" Marin d'eau douce ! ": les mots pour le dire

Le Festival de Loire est aussi l'occasion de réviser le vocabulaire propre aux métiers de la mer. Ce jargon est souvent riche de termes qui prêtent parfois à sourire, mais qui ont toujours une explication. Petit lexique à destination des amateurs.

«  Avez-vous vu les mariniers, comme ils sont braves, hardis, légers ?  »
Les matelots qui chantaient cette chanson, ouvriers de la marine de Loire, ont quasiment disparu aujourd’hui. On les appelait « mariniers » dans le nord et le centre de la France, ou « batelier » dans le sud.
Victime de la révolution industrielle du chemin de fer, la profession s’est presque éteinte au début du XXe siècle. Avec elle, une communauté qui vivait depuis plusieurs siècles en marge d’une France majoritairement sédentarisée.
Les marins d’eaux douces, contrairement à leurs petits camarades sur berges – les lavandières, maraîchers ou autres vulgaires paysans – pouvaient jouir, eux, de ce luxe inaliénable qui fait leur fierté : leur liberté.
Cette communauté s’est ainsi enrichie d’un vocabulaire secret et savoureux d’environ 2000 mots et expressions – qui excluait de fait les profanes.
Vous trouverez ici un excellent recueil du jargon fluvial et batelier. Un certain nombre de mots et expressions courantes contemporaines sont nés dans nos rivières et canaux, sans que nous n’en ayons forcément conscience.

Sélection de petites perles

Automoteur : ne prononcez JAMAIS le mot péniche, malheureux. C’est un sacrilège. Chez les mariniers, les vrais, on dit automoteur.
Bouffer de la lune : naviguer en dehors des heures légales d’ouverture des écluses. On peut dire aussi « brûler son matelas ». N’y voir aucune connotation galante.
Bouter : action qui permet de repousser un bateau tractionné et de le maintenir loin de la rive, en poussant sur une longue et forte perche (un bâton de marine). Ex : « Je suis ci venue de par Dieu le roi du Ciel, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute France. » Jeanne d’Arc aux Anglais (1429)
Balade-couillons : Terme par lequel les mariniers désignent un bateau de transport de passagers à usage touristique. Sympathique.
Battre en arrière : inverser le sens de rotation de l’hélice, généralement pour s’arrêter. Et vouiii, il n’y a pas de frein sur un bateau.
Ça : rien à voir avec le Ça de Freud. Il s’agit, sur le Rhône, d’un câble de remorque.
Cigare : nom familier donné par les éclusiers aux narrow-boats, bateaux anglais, en raison de leur étroitesse. Well…
Chie-dans-l’iau : sobriquet affectueux que donnaient les gens d’à terre (les lavandières surtout) aux mariniers. Ceux-ci pouvaient répliquer avec amour par un tendre : « cul-terreux » !
Corbillard : ancien bateau de la Haute Seine. Origine : Au Moyen Âge, Paris était ravitaillée en marchandises par plusieurs ports en amont,  dont celui de Corbeil : on appelait les bateaux les « corbeillards ». Lors de l’épidémie de peste (1628), on les utilisa pour évacuer les morts de la capitale. Les Parisiens déformèrent le nom en «corbillard», terme repris ensuite plus largement pour désigner le véhicule que l’on sait.
Croiseur fluvial : type de coche de plaisance construit généralement en polyester à l’intention de la location. Commentaire d’un marinier : « Ces formes [profilées] (…) ne sont qu’un effet de mode dû à un besoin de frime. (…) Ces bateaux reçoivent souvent des noms ronflants qui frisent la mégalomanie ! »
Plaisanciers, les mariniers sont vos amis.
A ce propos, la rédaction a pris un malin plaisir à lire ce petit exercice de data-journalisme détendu pour Slate.
Par souci d’équilibre, vous trouverez quelques noms de bateaux de marchandises qui valent leur pesant d’or : le Play-Boy, le Cupidon, etc.
Cul : arrière du bateau. Employé de préférence à « poupe », plus maritime (snob).
Culer donc, pour reculer. On peut dire « faire de l’arrière ».
Dabord, dater : pour le marinier, le genre humain se divise en deux catégories. Il y a les « dabord », c’est à dire les gens d’à bord, les mariniers comme lui. Et puis il y a les autres, les « dater » (le R se prononce), les gens d’à terre. Le « dater » est un peu au marinier ce que le « bouseux » est au parisien.
Devise : nom du bateau fluvial. Sur ce sujet, voici des liens savoureux, où de nombreuses devises ont été collectées : Picaro  ou ce blog.
Duc d’Albe : gros pieu métallique, garni de bollards, qui permet aux bateaux de s’amarrer en attendant de pouvoir passer une écluse.
Une tradition populaire, sujette à caution, attribue au Duc d’Albe (1507-1582) l’origine du mot par les pieux sur lesquels il aurait fait exposer les têtes des Comtes d’Egmont et Hornes après leur exécution sous ses ordres, le 5 juin 1568 (évènement qui a inspiré à Beethoven sa fameuse « Ouverture d’Egmont »).
Engraver (S’) : s’échouer sur un haut-fond. Généralement, le marinier n’aime pas trop.
Erre : énergie cinétique d’un bateau. Son élan, pour parler simplement.
Flurbanisation : néologisme. Concept créé et développé par l’historien Bernard Le Sueur pour désigner le regain d’intérêt des populations citadines pour les voies d’eau, amorcé en France vers la fin des années 1970. Règle élémentaire de bonnes manières : ne pas aborder ce sujet qui fâche à table, avec des mariniers.
Gabare (ou gabarre) : ancien bateau de transport sur voies d’eau de la façade atlantique, la Garonne et la Loire. Un peu galvaudé, il est bien vu d’employer, sur la Loire, le mot « chaland ». En revanche, à éviter ABSOLUMENT sur la Seine, l’Yonne et les rivières des façades de la Manche, et de la Méditerranée en général. Plusieurs associations ligériennes en reconstruisent dans un but pédagogique.
Gare : port ou aire de stationnement de bateaux. Le mot est bien antérieur au chemin de fer qui l’a purement et simplement récupéré.
Halage : Très ancien mode de traction des bateaux fluviaux. Le halage peut être humain, animal ou mécanique (par tracteurs sur pneus ou sur rails). Totalement disparu en France entre 1965 et 1970.
Halte nautique : partie de rive du canal ou de la rivière aménagée pour permettre aux plaisanciers de faire une escale d’une durée généralement assez brève (de quelques heures à quelques jours). Commentaire d’un marinier : « Il est de bon goût, lorsque l’on utilise une halte qu’une commune modeste a aménagée sur ses deniers de la remercier en faisant travailler ses commerces (boulangerie, restaurant, musée…). »
Harpie : sur le Rhône, longue perche pour propulser une barque. Aucun rapport avec les affreuses voleuses d’âmes, mais plutôt avec le mot harpon.
Housbot : tentative (peu suivie) de francisation du mot « house-boat », sur le modèle de « paquebot » qui vient de « packet-boat ». Le House-boat, donc, est un bateau de loisirs habitable de petite taille, souvent construit en plastique (polyester ou polyéthylène). L’appellation française officielle est « coche de plaisance ». L’appellation batelière est « tupperware » (prononcer « tupèrevar »).
Jancul : tableau arrière. Il est de bon ton de ne pas prononcer le « L ».
Macaron : équivalent dans le bateau du volant de la voiture. On dit aussi « barre à roue ».
Manger les moules : expression (imagée) qui signifie « aller droit dans la berge ».
Marie-salope : bateau affecté spécialement à la collecte et à l’évacuation des boues et matières des fosses sceptiques (le caca). Classe.
Marquise : terme marinier pour désigner la timonerie, poste de pilotage d’un bateau. Pour prévenir l’usure du quotidien,  il faut régulièrement astiquer la marquise.
Noeud : combinaison de boucles faite sur un ou deux cordages, dans un but bien précis : amarrage, allonge d’amarre, etc. Savoir en faire certains est indispensable. Pour le permis bateau, deux nœuds sont obligatoires :
Le nœud de cabestan, ou double clé. Très utile pour l'amarrage.
Le nœud de chaise. Sert à confectionner rapidement une boucle.

