ANALYSE. Vote par correspondance, vote obligatoire, vote blanc... Comment contrer la montée de l'abstention ?

L'abstention en France a atteint 67% lors du second tour des élections régionales et départementales. Un constat qui pose des problèmes de légitimité, et de vitalité de notre démocratie. Plusieurs solutions sont avancées, mais que valent-elles ?

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Pourquoi les électeurs ne vont-ils plus aux urnes ? C'est la question que se pose - ou fait semblant de se poser - l'ensemble de la classe politique au lendemain des élections régionales et départementales 2021. L'abstention monte pourtant depuis des années, et le constat avait encore été posé au lendemain des municipales de 2020, où elle avait atteint le taux inédit de 58,4 %. Seulement voilà, cette fois, l'abstention a rebattu les cartes et profondément déstabilisé une élection que certains partis voyaient déjà jouée. Le Rassemblement national, particulièrement, a fait les frais d'un phénomène pourtant réputé pour jouer en faveur des extrêmes.

Un abstentionnisme de mécontentement majoritaire

Qui sont les abstentionnistes ? Il y a ceux qui avaient décidé de ne pas aller voter, et ceux qui n'y sont finalement pas allés. Ces derniers l'ont confié à Ipsos : en majorité, les élections n'étaient pas leur priorité ce dimanche, ils avaient d'autres préoccupations, ou d'autres envies. Mais les abstentionnistes déclarés, eux, sont davantage des électeurs mal informés, ou des militants.

Dans les raisons les plus citées pour ne pas se rendre au vote, on retrouve au moins trois arguments très politiques : manifester son mécontentement envers tous les politiques, ou envers le gouvernement Macron, ou dire qu'on ne se sent représenté par personne. Comment ramener vers les bureaux de vote les désillusionnés de la politique ? Plusieurs pistes sont à l'étude, ou du moins sont entrées dans le débat. 

Des solutions jamais vraiment explorées

  • Le vote à distance

Stanislas Guérini, le délégué général de la République En Marche, a été le premier à dégainer, juste après le premier tour des élections. "Il n'y a pas une baguette magique, mais je pense qu'il faut se donner tous les moyens, je souhaite notamment qu'on puisse mettre en place le vote par internet dans le prochain quinquennat." 

Certes, la déclaration est un peu ternie par cette forme de chantage électoral qui consiste à conditionner le vote par internet à la réélection d'Emmanuel Macron. Mais le vote à distance, par correspondance ou sur internet, a plus de partisans qu'il n'en a jamais eu. En Allemagne, où le vote par correspondance est autorisé depuis 1957, le taux de participation aux scrutins régionaux qui se sont tenus début juin "a été similaire au taux de participation habituelle" a déclaré la chancelière allemande, Angela Merkel, lors d'une réunion parlementaire franco-allemande. Plus intéressant encore : "40% à 45% des électeurs et électrices ont voté par correspondance", a ajouté la dirigeante européenne.

Même si le vote à distance - par courrier ou par internet - semble la meilleure solution contre l'abstention de routine, en France, nous sommes comme de coutume frileux. Le ministère de l'Intérieur, notamment, a rappelé que le vote par courrier avait été abandonné en 1975 à cause de la fraude qu'il entraînait. Un argument qui semble quelque peu daté, au vu de l'évolution des moyens de recensement, et de surveillance, de la population. 

Après les élections municipales, le Sénat avait lancé une première mission d'information sur le sujet. Conclusion : impossible de mettre en place un tel système dès 2021, "ni le vote par correspondance "papier", qui suppose de revoir l'ensemble des procédures électorales et de sécuriser les voies d'acheminement des plis ; ni le vote par internet en l'absence d'une "véritable identité numérique". En revanche, les sénateurs souhaitaient rendre possible la procuration de vote depuis le domicile, au lieu de l'obligation de se rendre en commissariat. Une mesure facilitante qui n'a finalement pas vu le jour. 

Pour certains, pourtant, le débat autour de l'instauration du vote à distance passe à côté des problèmes de fond, dont la lassitude des électeurs.

  • Le vote obligatoire

Le député d'Eure-et-Loir Philippe Vigier (UDI), défendait l'instauration du vote obligatoire sur le plateau de France 3 ce 27 juin au soir. La philosophie de cette mesure est limpide : faire vivre la démocratie n'est pas qu'un droit, c'est un devoir. "Cette capacité de voter, de participer à la vie démocratique, c'est formidable ! Les femmes l'ont obtenu seulement en 1944", a rappelé l'élu. Pourtant, si elles ont gagné ce droit de haute lutte, les femmes sont aujourd'hui plus abstentionnistes que les hommes, à 67% contre 64%.

Dans l'Union européenne, plusieurs pays ont déjà imposé cette obligation :  la Belgique, le Luxembourg, la Grèce et la Bulgarie. Nos voisins belges ont été les premiers sur le coup, car le vote a été rendu obligatoire dès l'instauration du suffrage universel masculin, en 1893. Manquer un vote, c'est synonyme d'une amende, qui augmente en cas de récidive. Un citoyen particulièrement rétif peut même être rayé temporairement des listes électorales, et "ne peut recevoir aucune promotion, nomination ou distinction de la part d’une autorité publique pendant cette période."

