Suicide dans l'agriculture : "Ceux qui crèvent, ils ne sont pas dans les manifs"

Avec la crise, la profession agricole semble plus que jamais exposée aux suicides des éleveurs, qui hésitent à rompre le silence.Toutefois, avec l'effondrement des cours et le manque de perspective, les langues se délient, pour témoigner de la mort d'un voisin ou de sa propre tentation d'en finir.

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Au Salon de l'Agriculture, les éleveurs abordent le sujet spontanément. Dans les manifestations des semaines passées, les agriculteurs ne parlaient que de ça. Tous évoquent un confrère dans le Finistère, un copain dans le Morbihan, un autre dans les Côtes d'Armor... Retrouvés dans sa grange, à la poutre de l'étable... "On en connaît tous", confirme le président de la FNSEA, le principal syndicat agricole, Xavier Beulin. 

J'avais commencé à tresser la corde

Louis Ganay, syndicaliste engagé chez les Jeunes agriculteurs (JA) du Morbihan a témoigné sur les réseaux sociaux pour raconter ce qui devait être sa dernière soirée. "J'avais commencé à tresser la corde", assure cet éleveur de 35 ans. C'était en janvier 2015, il venait de perdre 15 vaches brutalement, les cours sombraient, les impayés s'accumulaient. La banque l'a appelé un après-midi pour lui annoncer sa mise en liquidation. "Je me suis retrouvé seul face à mes problèmes. Les autres n'ont pas compris ce qu'il se passait pour moi ", confie-t-il au site wikiagri. C'est la rencontre avec un guérisseur qui l'a sauvé. 

La solitude...

"Souvent, c'est l'appel de la banque qui fait basculer", explique Philippe, 36 ans, installé dans le même département breton. "Il faut comprendre que l'agriculteur est vissé à sa terre, c'est viscéral, de père en fils : ça rend l'échec insurmontable". Nous avons recueilli le témoignage de Dominique, lui a tenté de mettre fin à ses jours. "Trop d'argent en jeu", nous confie-t-il sous couvert d'anonymat. 
Le reportage de Séverine Breton et Bruno Van Wassenhove

Il y a dix ans, Marion Quartier a trouvé l'un de ses amis, pendu peu après le Nouvel An. Les deux familles étaient proches, elle est la marraine d'un de ses fils. "Il était jeune, avec des difficultés de trésorerie, débordé par la paperasse, les déclarations. L'élevage laitier c'est dur, 24 heures sur 24, il faut supporter l'astreinte", confie-t-elle.

pas seul au téléphone avec la banque

Eleveuse dans l'Aube, elle est aussi maire de sa commune, Marolles-les-Bailly. A ce titre, elle tente de repérer les collègues en difficulté. "Quand on s'installe on fait face à des emprunts tellement élevés. Alors qu'on n'a aucune visibilité sur l'avenir. Or bien souvent, on ne parle pas de nos difficultés financières, la tentation est même de les cacher".

...et la pression des banques

Comme administratrice du Crédit agricole, elle a obtenu de pouvoir contacter l'agriculteur menacé de liquidation avant l'appel funeste. "Je peux lui parler, l'aider à trouver une solution" avec les organismes dédiés. "Au moins, il n'est pas seul au téléphone avec la banque". "L'avantage" de cette crise, qui tape tellement dur et plus longuement que les précédentes, avance-t-elle, c'est qu'on en parle même hors du milieu agricole. "Cela nous aide à aborder le sujet".

Une pétition circule

Le 11 octobre dernier, Jacques Jeffredo, un maraîcher du Morbihan, a sonné la mobilisation en organisant une messe dédiée aux familles des suicidés agricoles à Saint-Anne d'Auray. 600 croix ont été plantées, symbolisant les 600 agriculteurs qui, selon lui, se donnent la mort chaque année, "deux par jour". Sa pétition a recueilli près de 20.000 signatures depuis l'été. 

Une étude conduite entre 2008 et 2013 sur commande de la Mutualité agricole (MSA), a confirmé un suicide tous les deux jours. Chiffre sans doute en hausse dans les départements d'élevage, surtout dans l'ouest.

Ceux qui crèvent, on ne les entend pas

Dans la foulée de l'étude, la MSA (mutualité sociale agricole) a formé des "sentinelles" et des cellules pluridisciplinaires d'écoute. Un numéro réservé aux agriculteurs en détresse (09.69.39.29.19), Agri'écoute, qui fait partie du Plan Prévention suicide, a vu les appels augmenter en 2015 (1.219 recensés) mais surtout se prolonger: "entre 10 et 20 minutes. Ces personnes ont envie d'être écoutées, d'exprimer leur mal-être", constate le Dr Véronique Maeght-Lenormand, médecin du travail à la MSA.

"Mais ceux qui crèvent ou qui sont en grande pauvreté, on ne les entend pas; ils ne sont pas dans les manifs. C'est un métier qui a du mal à accepter l'échec", prévient le sociologue François Purseigle.

En 2011, la France a enregistré un total de 11.000 suicides.
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