A éviter pour le permis bateau ...
Crédit photos : Dane

Patache : bateau des gabelous, c’est à dire des douaniers préposés à la perception de la gabelle, taxe sur le sel sous l’Ancien Régime.
Pêcheur : ordinairement, le navigateur considère le pêcheur comme un nuisible et un ennemi, même si, comme c’est souvent le cas, il l’est lui-même (pêcheur, pas nuisible). Ce conflit est séculaire, et sans issue.
Périssoire : petite embarcation de plaisance sportive,  très en vogue au tournant des XIXe et XXe siècles. Le peintre impressionniste Gustave Caillebotte, amateur de nautisme, en a beaucoup peintes sur les bords de l’Yerres (sud de la région parisienne). Etymologie : vient du mot « périr », ce qui en dit long sur la stabilité du bateau.
Runabout : équivalent nautique d’un cabriolet de collection. Canot automobile puissamment motorisé, généralement en bois précieux et d’une finition soignée, apparu dans les années 1920 sur les grands lacs nord-américains.
Slip : plan incliné permettant de tirer à terre un gros bateau en vue de réparation au sec. Eviter tout jeu de mots subtil.
Sole : fond plat des bateaux fluviaux. Synonyme (sublime, il faut le  reconnaître) : « fonçure ».
Train : convoi de bateaux solidarisés l’un derrière l’autre pour optimiser les énergies disponibles (vent et force humaine). Pratique très courante autrefois sur la Loire, où les bateaux étaient ainsi « trainés ». Le mot est bien antérieur à l’apparition du chemin de fer.
Bien évidemment, cette petite sélection est loin d’être exhaustive. Pour les plus curieux d’entre vous, vous pouvez vous procurer Le Dictionnaire marinier illustré de Dantec ici (aucun lien avec Maurice G. Dantec, ndlr).
En panne d’idée pour l’anniversaire de votre petite neveu ?  Voici un chouette ouvrage pour apprendre aux enfants le riche univers de la navigation fluviale : Kevin et Gwendo vont en bateau.
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