Sexisme au travail : "Personne ne me croyait. Là, on voit que c'est quelque chose de courant !" Pourquoi une Bretonne éducatrice spécialisée collecte des témoignages

Avec plus de 850 abonnés en moins d'un mois, le compte Instagram #travail.social.sexiste rassemble un florilège de témoignages de travailleurs sociaux qui sont régulièrement témoins, ou victimes, de remarques et comportements sexistes dans le cadre de leur métier. Selon l'éducatrice spécialisée créatrice de ce compte, "c'est d'autant plus choquant qu'ils proviennent de professionnels dont le rôle est d'aider à l'émancipation !"

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« Je suis éducatrice spécialisée. A la sortie d’un entretien avec mon directeur, nous discutons voyages et passions que nous avons en commun. En clôture de notre échange, il dit à mon sujet : « c’est qu’elle est plus intelligente qu'elle en a l’air ! » Des témoignages de ce type, Sarah (prénom d'emprunt) en a déjà publié des dizaines sur son compte Instagram. 

En moins d'un mois, la jeune Bretonne a séduit plus de 850 abonnés via #travail.social.sexisme. En tant que créatrice de ce compte, elle y publie régulièrement les messages qu'on lui envoie. Ils viennent soit de travailleurs sociaux, soit de jeunes qui évoluent dans différentes structures sociales : "Je suis ado placée en protection de l’enfance. Je demande à prendre RDV chez le médecin pour les douleurs que je subis pendant mes règles. L’éducateur réplique avec un ton amusé "Pfouuu, faut arrêter avec ça hein ! C’est un peu placebo tout ça. Tu prends une bouillotte et ce sera bien aussi."

Objectif : rendre visible et légitime

Une remarque sur la répartition des tâches par-ci, une réflexion sur la tenue vestimentaire par-là. "En cinq ans d'exercice, j'en ai entendu des tonnes ! Mais quand j'en parlais autour de moi, on me disait que j'exagérais, que c'était des cas isolés..." explique-t-elle tout en souhaitant conserver l'anonymat. "Comme je savais que d’autres comme moi ont essayé d’interpeller, j'ai ouvert ce compte pour rendre légitime tous ces témoignages, et montrer aux autres que ce n’est pas que mon avis, c’est un constat !"

"Bonjour l'exemple !"

Si l'éducatrice spécialisée a décidé d'agir, c'est aussi parce que les répercussions sont, selon elle, cruciales dans son métier. En tant que moniteur éducateur, monitrice éducatrice, éducateur spécialisé, éducatrice spécialisée, éducateur et éducatrice de jeunes enfants, ou encore assistant(e) de service social, les travailleurs sociaux sont au contact de publics qui ont besoin de repères. "La base du travail social, c’est d’agir en faveur de l’autonomie des personnes, pour leur émancipation. Enfant ou autre, quelque soit l’âge, l’objectif principal du travailleur social c’est l’émancipation des personnes qu’on accompagne !" insiste la jeune femme qui sait pourquoi elle a choisi ce secteur d'activité. Et de raconter :

"Quand je travaillais auprès d’adolescents, à un moment donné, j’étais en train de faire à manger et un collègue homme arrive et me lance : "Ah ben c’est bien, chacun sa place !" Sur le moment, je n’ai vraiment pas compris, tellement c’était gros. Il a poursuit : "Ben, oui : les femmes à la cuisine et les hommes au travail !" Cela m'a laissé sans voix… Déjà en tant que professionnelle, j'ai subis ces propos complètement déplacés qui pourraient passer pour un pseudo humour mais en plus, il y avait des jeunes qui étaient présentes ! Bonjour l’exemple !"

Elle est convaincue que toutes ces remarques insidieuses influencent, même inconsciemment les jeunes : "Peut-être pensent-ils que c'est la norme, ils peuvent l’intégrer, et le reproduire un jour peut-être... Cela impacte la façon dont les jeunes se construisent en tant que futurs adultes !" 

"Déni sur la question du genre"

Ces derniers mois, plusieurs mouvements ont pris de l'ampleur via les réseaux sociaux : #BalanceTonPorc, #MeToo... Avec #travail.social.sexiste, Sarah, elle, espère voir les choses évoluer. "Les questions d’égalité femme / homme, les questions de genre, etc. n’étaient jusqu'à présent absolument pas abordées, ni même conscientisées par les professionnels, par la direction des établissements, ni même par les institutions et les centres de formation !"

Des travaux en sciences humaines et sociales ont été menés par le sociologue Marc Bessin, qui a tout particulièrement étudié les enjeux de la sexuation dans le travail social. Selon lui, il y a "un déni sur la question du genre dans le travail social."

"Parce qu’on est travailleur social, on pense qu’on est neutre, objectif, bienveillant, pas discriminant. Or ce n’est pas pour autant que dans la réalité, il n'y a pas de propos pas discriminants" complète Sarah qui insiste sur l'importance des formations : "Ce n'est pas qu'une histoire d'individus, c'est aux directions, mais aussi et surtout aux centres de formations d'aborder ces sujets de société. A quel moment on va parler des questions de genre ? A quel moment on va parler de l’impact que l’on peut avoir, nous, professionnels sur le public que nous suivons ? Comment peut-on participer à certaines oppressions sans le vouloir ?… Il faut que les centres de formations prennent leur responsabilité, pour éviter de perpétuer tout ça."

En attendant que les choses et les mentalités évoluent, Sarah invite tout ceux qui le souhaitent à témoigner des paroles ou comportements sexistes vus, entendus ou subis dans le travail social : "Cela aide à prendre conscience... Certains m’ont déjà dit merci : ils pensaient que tout cela était normal."


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