Depuis le 10 juillet 2024, un décret du gouvernement démissionnaire permet aux employeurs de suspendre le repos hebdomadaire des salariés pendant les vendanges. Cet usage, sanctionné plusieurs fois par l’Inspection du travail, fait polémique après plusieurs décès dans les vignes.
Selon le Code du Travail, tout salarié a droit à une journée de repos par semaine, au minimum. Mais depuis le 10 juillet, les vignerons peuvent désormais s'affranchir de cette règle dans la limite d'une fois par mois.
Le gouvernement démissionnaire leur a accordé le droit de faire travailler leurs saisonniers sept jours sur sept pendant la durée des vendanges.
Cette vieille revendication des producteurs de champagne, dans l'est de la France, concerne l'ensemble des vignerons.
Besoin de souplesse
La mesure est "intelligente" pour Denis Bourin, viticulteur à Couddes, dans le Loir-et-Cher. Même s'il avoue ne pas trop savoir si cela sera beaucoup utilisé dans son département, il estime que les viticulteurs doivent "avoir une certaine souplesse durant les périodes de récoltes".
Cette plus grande souplesse est nécessaire selon celui qui est aussi président de la cave coopérative des Côteaux Romanais. Le dérèglement climatique a amené son lot de contraintes météorologiques qui perturbent de plus en plus le temps de travail des vendangeurs.
"Comme le climat évolue de manière importante, on ne sait jamais comment vont se passer exactement les vendanges, explique-t-il. L'année dernière on a eu des jours de canicule où on était obligé de vendanger que le matin. C'était intenable l'après-midi. Et donc, vous vous retrouvez avec des saisonniers qui font peu d'heures."
Pour Rémy Dubois, chargé de mission emploi à la FNSEA Centre-Val de Loire, "le but de ce décret n'est pas de faire travailler plus les gens" mais de répondre à la période particulière que sont les vendanges. "La récolte doit se faire à un moment optimal qui nécessite une surveillance attentive et constante. Ce décret permet d'être prêt le jour J", détaille-t-il.
De son côté, Yves Lestourgie, viticulteur dans le Cher, acquiesce et juge que cet assouplissement n'est "pas extravagant".
On travaille avec du vivant, on est dépendant de la météo. Quand le temps est idéal pour la récolte on ne peut pas reporter au lendemain.
Yves Lestourgie, viticulteur dans le Cher
Selon lui, cela compense les jours où les jours non travaillés à cause des conditions météo mauvaises. "C'est un bon compromis et puis une fois par mois ce n'est pas exagéré", ajoute-til.
Ce producteur de Quincy et de Reuilly estime d'ailleurs que le Centre-Val de Loire va finalement être peu concerné par le décret car "il concerne principalement la vendange manuelle", or dans la région les vendanges se font majoritairement en machines. Il ajoute que celles-ci sont "climatisées" et réduisent la pénibilité du travail.
Décret polémique et "déshumanisant"
Cette mesure est loin de faire l'unanimité. Ainsi la Confédération paysanne parle d'un "recul au niveau des droits sociaux pour satisfaire un modèle agricole".
Sylvie Colas, secrétaire nationale du syndicat, se dit "scandalisée". Selon elle, cette mesure a été mise en place pour satisfaire un certain modèle agricole. "C'est fait pour les grosses exploitations, celles qui emploient de 50 à 100 cueilleurs, indique-t-elle. Ces méga structures viticoles n'embauchent pas directement leurs saisonniers, elles passent par des prestataires. Elles sont déresponsabilisées sur le bien-être et les conditions de travail de leurs salariés. C'est déshumaniser."
Elle rappelle que durant les vendanges 2023, quatre saisonniers sont morts dans la Marne à la suite d'arrêts cardiaques qui auraient été causés par les fortes chaleurs.
À chaque fois ce sont les personnes vulnérables, celles qui font les travaux les plus pénibles, à qui on supprime les droits les plus élémentaires. Chacun a droit au repos.
Sylvie Colas, Secrétaire nationale de la Confédération paysanne
Dans un communiqué daté du 7 août 2024, le Nouveau Parti Anticapitaliste d'Indre-et-Loire (NPA 37) pointe du doigt le "cynisme" de ce décret et condamne "la continuelle mise en danger de nos acquis sociaux".
Selon le parti d'extrême gauche, la mesure "fait froid dans le dos alors même que le réchauffement continu de notre climat ne saurait épargner les nombreuses personnes qui chaque année doivent courber l'échine sous un soleil insoutenable de chaleur pour pouvoir payer leur droit à vivre dans ce pays".
Nous sommes également en droit de nous demander à quel moment ces attaques répétées vont-elles se reporter sur les autres secteurs professionnels.
NPA 37
Une mesure contre-productive ?
Ce constat est partagé par Frédéric Gervais, porte-parole de la Confédération paysanne 37. "On commence par ça et on ne sait pas où cela va s'arrêter", s'inquiète l'agriculteur. "Demain on va le faire dans quoi ? Les travaux publics, les transporteurs ?", abonde Sylvie Colas.
De plus, d'après elle, cette mesure ne va pas aider un monde agricole déjà en tension de main-d’œuvre. Elle s'indigne : "C'est totalement contre-productif. On attire déjà peu de gens avec les conditions de travail et les mauvaises rémunérations, si en plus on supprime des droits aux travailleurs ça ne va rien arranger. C'est presque de l'esclavage à ce stade."