Dépakine : un spécialiste breton s'interroge sur les résultats du rapport des autorités sanitaires

Ce mercredi, la ministre de la Santé a révélé que plus de 14 000 femmes enceintes avaient été "exposées" entre 2007 et 2014 à la Dépakine, cet antiépileptique nocif pour le foetus. Hubert Journel, généticien à Vannes, spécialiste de ce scandale sanitaire, s'interroge sur les mesures annoncées.

14 322 femmes enceintes ont été "exposées" au valproate de sodium, la substance active de l'antiépileptique Dépakine, entre 2007 et 2014, soit environ 2 grossesses pour 1 000 grossesses débutées. 8 701 enfants sont nés vivants lors de la même période après avoir été exposés in utero au valproate.

Voici les principaux chiffres qui ressortent du premier volet d'une étude publiée mercredi par l'ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) et qui donne l'ampleur du "scandale" sanitaire lié au valproate de sodium.

Commercialisée depuis 1967 en France, la Dépakine est aujourd'hui sur la sellette comme tous les médicaments à base de valproate de sodium, à cause d'un risque élevé, de l'ordre de 10%, de malformations congénitales mais également d'un risque accru d'autisme et de retards intellectuels et/ou de la marche, pouvant atteindre jusqu'à 40% des enfants exposés.

Hubert Journel, généticien au Centre Hospitalier Bretagne Atlantique à Vannes fait partie des médecins qui ont alerté sur la Dépakine en 2002. Il travaille sur la question depuis 1984. Avec des collègues du centre "anomalies du développement", il suit 128 femmes ayant pris ce médicament pendant leur grossesses et participe à l'élaboration d'un Protocole National de Soins pour les victimes. 

Ce spécialiste des conséquences de la Dépakine nous a livré ses impressions à l'annonce des résultats de l'étude et des mesures avancées par Marisol Touraine, la ministre de la Santé.

Que pensez-vous des chiffres révélés par cette étude ?

"L'ordre de grandeur de 2 pour 1 000 grossesses me semble bien correspondre à la réalité. C'est un ratio auquel, nous spécialistes, nous nous attendions. Par contre, les chiffres du nombre de grossesses et d'enfants nés, m'interpellent. Sur plus de 14 000 femmes enceintes "exposées" à la Dépakine, comment se fait-il qu'il n'y ait que 8 700 enfants vivants? Cela fait presque la moitié moins de naissances que de femmes enceintes alors que pendant la période étudiée de 2007 à 2014, des femmes auraient pu avoir plusieurs enfants comme certaines de mes patientes "exposées". Cela me semble improbable que cette différence soit dû uniquement à des interruptions volontaires de grossesses. Ce serait considérable. Il faut plus d'explications".

"J'attends aussi avec impatience l'annonce du 
nombre d'enfants atteints par des troubles. Pour l'instant il n'a pas été annoncé". Ce nombre de victimes va faire l'objet du second volet de l'étude, volet qui devrait selon Dominique Martin, le directeur général de l'ANSM, être publié à la fin de l'année ou au début de l'an prochain.

Et concernant la chute du nombre de femmes "exposées" au fil des ans?

"Le fait que le nombre de femmes enceintes "exposées" passe de 2 316 en 2007 à 1 333 en 2014 ne m'étonne pas. Cela montre que l'exposition des femmes enceintes au valproate a nettement diminué. Cela s'explique par toutes les informations sur les risques encourus distillés par les associations de victimes dont l'Association d'aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anticonvulsivant (Apesac) auprès des femmes et  par la sensibilisation réalisés auprès des médecins et spécialistes. Il faut aussi se poser la question de savoir si ces chiffres ne traduisent pas un transfert de traitements à la Dépakine vers d'autres antiépileptiques à base de valproate de sodium qui présentent eux aussi des risques pour les patients. Je reste donc très prudent sur ces chiffres qui peuvent manquer de cohérence". 

Les mesures annoncées par la ministre de la Santé sont-elles suffisantes?

Sous la pression des familles de victimes, le ministère de la Santé a annoncé une série de mesures dont l'apposition sur les boîtes de médicament d'un pictogramme alertant sur les dangers de ce traitement chez les femmes enceintes ainsi que la mise en place d'un dispositif d'indemnisation pour les victimes qui devrait être voté au Parlement d'ici à la fin de l'année. Le ministère a également promis dans les six mois un dispositif permettant de prendre en charge "en totalité" par l'Assurance maladie les soins des patients reconnus dans le cadre d'un "protocole de dépistage et de signalement". "Il faut que les patients soient identifiés grâce à des spécialistes comme les généticiens et que personne ne soit oublié", a indiqué pour sa part à l'AFP Benoît Vallet, le Directeur général de la Santé.

Pour le généticien vannetais Hubert Journel, "le pictogramme apposé sur les boîtes de médicament est une excellente mesure. Il est réclamé depuis longtemps par les associations de victimes et devrait être présent aussi sur d'autres antiépileptiques. Pour la prise en charge à 100%, il faut qu'elle soit effective très rapidement. C'est aussi pour cela que le protocole de dépistage et de signalement annoncé ne doit pas être un dispositif administratif lourd et long à mettre en place. Il faut faire confiance aux familles touchées qui peuvent se signaler actuellement facilement sur des sites existants. Il faut également mettre en place des mesures simples comme le recensement de toutes les malformations à la naissance sur les formulaires déjà existants dans les maternités. J'ai des doutes sur la rapidité de la mise en action d'un nouveau système. Il y a urgence à s'occuper des victimes et des familles".

Paris, ce mercredi 24/08/2016 Intervenants : Charles-Joseph Oudin, avocat de l'APESAC - Jennifer Simon, ancienne déléguée APESAC Bretagne Reportage : T. Bréhier - France 3


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