L'un à bord d'un engin ultra volant, l'autre en faisant le tour du monde sur le Vendée Globe, ils ont vécu un chavirage qui a emporté leur voilier: Armel Le Cléac'h et Kevin Escoffier reviennent ensemble dans un même bateau. Entretien croisé.
Armel Le Cléac'h reprend la mer à bord d'un Ultim (Maxi Banque
Populaire), construit après la perte du précédent bateau volant lors de la Route
du Rhum 2018; Kevin Escoffier retourne en course après le chavirage de son monocoque lors du dernier Vendée Globe.
Ils repartent en semble pour offrir une première transat à ce nouvel Ultim. Cap sur Fort-de-France et la seconde confrontation en course de ces géants des mers.
Qui a choisi l'autre pour cette Transat ?
Armel Le Cléac'h: "Avant le Vendée Globe, Kevin faisait partie de ma short-list. Il remplissait toutes les cases, il a une connaissance de ces bateaux-là en terme de structures, de réglages, de comportement. C'est génial d'avoir Kevin avec moi."
Kevin Escoffier: "Une Transat Jacques Vabre en Ultim avec un bateau pour lequel j'ai participé à la conception, avec Armel avec qui on a vécu des histoires, j'ai dit
oui tout de suite. Ce sont des bateaux qui mettent des étoiles dans les yeux, c'est
juste les plus beaux bateaux au monde."
Vous avez tous deux connu un chavirage. Avez-vous ressenti le besoin d'en parler
?
Armel Le Cléac'h: "Je vais commencer (à répondre) parce que j'ai
la primeur du truc."
K.Escoffier: "Tu as l'antériorité !"
Le Cléach': "Dans ce que j'ai vécu moi, Kevin était partie prenante, il était
dans le team (Banque Populaire), il était dans la cellule stratégie météo de la
course, il est venu m'accueillir sur un bateau de pêche à Vigo (Espagne), il était
aux premières loges de l'accident et des premières heures à terre. On a pu discuter.
Finalement, ce que moi j'ai vécu, il l'a très vite eu.
on n'a pas eu à se mettre tous les deux dans un canapé à raconter ma vie de naufragé
Armel Le Cléac'h
Pour ma part, on n'a pas eu à se mettre tous les deux dans un canapé à raconter ma vie de naufragé, ça s'est fait parce qu'on était ensemble dans l'événement. Et dans ce que Kevin a vécu lui, moi je l'ai vécu de l'extérieur. Quand il est rentré en France, on a parlé Jacques Vabre et il m'a raconté ce qu'il a vécu. Je le connais un peu, j'avais l'impression qu'il avait pris le dessus, il n'avait pas l'air traumatisé".
Kevin Escoffier: "Moi je n'ai aucun problème à en parler, ça n'arrive pas tous les jours. Je le vis bien, y a un côté traumatisme, t'as vécu quelque chose de dangereux. Mais je n'ai pas l'impression. Ou alors le traumatisme a été très court. Je me suis senti en danger mais je ne suis pas traumatisé. Là ou j'aurais presque été traumatisé, c'est si j'avais fait une boulette, de manœuvre ou de gestion du bateau.
J'ai appris beaucoup de choses
Kevin Escoffier
J'ai fait le tour du truc, franchement ce n'est pas le cas. Et sportivement je
n'ai pas été ridicule. J'ai appris beaucoup de choses. Certes j'ai aussi appris
à faire du radeau, bien évidemment, mais j'espère ne pas trop en refaire !"
Avoir la certitude que vous n'aviez fait pas d'erreur vous a aidés à tourner
la page ?
Kevin Escoffier: "J'aurais eu plus de mal à m'en remettre si cette casse de bateau avait été de mon fait. Tu peux aussi remettre en cause ton projet, PRB (son sponsor, NDLR) aurait pu me dire: 'on vient de perdre un bateau à 2 millions d'euros - c'était à peu près la valeur de revente - c'est fini'. Pareil pour Armel, Banque Populaire aurait pu dire: 'l'Ultim c'est plié'. Tu le vis beaucoup mieux quand ton sponsor te suit."
Armel Le Cléac'h: "J'ai le même retour d'analyse. Après la Route du Rhum, je voulais être sûr que je n'étais pas responsable de la perte du bateau parce que j'avais mal utilisé le bateau ou pas respecté le cahier des charges. C'était important pour avancer, dans ma démarche de passer à autre chose.
je ne suis pas mort, j'ai été récupéré, la vie continue
Armel Le Cléac'h
Dire: "ok j'ai vécu un truc, ça a été chaud, y a un moment j'ai eu peur, j'ai failli mourir, je ne suis pas mort, j'ai été récupéré, la vie continue, j'ai envie de retourner naviguer et je ne suis pas responsable. Ok, on y va".
Deux naufragés en duo, on vous le dit souvent ?
Kevin Escoffier: "Non mais t'imagines ! On nous en parle régulièrement. Les gens nous le disent pas forcément en face parce qu'on peut aussi arrêter de sourire, mais je suis sûr qu'il y en a plein qui ont dit : 'et bah punaise, les deux qui ont
coulé des bateaux qui vont faire la Jacques Vabre ensemble !'
On fait un sport mécanique, des fois ça casse
Kevin Escoffier
Même mes frères m'ont envoyé des textos ! Faut en rire. On fait un sport mécanique, des fois ça casse. Dans notre cas, le seul truc dont il fallait se remettre c'est que c'était chaud au niveau physique. Et ça, ça a l'air d'aller !"