Ségur de la santé : les soignants bretons partagés entre désillusion et espoir

Le Ségur de la Santé, du nom de la rue du ministère d'Olivier Véran, a démarré cet après-midi. Au menu : 7 semaines de concertation pour apporter des réponses à un secteur en crise depuis des années. Ce Ségur débouchera-t-il sur du concret ? Les professionnels bretons interrogés restent sceptiques.

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Le "Ségur" apportera-t-il des réponses au monde hospitalier en crise depuis tant d'années ?
Parmi les professionnels bretons interviewés dans le Finistère et en Ille-et-Vilaine, on sent beaucoup de colère, et peu d'espoir tant les revendications sont nombreuses et les désillusions anciennes.
Après des semaines de soins auprès des patients Covid-19, les langues se délient, souvent sous couvert d'anonymat.
 

L'intérêt du Ségur ?

"La crise a mis en lumière la profession. La période est plutôt favorable pour faire avancer ce qu'on revendique depuis des mois voire des années", assure Thomas Bourhis délégué CGT à la Cavale Blanche à Brest, qui reste toutefois sceptique : "cela fait 20 à 30 ans que les politiques vont dans le sens d'une réduction des finances de l'hôpital".
Barbara (prénom d'emprunt), elle, est infirmière à la Cavale Blanche à Brest. Une héroïne en blouse blanche, pour qui ce Ségur est "de la poudre aux yeux".
"Est-ce que ce Ségur ne va pas aboutir à un rapport qui va donner une commission qui décidera de ne rien faire ! ", s'interroge-t-elle, amère.

C'est beaucoup de blabla, il va falloir s'armer de patience.


Même inquiétude chez Carine Malésieux, déléguée FO à St Malo, "il faut rester optimiste mais il y a beaucoup d'effets d'annonce. On est partis pour sept semaines de négociation. Après c'est l'été... ça va traîner encore longtemps."
"C'est comme la prime Covid, elle devait tomber sur les salaires fin avril, on ne l'aura à priori même pas fin juin".


Equité entre soignants


La prime Covid précisément ne fait pas que des heureux. L'infirmière malouine craint qu'elle ne divise plus qu'autre chose. A qui va-t-elle profiter ? "Tout ça, ça met la zizanie", assure-t-elle.

"Dans la croyance populaire, tous les soignants vont avoir 1500 € de prime, or elle est soumise à des conditions", explique une autre infirmière en réanimation. "On est dans le flou", explique-t-elle.
"Il aurait mieux valu une revalorisation des salaires".

Thomas Bourhis, dit garder espoir mais "vu que le gouvernement est sous pression, on craint qu'il lâche des miettes, et le risque c'est qu'il choisisse ou sectorise les valorisations", s'inquiète-t-il.


Revalorisation salariale


En plus d'un point d'indice gelé depuis des années, les personnels infirmiers pointent le mauvais classement de la France.
"On est dans les derniers de la liste des pays européens. C'est grave !" dénonce Carine Malésieux.
Selon le "panorama de la santé 2019 de l'OCDE", les soignants français se classent à la 28ème place sur 32.

On est moins payées que les infirmières grecques ou mexicaines !"
renchérit une infirmière en réanimation. 
Pour le 6ème pays le plus riche, ce n'est pas cohérent ! " 

" 20 € de plus par mois, ce serait se moquer de nous !" 
La nuit, quand on travaille, on a la réputation d'être bien payé ; or on est à 1,30 € de plus par heure ! "
Constat identique chez les médecins internes, dont les gardes de nuit n'ont pas été revalorisées depuis des années. Neuf ans après son bac, cet interne au chevet de patients Covid, se dit "désabusé".

"Les primes ce n'est pas pérenne, ça ne compte pas pour la retraite", ajoute encore Barbara. "S'ils ne bougent pas sur les salaires, le métier n'attirera plus", s'inquiète Carine Malésieux.


