Déserts médicaux : les médecins seront-ils bientôt contraints de s’installer à la campagne ?

Trois députés du Berry ont co-signé une proposition de loi qui vise à lutter contre les déserts médicaux en France, notamment en régulant l'installation des médecins dans les zones déjà largement pourvues. Une proposition de loi qui n'est pas du goût de certains médecins de la région.

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Deux députés du Cher, Loïc Kervran (Horizons), Nicolas Sansu (Gauche Démocrate et Républicaine) et Nicolas Forissier (Droite républicaine), député de l'Indre ont tous trois co-signé une proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, problématique particulièrement prégnante dans le Berry.

"On est un peu plus de 200 députés à avoir signé une proposition de loi qui fait suite à celle qu'on avait signée en 2022. Elle prévoit notamment une régulation sur l'installation des médecins", annonce Nicolas Sansu. Mais le député de la 2e circonscription du Cher l'assure, il ne s'agit pas d'empêcher les médecins d'aller où il le souhaite.

Nous voudrions interdire des endroits surdotés comme la Côte d’Azur, l’arc Atlantique ou Paris, mais leur permettre de choisir leur lieu d'installation partout en France.

Nicolas Sansu, député du Cher

L'idée de cette proposition de loi viserait donc à interdire l'installation d'un médecin dans des endroits déjà très pourvus en médecin, sauf en cas de départ à la retraite par exemple. "Ça existe pour les pharmaciens ou les infirmiers qui ne peuvent pas s’installer n’importe où, défend le député. En seulement deux ans, la situation s’est dégradée. Les déserts médicaux sont encore plus désertiques et les endroits où il y avait suffisamment de professionnels de santé sont encore mieux dotés. Il faut arrêter cette spirale négative pour le pays et pour l’égalité territoriale". 

Car les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans les Hautes-Alpes par exemple, il y a 2,5 fois plus de généralistes par habitant que dans la Creuse.

"On est complètement hors sujet"

Une régulation de la libre installation qui indigne le docteur Oliver Ferrand qui exerce à Marmagne dans le Cher. Ce médecin généraliste connaît bien le problème du désert médical qui est son quotidien. 

Je refuse tous les jours 4 à 5 patients, c'est un crève-cœur. Il y a une vraie perte de chance de vie dans le Berry. Certains de mes patients décèdent sans que je ne puisse rien faire, faute de spécialistes.

Docteur Oliver Ferrand, médecin généraliste à Marmagne (Cher)

"Bien sûr que si je ne regardais que ma situation propre, je serai pour la proposition, mais tout ce qu'on va faire, c'est braquer les jeunes. Ce serait contre-productif" ajoute le praticien.

Le docteur Ferrand l'assure, les étudiants qu'il reçoit et qu'il forme dans son cabinet n'adhéreraient pas à une telle régulation de l'installation. "Les pharmaciens fonctionnent sur ce système, car c'est eux qui ont souhaité s'organiser comme ça pour ne pas se faire concurrence entre eux."

Et le médecin généraliste donne l'exemple des dentistes, qui ont d'ores et déjà accepté une régulation. "Aujourd'hui, les dentistes ne peuvent pas s'installer dans quelques arrondissements de Paris, de Marseille, etc. Mais vous voyez les patients dans le Berry trouver plus facilement un dentiste avec cette nouvelle régulation ? Cette proposition est uniquement électoraliste !"

Pour Olivier Ferrand, la seule solution au problème du désert médical reste la formation. "Même s'ils mettent en place une interdiction de s'installer dans certains endroits, il n'y a pas de jeunes formés, ils ne trouveront pas plus de médecins pour venir dans le Berry", s'alarme le médecin qui n'a pas vu la réforme du numerus clausus transformé en numerus apertus avoir des effets bénéfiques sur le nombre d'étudiants admis en médecine.

Bientôt des premières années de médecine proposées à Bourges ou Châteauroux ?

Sur le volet de la formation justement, la proposition de loi voudrait mettre en place une première année de médecine dans chaque département et un CHU dans chaque région comme l'explique Nicolas Sansu. "Il faut mettre des lieux de formations en zone rurale : la première année de médecine à Bourges, à Châteauroux, à Blois… Si des jeunes du Cher deviennent médecins, ils seront plus enclins à y rester avec des formations au plus près de nos territoires ruraux."

Une solution qui paraît utopique pour le docteur Ferrand. "Où vont-ils trouver l'argent pour recruter des professeurs dans tous ces départements ?". Le texte prévoirait également des contrats d'engagements pour aider les étudiants les plus précaires à l'accès aux études de médecine. "Pendant 4 ans on veut élargir le fait que les étudiants médecins puissent être payés pour faire leurs études", détaille le député.

Pour le Docteur Ferrand, l'autre solution qui pourrait inciter à l'installation est financière. "Dans les Highlands, à la fin des années 90, la sécurité sociale anglaise proposait 30 % de rémunération supplémentaire pour les médecins qui s'installait dans les zones moins pourvues en médecin. Et ça a fonctionné", appuie-t-il.

Selon l'URPS Médecins Libéraux Centre-Val de Loire et l'Assurance Maladie, il manquerait 784 médecins libéraux en région pour arriver à la même offre que la moyenne nationale.

Des "super" centres de santé

Il y a tout de même un point sur lequel les députés et le docteur Ferrand tombent d'accord : il faut simplifier les procédures pour reconquérir du temps médical. Pour Nicolas Sansu, cela passe par la création de centres de santé. "C'est aussi un moyen d’attirer des jeunes pour leur dire "vous ne ferez que de la médecine, vous ne ferez pas d’administratif", pour leur permettre de se dégager du temps".

Si Olivier Ferrand abonde sur la question d'un centre de santé, il ne le voit en revanche pas sous la forme de médecins salariés.  "Les médecins ont besoin de travailler entourés d'une équipe renforcée, dans des centres de santé réunissant un généraliste, deux ou trois infirmières pour les soins les plus courants et une super secrétaire capable de bien dispatcher les rendez-vous". Un centre de Santé dont il a déjà soumis l'idée à la sécurité sociale pour le créer sur Marmagne, mais qui n'a jamais abouti, faute de financements.

Un texte bientôt présenté à l'Assemblée ?

Si elle ne fait pas l'unanimité chez les médecins, cette proposition de loi fédère en tout cas les députés de façon transpartisane. "Elle regroupe neuf groupes politiques différents de LFI en passant par les communistes, les socialistes, les verts, Horizons, Les Républicains, Ensemble pour la République… Il y a tous les groupes politiques sauf l'extrême droite et malgré cela on est déjà à 250 signataires. Il faut 289 voies pour réussir à gagner un vote donc je pense qu'on n'en est pas loin !"

Nicolas Sansu espère même pouvoir présenter avec ses cosignataires cette loi en février 2025. "En février, il y a ce que l'on appelle une "semaine de l'Assemblée". Quand il y a une demande de plusieurs groupes politique d’inscrire une proposition de loi, la présidence de l’Assemblée normalement accède à cette demande."

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