Les critiques de François Ruffin contre La France insoumise et Jean-Luc Mélenchon rouvrent certaines fractures existant au sein du Nouveau Front populaire. Si certains regrettent l'étalage des divergences en public, les élus semblent se réjouir de la capacité retrouvée des partis de gauche à discuter.
Lorsque François Ruffin entre sur la scène, les applaudissements et les huées se mêlent, comme un mauvais présage pour l'union de la gauche et plusieurs composantes qui semblent irréconciliables. Pourtant, à la fin du débat auquel le député de la Somme participe, "il est applaudi à tout rompre", à en croire Nicolas Sansu.
Le député communiste de Vierzon était, lui aussi, sur scène ce week-end à la Fête de l'Humanité, aux côtés de l'insoumis Raphaël Arnault et de l'écologiste Marie Pochon. Si médias et classe politique se sont fait l'écho de la mésaventure de François Ruffin, Nicolas Sansu, lui, ne pense pas "que cette séquence de la Fête de l'Huma soit mauvaise, ça fait de la clarté". Une manière de dire, aussi, que les familles de gauche ont beau avoir leurs divergences, une bonne explication musclée et c'est reparti pour un tour.
"Une faute politique"
Pourtant, ça partait très mal. Lors de plusieurs interviews données ces derniers jours, François Ruffin a estimé que La France insoumise "abandonne" une partie du pays, et en particulier les classes populaires acquises au Rassemblement national en ruralité. Le député de la Somme aurait même été contraint de faire campagne "au faciès" aux législatives de 2022, ne mettant en avant la figure de Jean-Luc Mélenchon que lorsqu'il s'adressait à un électeur "noir ou arabe", et jamais si "on tombait sur un blanc".
À la Fête de l'Huma, le néodéputé insoumis Raphaël Arnault lui est tombé dessus d'entrée de débat, l'accusant d'avoir commis "une faute politique" : "Tu as blessé énormément de camarades, notamment la jeunesse." Le député du Vaucluse a insisté pour que l'antiracisme soit "central" à gauche, affirmant qu'il n'était pas question d'aller "séduire les racistes".
Pour ceux qui diraient que @Francois_Ruffin était discret à la @FetedelHumanite … 200 pers dans le stand du Cher pr échanger avec lui et @STaillePolian ds une ambiance de franche camaraderie. Pas de clapping organisé. Rien que de la joie et du soleil ! pic.twitter.com/cGSFm2VR7D
— Sansu Nicolas (@NicolasSansu) September 17, 2024
"Ruffin nous accuse de faire quelque chose que nous ne faisons pas", souffle Karin Fischer, conseillère régionale La France insoumise en Centre-Val de Loire. "Il a lui-même lu le programme, il devrait savoir que nous portons le retour des services publics dans les campagnes, et une république indivisible, peu importe la couleur ou la religion des gens", ajoute-t-elle.
"C'est suicidaire"
À l'inverse, Nicolas Sansu pense que "Ruffin a raison sur le fond, même si les mots n'étaient pas très bons" :
On ne gagnera tout le peuple que si on unifie tous les territoires, toutes les origines, toutes les philosophies. La stratégie de Jean-Luc Mélenchon qui dit qu'il faut attraper les jeunes des quartiers et les étudiants, et le reste on laisse tomber, c'est suicidaire. On ne peut pas se permettre de diviser des gens qui ont les mêmes intérêts.
Nicolas Sansu, député PCF du Cher
Laurent Baumel, député socialiste d'Indre-et-Loire, juge également que "Ruffin a mis le doigt sur des problèmes réels" au sein de la stratégie électorale de La France insoumise. Qui, selon lui, "assume de plus en plus clairement de ne s'adresser qu'à une partie du pays". L'élu regrette aussi des formes de "violence verbale et des excès de langage" utilisés pas "certains élus ou par le dirigeant principal de LFI".
Conseils de famille
Le retour des deux gauches irréconciliables, au sein même du Nouveau Front populaire ? Que nenni, à en croire les élus interrogés par France 3, qui s'accordent au moins sur un point : "On ne doit pas en tirer comme conclusion la rupture de l'unité, mais il est important que chaque composante du NFP s'affirme pleinement", plaide Laurent Baumel, député PS de la 4e circo d'Indre-et-Loire.
Karin Fischer trouve "sain" que des débats animent la gauche. "Ils ont toujours existé, c'est pour ça qu'on a différents mouvements, ce qui n'a pas empêché des échanges constructifs et un programme commun", lance la conseillère régionale insoumise. "Nos adversaires font grand cas de ces débats, c'est parce qu'on a une culture de la démocratie", soutient-elle.
D'autant que les dissensions sont parfois au sein d'un même parti. François Ruffin, investi par La France insoumise, siège désormais avec Les Écologistes, et acte sa rupture avec les insoumis. Côté socialiste en revanche, les opposants à la ligne d'Olivier Faure sont toujours bien présents dans les organes du parti. Comme Hélène Geoffroy, qui avait violemment critiqué la stratégie du premier secrétaire fin août. Le PS "est au bord de la rupture", arguait-elle.
"Ça fait 40 ans que je suis au PS, je l'ai toujours connu au bord de la rupture", sourit Laurent Baumel. Lui parle d'un discours interne "minoritaire", qui obtient "un certain écho médiatique parce que des électeurs macronistes aimeraient que le parti rompe avec LFI".
"Il y aura toujours des nuances entre nous, mais le NFP va continuer"
Si de nombreux élus se félicitent de la capacité retrouvée des mouvements de gauche à débattre (relativement sereinement), certains regrettent le lavage de linge sale en public. Côté militants, de nombreuses voix se sont élevées pour fustiger ces dissensions exposées au grand jour par les figures des partis. À La Fête de l'Huma, Marine Tondelier, patronne des Écologistes, a même appelé chacun à ne plus "se donne[r] en spectacle", pendant que "les autres mangent du pop-corn".
Laurent Baumel, lui, considère que "ces débats sont d'abord soulevés par nos électeurs" :
Il ne se passe pas une semaine sans que les gens m'interpellent sur l'alliance PS-LFI, les problèmes que leur pose la communication de Mélenchon... C'est normal que ces questions soient verbalisées dans les lieux où les partis se rencontre. Ce ne sont pas des divergences qu'on étale sur la place publique, elles y sont déjà.
Laurent Baumel, député PS d'Indre-et-Loire
À la Fête de l'Huma, malgré les divergences, tous les chefs de parti du NFP ont plaidé pour poursuivre l'union. "Il y aura toujours des nuances entre nous, mais le NFP va continuer, on n'a pas le choix, on a toujours cette épée de Damoclès d'une nouvelle dissolution", avertit Karin Fischer. Elle promet "des propositions de lois déposées ensemble, face à un gouvernement très droitier, une raison de plus pour faire corps à gauche".
Espérant un temps avoir le pouvoir, le Nouveau Front populaire va devoir faire sans sa dynamique post-législatives pour tenter de rester visible. "Il le sera, on va rentrer dans le débat budgétaire, la censure, peut-être la destitution", liste Laurent Baumel. Le député d'Indre-et-Lorie promet que "le NFP sera dans une bataille parlementaire assez forte".
L'examen du budget sera une étape cruciale pour le futur gouvernement de Michel Barnier. Le projet de loi de finances devra être remis à l'Assemblée nationale le 1ᵉʳ octobre au plus tard. À moins que le gouvernement ne reporte l'examen, faute d'avoir pu préparer le budget suffisamment à l'amont à cause de la dissolution de l'Assemblée nationale.