Le retour aux 35 heures ?


Pour Thomas Bourhis de la CGT, "c'est juste inenvisageable ! On a des personnels qui sont déjà au bord de la rupture. On estime qu'il n'y a pas de contrepartie à concéder dans cette histoire."
Barbara, de la Cavale s'y oppose également :"ça me fait très peur, c'est le retour du travailler plus pour gagner plus. Or, travailler plus, les gens l'ont déjà fait beaucoup. Si, à la base, on était mieux payés, ça irait mieux".


Besoin d'embaucher, besoin de lits supplémentaires


"Une revalorisation salariale c'est une bonne chose, mais s'ils n'augmentent pas le nombre des lits et de personnels, ça ne résoudra pas le problème", dénonce un médecin urgentiste du Finistère qui a souhaité garder l'anonymat.
"Il faut que le gouvernement rouvre des lits en catastrophe. Il faut plus de personnels, plus d'aide-soignants, plus d'infirmiers".
Et de conclure, amer : "Nous, on n'y croit pas. Il faudrait des millions pour tout changer."

Un besoin de personnel criant, relevé dans les différents établissements de la région. Dans le service de Barbara, près de la moitié de l'effectif est absent. Cette semaine encore, elle a été appelée deux fois pour un remplacement non prévu.
Avant d'embaucher, les personnels aimeraient d'abord que tous les postes soient pourvus et les arrêts remplacés pour un fonctionnement "normal". "Assez du sous-effectif permanent !", s'indignent les personnels.


Attirer les jeunes


A la question sur l'attrait du métier, Carine Malésieux, elle, préfère s'abstenir : "A l'époque, on n'était pas dépités après cinq ans d'activité". Pour Barbara, 20 ans de service, "les jeunes sont dégoutés des conditions de travail encore plus vite que nous on a pu l'être avant".


L'espoir ?


L'espoir, ce sont la création des collectifs inter-hôpitaux et inter-urgences. Le fait que les médecins soient de plus en plus nombreux à monter au créneau, "c'est une bonne nouvelle, cela pèse plus que des manifestations d'infirmières", témoigne Barbara.

Partagés entre la perte de confiance et l'envie d'y croire encore un peu... ces infirmières en réanimation se disent anciennes combattantes.
"On a toutes fait le Covid, l'hôpital a dû se ré-inventer, nous aussi."
"Je veux y croire car si là le gouvernement ne tient pas ses paroles, il ne les tiendra jamais, et l'hôpital s'effondrera", assure l'une d'entre elles.
 

Les états généraux qui s’ouvrent ce lundi ne sauraient ignorer le manifeste pour les soignants, synthèse des appels à l’aide de toute la profession. https://t.co/ivZmmn0KPQ

— Libération (@libe) May 25, 2020

De son côté, le professeur Michel Nonent fait partie du collectif Inter-hôpitaux qui sera autour de la table pendant ces sept semaines de concertation.
Le chef de service de radiologie au CHU de Brest avait démissionné de ses fonctions administratives en début d'année avant de les reprendre au moment de la crise du Covid.

Pour lui, même si la revalorisation des salaires est indispensable, il ne faut pas que le Ségur se résume à cela. "La logique financière de l'hôpital et la gouvernance doivent être revues entièrement. Il faut installer plus de démocratie".
En cela, la crise sanitaire aura eu du « bon » si l'on ose dire.

Malheureusement la crise a existé, et heureusement elle a démontré qu'il y avait un gros problème,
 affirme-t-il.
On y croit car on a démontré notre efficacité, en mettant le soin au cœur de l'hôpital, avec l'aide de nos gestionnaires, ce qui devrait être tout le temps le cas.
 


Dans son discours d'ouverture du Ségur, le Premier Ministre a d'ores et déjà annoncé qu'il y aurait des mesures salariales. 

Pour le reste, les professionnels de santé savent qu'il va falloir batailler. Ce n'est que le début.





 
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