Usines de méthanisation : une « fausse énergie verte », selon les opposants

A Trémorel la justice vient de retoquer le projet d’unité de méthanisation autorisé par la préfecture des Côtes d’Armor. L’occasion pour les opposants de faire un point sur ces projets qu’ils considèrent dangereux pour l’environnement et l’agriculture de demain.

C’est une victoire que les opposants au projet souhaitaient partager avec tous les collectifs mobilisés contre des projets similaires. Une victoire qui met du baume au cœur à des milliers d’opposants aux usines de méthanisation.

Le 12 avril dernier, le juge des référés, saisi par les porteurs du projet, a confirmé la suspension des travaux de construction de l’unité de méthanisation de Trémorel. Dans sa décision, le tribunal a estimé que le dossier tel que présenté, n’apportait pas les garanties suffisantes du point de vue du risque de pollution.

L’association pour la sauvegarde de la vallée du Meu à Milon en Trémorel se réjouit de cette décision mais elle sait que le combat est loin d’être terminé. « Le dossier continue d’avancer et on sait que le projet pourrait finir par être autorisé malgré tout » explique leur avocate Maître Emmanuelle Bon-Julien.

 

Les inquiétudes des riverains

Dominique Minard est le propriétaire de la ferme bio installée à proximité du site. Il est vent debout contre le projet.

En 2018 ce producteur de lait a perdu plusieurs de ses bovins contaminés par la bactérie de la fièvre Q, une bactérie fortement volatile qui s’est échappée de l’abattoir SVA situé à proximité. Chez l'animal, la fièvre Q est avortive, chez l'homme elle peut engendrer de la toux, des pneumopathies, des ménigites, des encéphalites ou provoquer le syndrome de Guillain-Barré. « A Trémorel, ils vont incorporer 1700 tonnes des déchets de l’abattoir SVA. Cette matière est porteuse de bactéries et la méthanisation ne permet pas d’éliminer toutes ces bactéries » se désole-t-il.

D'autres riverains présents à la réunion se sont émus des nuisances que l'usine engendrera et notamment des centaines de camions nécessaires au transport des intrants et des déchets qui y seront produits. "Depuis des années le monde agricole nous met devant le fait accompli. Nous ne voulons pas de ce projet qui va causer d'importantes nuisances environnementales" dit une habitante. Elle dénonce aussi les intimidations et menaces dont les opposants seraient victimes.

 

L'eau potable du bassin rennais directement impactée en cas d'accident

Le projet porté par la société Breizh Collectif Energies prévoit d’installer une unité de méthanisation de 52 tonnes de déchets par jour sur le lieu-dit Milon à Trémorel.

Le terrain choisi pour l’implantation n’est pas à proximité immédiate d’habitations mais se trouve en bordure d’une zone humide, d’une exploitation bio et à 40 mètres du Meu, rivière qui alimente une zone de captage d’eau potable pour le bassin rennais.

Si un accident survenait c’est donc toute la métropole rennaise qui pourrait être privée d’eau potable, comme ce fût le cas à Châteaulin en août 2020 quand 400 m² de digestat de la centrale de production de biométhane de Kastellin s’écoulèrent près de l’Aulne, privant 180 000 personnes d’eau potable pendant plusieurs jours.

 

Une conférence de presse pour alerter sur les dangers de la méthanisation

Ce mardi 20 avril les opposants aux projets de Trémorel (22) ont convié les journalistes et d’autres associations militantes à participer à une visioconférence. Ils savent que la médiatisation est essentielle pour se faire entendre des décideurs politiques, les seuls capables de pouvoir stopper la multiplication de ces usines.

Quatre-vingts personnes de toute la France (Drôme, Mayenne, Lot, Pyrénées Atlantiques, Lorraine, …)  ont participé ce 20 avril à la visioconférence. C’est dire si le sujet suscite curiosité et surtout inquiétudes. Parmi elles quelques journalistes mais aussi et surtout des riverains de projets similaires, des militants écologistes, des membres d’associations environnementales et des scientifiques. Tous s’inquiètent des dérives de ce procédé présenté comme une révolution énergétique verte.

« On nous vend une production de gaz vertueuse. Pourtant, les projets de construction d’unités de méthanisation sont à l’origine de nombreuses nuisances » dit en préambule de son intervention Daniel Chateigner, professeur des universités à Caen, membre du Collectif Scientifique National Méthanisation raisonnée (CSNM) qui regroupe 25 scientifiques indépendants . « Les odeurs, le bruit, le transport de matières, l’impact sur les sols, sur la biodiversité, sur l’air et sur l’immobilier sont de réelles nuisances […] Aujourd’hui en France nous avons recensé 260 000 signatures de pétitions contre des projets de méthaniseurs. »

 

Multiplication par cinq du nombre d’accidents

L’année dernière à Châteaulin 400 m² de digestat se déverse dans l’Aulne suite au débordement d’une cuve. L’ammoniac qui s’écoule fait des dégâts considérables sur la faune et la flore. Cinquante communes sont impactées et 180 000 personnes privées d’eau potables pendant plusieurs jours.

