En 2019, le président de la région François Bonneau (PS) promettait la création de 150 postes de médecins salariés en Centre-Val de Loire, pour attirer et retenir des docteurs sur le territoire. Neuf contrats ont été signés depuis le début des recrutements, début 2021.
C'était la promesse de l'endiguement de la désertification médicale du Centre-Val de Loire : en novembre 2019, la Région annonçait l'embauche de 150 médecins salariés dans une trentaine de maisons de santé, réparties sur le territoire.
Un an et demi plus tard, le Centre-Val de Loire est toujours la région avec le moins de médecins par habitant en France métropolitaine. Dans le contexte de la campagne pour les Régionales des 20 et 27 juin, le sujet du salariat des médecins a refait surface. Lors du débat de ce 9 juin sur France 3, les candidats Marc Fesneau (MoDem) et Aleksandar Nikolic (RN) ont accusé la mesure d'être de la poudre aux yeux, la Région n'étant parvenue à engager que sept médecins. "Nous avons dix médecins qui se sont installés, dix autres qui vont s'installer", avait alors répondu le président sortant François Bonneau (PS).
Qu'en est-il vraiment ? Il semblerait que la vérité se trouve... entre sept et dix. "Nous avons neuf contrats signés, un accord de principe, et une dizaine de contacts très sérieux", affirme Aline Chassine-Deniau, directrice du groupement d'intérêt public (Gip) Pro Santé chargé du recrutement des médecins salariés. Donc presque dix. Mais à y regarder plus prêt, sur ces neuf contrats signés, un médecin, "qu'on savait en tangage" et installé à Jargeau, a décidé de partir. Et un autre, lui-aussi à Jargeau... était déjà salarié au sein du centre de santé par la communauté de communes, avant sa reprise par la Région.
L'autorisation n'a été obtenue qu'en janvier... 2021
Pour Aline Chassine-Deniau, dire que sept, neuf ou dix médecins ont été recrutés en un an et demi est très réducteur, voire complètement faux : "Le déploiement du Gip commence vraiment depuis février et mon arrivée." Parce qu'avant ça, il y a eu "moult rebondissements, dont un premier refus du ministère", avant l'autorisation accordée à la Région (une première en France) de salarier des médecins en janvier 2021.
Un contrat est, selon elle, "un travail de longue haleine", entre prise de contact, étude des candidatures au cas par cas et aide dans les démarches, avec trois maîtres mots : "Séduction, information, accompagnement." Comme pour ce médecin belge intéressé par le salariat dans la région, et à qui le Gip "a fait six offres de locations de maisons, trouvé l'école pour ses enfants et l'école de danse pour la petite". L'objectif : rendre la région attractive.
L'un des moyens d'y parvenir repose en un mot : salariat. "Les jeunes médecins sont beaucoup plus intéressés par le salariat que les gens de ma génération", souffle le docteur Christophe Tafani, président du Conseil de l'Ordre des médecins du Loiret. Ce qui ne veut pas dire que cette envie concerne tous les médecins, et "certains veulent aller en libéral ou à l'hôpital". Mais le salariat présente, selon lui, des avantages concrets pour un jeune médecin, fraîchement sorti de son internat :
En 1 : la qualité de vie, avec un exercice plus réglé, des horaires cadrés et un temps de travail plus limité. En 2 : l'administratif, je rentre chez moi et je ne m'occupe de rien, c'est réglé par la secrétaire. En 3 : ça permet d'avoir des vacances aussi plus réglées, et des temps de formation prévus.
De nombreux patients sans médecin traitant
Des arguments qui ont convaincu la docteure Colette Delavenna de venir, elle-aussi, s'installer au centre de santé de Jargeau, dans le Loiret. Auparavant salariée du Département dans un centre de protection maternelle et infantile à Orléans, elle souhaitait retourner à de la médecine générale après 10 ans de pédiatrie. A Jargeau, elle travaille 39 heures, et bénéficie d'une demi-journée de repos pendant la semaine. "Ca ménage des horaires satisfaisants, pour un bon salaire", explique-t-elle. Un salaire "pas moins important en ce qui me concerne" que ce qu'elle pourrait toucher en libéral.
Pour la docteure Bérangère Bourdin, la condition du salariat a aussi été décisive. Originaire de la région, elle fait ses études à Tours puis entame des remplacements en Indre-et-Loire et en Loir-et-Cher après la fin de son internat en 2013. Jusqu'à ce qu'elle entende parler du salariat par la Région à la radio. Depuis mai, elle est installée au centre de santé de Beauce-la-Romaine, dans le 41. "En libéral, il y a plus de lourdeurs ce qui, pour moi, était un frein à l'installation", confie-t-elle.
Alors l'embauche par la Région était, pour Bérangère Bourdin, une occasion d'avoir son cabinet à elle. Car avant cela, elle précise : "Je n'avais pas vraiment de projet géographique, je me suis installée parce qu'il y avait la possibilité du salariat" en Centre-Val de Loire, à "un endroit qui ne nous éloignait pas trop de nos familles, et qui permettait à mon coinjoint d'avoir aussi des opportunités". "Je ne sais pas si je l'aurais fait en libéral."
Et leurs arrivées respectives ont fait du bien aux zones concernées : installées toutes deux depuis un mois environ, les deux médecins voient chaque jour une succession de nouveaux patients. "La grande majorité n'a pas de médecin traitant, ou en a un assez loin", note la docteure Delavenna, décrivant là une situation concrète de désert médical. "Et pour certains, leur état de santé ne leur permet pas de se déplacer", ajoute Bérangère Bourdin.
Attractivité régionale
L'objectif de la Région semble, tout du moins en partie, rempli : faire que des médecins sortant de l'université de Tours aient l'opportunité et les bons arguments pour les faire exercer en Centre-Val de Loire. Evidemment, le salariat n'est pas une solution unique. La Région le sait, et a notamment poussé au développement de maisons de santé pluridisciplinaires. Plus généralement, "il faut travailler sur l'atractivité, arrêter de faire du Centre-bashing, parce qu'on est pas plus bêtes qu'ailleurs, et montrer aux médecins que, s'ils viennent, ils pourront travailler, habiter dans des endroits sympas, envoyer leurs enfants dans des facs qui tiennent la route", plaide Christophe Tafani.
Le salariat des médecins en centres de santé ne représente à l'heure actuelle que 2% des 230 000 inscrits à l'ordre des médecins en France. Et le chiffre "n'est pas du tout en explosion dans le Loiret", note le docteur Tafani, qui pointe simplement du doigt une tendance nouvelle en progression.
Quant à la pérennité d'un tel système, le président du Conseil de l'Ordre des médecins du 45 craint que "la rentabilité risque de poser un jour problème" : "Est-ce que les collectivités auront les moyens d'assurer les mêmes salaires que dans le libéral avec des médecins qui voient moins de patients ? Se posera un jour la question de la cadence des rendez-vous et de la rémunération des médecins salariés", prédit-il.
Du côté de la Gip, on affirme que la campagne de recrutement va prendre de l'ampleur dans les prochains mois. Deux chasseurs de tête ont été recrutés, un pour les médecins français et un pour cibler des médecins étrangers souhaitant s'engager dans les démarches leur permettant d'exercer en France. Des démarches de plusieurs années, mais qui représentent un investissement à long terme pour la région. Une nouvelle campagne de communication, de plus grande ampleur, devrait également voir le jour à l'automne.