"Les sanctions prévues ne sont pas appliquées systématiquement", reconnaît volontiers la ville de Bruxelles, mais la Belgique n'en reste pas moins championne de la participation. En 2019, pour les élections européennes, plus de 88% des Belges se sont déplacés pour aller voter. Selon un sondage Ifop conduit le 24 juin et résumé par l'AFP, le vote obligatoire n'est pas la solution qui séduit le plus les Français. Ils se déclarent contre, à 59%. 

La critique portée à cet argument résonne avec celle du vote par correspondance : obliger des électeurs à aller voter pour des candidats en lesquels ils ne croient pas, n'est-ce pas là aussi une violence démocratique ?

  • La reconnaissance du vote blanc

Le vote blanc est un vieux débat jamais vraiment dépoussiéré. La première proposition de loi demandant sa reconnaissance a été déposée devant l'Assemblée Nationale en 1880. Encore aujourd'hui, les citoyens ont un faible pour le vote blanc. Selon le sondage Ifop déjà cité, ils sont 80% à souhaiter que le bulletin blanc soit reconnu. Il est la manifestation d'une conscience démocratique, au-delà du jeu des personnes et des partis, une solution qui séduirait ces abstentionnistes militants. 

Le sondage lancé par France 3 Centre-Val de Loire sur Twitter pour recueillir vos avis soutient cette tendance : à 18h30, 40% des votants privilégiaient la reconnaissance du vote blanc, suivi par le désir d'un changement de système tout court. 

Une loi de 2014 impose de décompter les votes blancs séparément lors du dépouillement, pour rendre compte de cette réalité électorale. Mais elle les sépare des bulletins altérés, où l'on retrouve par exemple une écriture manuscrite, même si celle-ci envoie un message politique. Une manière d'affaiblir la force du vote blanc ? Selon le sociologue Yves Déloye, interrogé par Libération, "le ministère de l'Intérieur a toujours bloqué les propositions de loi visant à le reconnaître et ce, quelle que soit la couleur politique au pouvoir."

Car c'est, disons-le, le grain de sable dans la machine des partis et des ambitions personnelles : la reconnaissance du vote blanc rendrait bien plus difficile, pour les candidats élus, de se dire légitimés par l'ensemble des Français. En 2017, sept candidats à la présidentielle dont Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon se déclaraient favorables à la reconnaissance du vote blanc et même, pour ce dernier, l'annulation de l'élection "si la somme des votes blancs et des abstentions atteint la majorité absolue", soit 50%. Ce n'était pas le cas d'Emmanuel Macron. 

  • La proportionnelle

La proportionnelle, elle aussi, est en bonne place sur le podium des promesses jamais tenues. Emmanuel Macron s'était engagé, en 2017, à imposer ce mode de scrutin pour élire l'Assemblée nationale (élections législatives). Une promesse déjà faite par François Hollande avant lui, et Nicolas Sarkozy en son temps, comme le rappellent nos confrères de France Culture

Le système consiste à répartir les sièges d'une assemblée en fonction du nombre de voix obtenu par chaque parti, au lieu de confier la majorité au premier arrivé ou d'élire le représentant majoritaire sur une circonscription. Ce système devrait permettre une meilleure représentativité des différents partis politiques. Il existe déjà sous une forme moins aboutie dans le cadre des élections régionales, où les partis secondaires se partagent ainsi les sièges non-occupés par la liste victorieuse. L'enjeu, c'est bien de le généraliser pour les législatives, lors desquelles nous élisons les assemblées qui votent nos lois. 

Le MoDem a déjà tenté, en début d'année, de ressusciter l'engagement pris d'instaurer la proportionnelle pour 2022. François Bayrou en avait fait la condition de son soutien à la République En Marche, au moment de l'élection d'Emmanuel Macron. Ce mode de scrutin pouvait, selon lui, être le début d'une "véritable démocratie participative". Mais la mesure a été reportée, reportée, reportée, et finalement rejetée en mars dernier. 

Les enjeux de l'instauration de la proportionnelle sont complexes, et l'issue incertaine. Parvient-on seulement à faire passer la moindre loi quand on ne dispose pas d'une majorité ? Cela reviendrait-il à lier les mains d'un.e président.e élu.e au suffrage universel ? Le procès en instabilité est fait au scrutin proportionnel depuis la chaotique IVème République.

"En réalité, notre système hybride qui veut que le Premier ministre soit nommé par le président tout en étant responsable (donc possiblement révocable) par le Parlement, et surtout le fait que le président puisse dissoudre l’Assemblée, éteint quasiment le risque d’instabilité. Parce que s’il venait aux députés l’idée de voter une motion de censure, donc de renvoyer le Premier ministre, ils s’exposeraient à la dissolution", argumente sur France Inter le spécialiste politique Thomas Legrand.

 

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