on sait très bien le caractère politique !" L'avocat d'Alexeï Navalny, Maître William Bourbon, n'en démord pas.
Selon lui, le groupe créateur de produits cosmétiques dont le siège social est à la Gacilly dans le Morbihan a "contribué à la criminalisation artificielle" de son client, mort vendredi dans une prison de Sibérie.
2012 : Plainte contre X pour escroquerie
Pour comprendre pourquoi le Groupe Rocher est ainsi pointé du doigt, il faut remonter douze ans plus tôt. À l’époque les frères Navalny (déjà dans le viseur du Kremlin) travaillent avec la filiale russe du Groupe Rocher, Uves Rocher Vostok. Alexeï et Oleg Navalny sont en effet actionnaires de Glavpodpiska, une société de logistique qui depuis 2008, transporte des produits cosmétiques Yves Rocher en Russie.
Mais en 2012, les relations commerciales de ces deux sociétés se brouillent : Yves Rocher Vostok soupçonne Glavpodpiska de surfacturer ses transports. Elle dépose plainte contre X pour escroquerie.
Une plainte qui va chambouler la vie de l’opposant russe… Suite à ce dépôt en effet, un audit interne est réalisé, mais surtout une procédure judiciaire est lancée en Russie. Deux types d’investigations qui déboucheront (chose surprenante) sur des conclusions "opposées".
"Complaisance servile" pour criminaliser A. Navalny
D’un côté, l’audit interne conclut deux ans plus tard qu’il n’y a finalement eu "aucun préjudice" : la filiale d’Yves Rocher fait volte-face.
De l'autre, la procédure judiciaire russe aboutit, en 2014, à la condamnation des deux frères à trois ans et demi de prison. Prison ferme pour Oleg, prison avec sursis -au début- pour Alexis. C’est ainsi que débutent les ennuis judiciaires du principal opposant de Vladimir Poutine !
Pour l’avocat d’Alexei Navalny, Maître William Bourdon, le Groupe Yves Rocher s’est fait manipuler. Pire il a fait preuve de "complaisance servile" : "C'est cette procédure qui a conduit à l'énoncé d'une peine de prison très longue, et c'est cette peine de prison qui a été mise à exécution lorsque Alexeï a atterri début 2021 à Moscou."
Yves Rocher a contribué à la criminalisation artificielle d'Alexeï Navalny !
Maître William Bourdon, avocat d'Alexeï Navalny
"Yves Rocher Vostok n'a jamais porté plainte contre les frères Navalny"
Contacté sur le sujet, le Groupe Rocher nous a fait parvenir un communiqué.
"La procédure liant Yves Rocher à Alexeï Navalny est vieille de plus de 10 ans. La société Yves Rocher Vostok n'a jamais porté plainte contre les frères Navalny, ni n’a formulé une quelconque demande en justice à leur encontre, et ce à aucun moment" se défend le groupe.
Chaque mot est pesé : En 2012, Yves Rocher Vostok a en effet déposé plainte contre X (et non contre les frères Navalny) pour escroquerie…
En 2014, la société de cosmétiques n’a pas non plus donné suite judiciaire, puisque l’audit interne montrait finalement qu’aucun préjudice n’avait été subi.
Pour le Groupe Rocher, le problème est donc réglé : "Il s’agit d’un différend, de nature exclusivement commerciale, clos en Russie depuis plusieurs années, et ayant déjà été jugé en première instance et en appel en France, au bénéfice d’Yves Rocher."
Il est donc mensonger de faire un rapprochement entre ce drame et cette procédure.
Groupe Rocher
Le Groupe Rocher fait ici référence à la plainte pour dénonciation calomnieuse que les frères Navalny ont déposée contre Yves Rocher, après avoir été condamnés.
Comme le siège social du groupe est situé à La Gacilly, dans le Morbihan, c’est devant le tribunal de Vannes, qu’Oleg et Alexeï Navalny étaient venus se défendre, en avril 2019 : ils estimaient avoir été injustement accusés d’escroquerie et espéraient être réhabilités par une "vraie justice équitable".
Lire aussi : Affaire Navalny/Yves Rocher: l'opposant russe réclame à Vannes "une vraie justice"
Un non-lieu sera prononcé puis confirmé en mai 2023 par la Cour d’Appel de Rennes.
La Cour de Cassation devait, à son tour, se prononcer dans les prochains mois sur ce bras de fer qui oppose depuis des années les frères Navalny au Groupe Rocher, mais la mort d’Alexeï remet en cause cette procédure.
Oleg, son frère, aura-t-il la force de poursuivre seul ? Il a évidemment autre chose à faire pour le moment…
Lire aussi : Affaire Navalny / Yves Rocher : une affaire judiciaire teintée de politique
L'avocat d'Alexeï Navalny, lui, salue le courage dont a fait preuve son client durant toutes ces années. Il espère que son combat et sa mort, pour l'instant inexpliquée, changeront certains rapports de force : "Je pense qu'il y a une forme de complaisance à l'égard des pouvoirs dictatoriaux despotiques qui ne devrait plus être de mise, qui n'est plus acceptable, que ce soit en Russie ou ailleurs."