Les côtes bretonnes et surtout les côtes léonardes sont parmi les plus riches au monde en algues. Yves Bramoullé est né à Lilia Plouguerneau dans une famille de goémoniers. Il a grandi parmi les goémoniers et est resté attaché à cette communauté de son enfance.
Enfant, dès ses six ans, Yves Bramoullé savait godiller et allait souvent aider ses parents à ramasser le goémon sur l’île Venan, non loin du phare de l’Île Vierge. Ses parents, comme beaucoup de monde sur le littoral alors, avaient deux métiers, goémoniers d’abord et paysans ensuite. Une petite ferme leur permettait de se nourrir de façon autosuffisante : un cheval, deux vaches, un cochon ou deux, quelques poules et lapins.
Le goémon leur rapportait un peu, très peu, d’argent. Adolescent, il conduisait le cheval, en breton, et répétait les gestes : décharger le bateau, charger la charrette, étaler le goémon, l’abriter de la pluie, l’étaler de nouveau, le mettre en tas. Encouragé par ses parents à bien travailler à l’école pour faire autre chose, il s’engage dans la Marine nationale à 17 ans.
L'industrie de l'iode
Le goémon servait à amender les terres agricoles, car il est riche en azote et en potassium. Son principale usage sera dans l’industrie. Il entre dans la fabrication du verre au XVIIe siècle et dans celle de l’iode à partir de 1820. L’iode dans les cendres d'algues est découverte en 1811 par le chimiste Bernard Courtois.
Pour obtenir de l’iode, on brûlait le goémon dans des fours sur les dunes pour avoir de la soude. Les goémoniers apportaient les pains de soude à une usine d’extraction d’iode proche. Ils étaient payés en fonction du poids de leur cargaison et de la densité en iode de celle-ci, qui variait en fonction de la variété de goémon brûlé. L’iode était utilisé dans l'industrie de la photographie (iodure d'argent) et surtout le domaine médical : la teinture d'iode était un désinfectant pour les blessures externes. Des usines à iode se créent rapidement le long du littoral breton.
Dans les années 1925-1930 les goémoniers représentent la moitié de la population active de Plouguerneau, soit environ 3000 personnes. On dénombre 377 bateaux dans les trois ports du Zorn, du Korejoù et de Lilia. Des goémoniers s’en vont récolter le goémon sur les îles aussi, de mars à octobre, la saison des laminaires. Béniguet, Litiry, Morgol, Quéménès, Triélen, Île aux Chrétiens, Lédénès de Molène, Balanec, Bannec… Là-bas, ils vivaient dans de petites barraques de pierres et de tôles et utilisaient le goémon comme combustible et l’appellaient « bois de mer ». Le beau-père d’Yves Bramoullé, Job ar Mare, était aussi goémonier, il a fait 40 ans de campagnes dans les îles.
En 1929, alors que l’économie mondiale vacille, le prix de l’iode chute. Les importations d’iode meilleur marché du Chili conduisent de nombreuses usines du littoral breton à fermer. A Plouguerneau et ailleurs, restent encore les vestiges de ces usines. Les jeunes s’en vont alors dans la Marine nationale, dans la marine de commerce ou dans les arsenaux de Brest et Lorient.
En 1945, il ne reste plus que 388 goémoniers à Plougerneau, 67 en 1960 (sur 48 bateaux), 56 en 1970.
Moderniser le métier
A partir des années 1950, on trouve d’autres vertus au goémon dans l’industrie alimentaire, la pharmacie, la thalassothérapie, la cosmétique, la diététique. Les alginates, issus des laminaires, servent notamment à fabriquer des gélifiants naturels, incolores, inodores et sans goût.
Le métier de goémonier se modernise. Vers 1950, les bateaux s’équipent d’un moteur. Vers 1960, la guillotine, une faucille à long manche, cède la place au scoubidou, un croc qui au lieu de couper arrache le goémon sous l’eau. Le scoubidou est inventé par Yves Colin, goémonier à Porspoder, alors que la chanson de Sacha Distel fait fureur. En 1971 est inventé le scoubidou hydraulique. Le métier reprend vigueur. En 1978, c’en est fini de sécher le goémon sur les dunes : il est livré frais à l’usine. Le nombre de bateaux croît.
Une chance pour Plouguerneau
Plouguerneau tire parti de cette richesse. Aujourd’hui encore à Agrimer et à Bretagne Cosmétiques Marins à Plouguerneau, on travaille le goémon. Quatre-vingt personnes travaillent dans ces entreprises. Les biologistes inventent de nouvelles crèmes qui seront vendues sous plusieurs marques cosmétiques de renom. Comme la peau humaine, l’algue est exposée au soleil : ses atouts pour se préserver sont utiles à la cosmétique. La proximité de la matière première est appréciable pour une parfaite conservation. Sitôt arrivées, les algues sont séchées, déshydratées, tamisées et travaillées.
Plouguerneau compte quatre bateaux goémoniers sur un total de trente-quatre en Léon. Ils coupent les laminaires de mai à octobre.
L’évolution du métier de goémonier est retracée à L’Ecomusée des Goémoniers à Plouguerneau. Ce musée a été ouvert en 1983 par des enfants de goémoniers et des goémoniers, dont Yves Bramoullé. D’avril à octobre, il accueille cinq à six mille visiteurs. Chaque été, il organise la fête des goémoniers au Corréjou : s’y tiennent des démonstrations de coupe du goémon sur le vieux sloop Karreg-Hir. L’Ecomusée s’installera prochainement dans de nouveaux locaux, une ancienne usine d’extraction d’iode, au Corréjou.
Depuis qu’il est en retraite, Yves Bramoullé a patiemment étudié la société goémonière, pour laquelle il a tant d’affection depuis son enfance. Il est l’auteur de deux livres à leur sujet : « Goémoniers des îles » et « Sur la route des goémoniers », sur l’histoire des algues et la communauté goémonière.
Revivez l’aventure goémonière de Plouguerneau, capitale internationale de l’algue, dans un reportage de six minutes avec Yves Bramoullé, dans cette émission Bali Breizh.