En 2018 une fuite de 18m² de digestat ont suffit à détruire faune et flore sur 1,3 km à Beuzec Cap Sizun. En 2012 à la suite d’une panne sur un capteur de niveau, un bac de stockage d’effluents organiques déborde dans une usine de méthanisation de Saint Gilles du Mené. Le produit ruisselle sur le bitume et se déverse dans le bassin dont les vannes sont restées ouvertes. 50m³ de matières organiques liquides polluent le Fromene et la Lie. En juillet 2019 la même usine de Géotexia connaît un important incendie.

Depuis 2015, le nombre d’accidents a été multiplié par 5. « Cela correspond avec la libération des subventions et la facilitation des permis de construire » selon le professeur normand.

 

Fausse énergie verte

Pour Dominique Oudin, opposant au projet de méthaniseur de Néant sur Yvel (56) « c’est tout sauf un procédé écologique ». Ce spécialiste des risques industriels explique que « les accidents sont souvent le résultat de la non maîtrise des réactions chimiques qui se produisent dans les cuves. ». Selon lui « on confie cela à des gens qui ne sont pas capables de gérer. C’est comme confier la restauration de la Joconde à des peintres en bâtiment »…

Sur l’intérêt écologique du biométhane, pas de place pour la langue de bois. « La neutralité carbone annoncée est totalement fausse » explique le coordonnateur du CSNM. « La méthanisation est une énergie carbonée. Elle crée 60% de méthane et 40% de CO2 ». Elle participe donc activement à l’effet de serre. En outre « ces unités ne produisent que très peu d’énergie primaire. En moyenne il faudrait 1500 méthaniseurs pour remplacer un seul réacteur nucléair.e »

En 2019, la consommation de gaz naturel s'élevait à 440 Twh en France dont 2 à 3 Twh de biogaz. En 2020, la consommation globale de gaz est passée à 479 Twh et le biogaz représentait 5 à 6 Twh. "La production des unités de méthaniseurs ne comble pas 20% de l'augmentation de la consommation de gaz en France. L'énergie produite représente en fait 0,18 % de l'énergie primaire" commente Daniel Chateigner.

 

Des terres agricoles dédiées à alimenter les méthaniseurs

Autre information peu connue du grand public : la quantité de matière nécessaire pour alimenter ces méthaniseurs est phénoménale. Dans la majorité des cas, les vrais déchets de l’agriculture et de l’industrie alimentaire ne suffisent pas. On y ajoute donc des matières végétales spécialement produites à cette fin.

En France « pour les 1167 méthaniseurs existants on produit 113 000 tonnes de maïs et 1 328 000 tonnes de cultures intermédiaires à vocation énergétique » (ciboules, trèfle, maïs, colza…) détaille Daniel Chateigner.

La loi de transition énergétique de 2015 prévoit que 10 % du gaz distribué en 2030 dans le réseau français soit issu de la méthanisation agricole. Les objectifs gouvernementaux de développement de la filière biométhane conduiraient donc à consacrer la superficie de trois départements aux cultures énergétiques. Autant d’aliments qui n’iront ni aux hommes, ni aux bêtes.

Selon les scientifiques du CNVM, la biomasse que la France est capable de produire ne suffira pas à alimenter toutes les unités de méthanisation. Il faudra donc importer massivement du maïs ou du soja notamment en provenance du Brésil ou d’ailleurs.

 

Une opération lucrative pour les producteurs de biométhane

Pour un méthaniseur de moins de 250 kW, le gaz est racheté environ 18 centimes €/kWh, et 16,5 centimes €/kWh pour un digesteur d’une puissance supérieure à 250 kW. À cela s’ajoute la prime effluents qui augmente le prix de 4 centimes du kilowattheure si les effluents d’élevage représentent 60 % des ingrédients injectés.

« Le prix de rachat du biométhane est tellement intéressant que les agriculteurs ont plus intérêt à produire de l’énergie qu’à produire des aliments ! En plus ils sont doublement gagnants puisqu’ils sont subventionnés pour faire cela » s’insurge René Louail. L’ancien président du groupe écologiste au Conseil régional rappelle que jusqu’en 2019 la Bretagne a subventionné ces projets.

Selon le professeur Chateigner, ce sont 640 000 euros de subventions qui sont versées pour chaque emploi direct créé à la construction d’un méthaniseur.

 

Remettre la question du biométhane au centre du débat public

« D’ici quelques années, 50% des agriculteurs bretons vont partir à la retraite et les fermes vont changer de main. Il est urgent d’avoir un débat sur la transformation du modèle agricole breton qui est en train de se produire. On connait les conséquences de l’utilisation des pesticides dans les cultures intensives sur la qualité de l’eau et de l’air » insiste l'ancien militant de la confédération paysanne.

On est en train de faire des agriculteurs des producteurs d’énergie.

René Louail

 

La Bretagne, championne nationale

En Bretagne, 1% des terres agricoles utiles sont occupées par des unités de méthanisation, ce qui la place en tête des régions françaises. La région compte 216 unités de méthanisation en fonctionnement, 170 sont en construction. Des dizaines d’autres sont déjà dans les tuyaux.

 

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