Saint-Pierre-des-Corps, Châlette-sur-Loing ou encore Vierzon semblaient, jusqu'à récemment, des territoires imprenables de la gauche, et en particulier du Parti Communiste Français (PCF). À Vierzon, le député sortant PCF a fait un moins bon score qu'en 2022 et risque de perdre son siège au profit de l'extrême droite.
Qui aurait cru que l'extrême droite ferait l'un de ses meilleurs scores en Centre-Val de Loire dans un bastion de la gauche ? Au lendemain du premier tour des élections législatives 2024, le paysage politique de la deuxième circonscription du Cher, centrée sur la ville de Vierzon (30 000 habitants), rappelle la bascule effectuée par certains territoires du nord de la France dans les années 2010.
Ici, Bastian Duenas (RN), jeune loup de 22 ans, a récolté 40,56% des suffrages, contre 29,68% pour Nicolas Sansu, député PCF sortant et ancien maire ancré de longue date sur ce territoire.
Capitale du machinisme agricole au début du 20ᵉ siècle et nœud ferroviaire majeur au sud de la Sologne Vierzon a vu sa situation économique dégringoler avec la désindustrialisation des années 1990. Par un cercle vicieux, l'affaiblissement de l'économie et des services publics a entraîné le chômage, puis l'exode des habitants. Depuis les années 2010, Vierzon et son territoire rural qui l'entoure, se redressent, mais le taux de chômage continue à avoisiner les 13%, près du double de la moyenne nationale.
Théâtre d'une grève majeure en 1886, Vierzon a gardé son tempérament revendicatif, et s'est constitué en bastion de la gauche au 20ᵉ siècle. Aux législatives, la 2e circonscription place systématiquement depuis 1958 un candidat communiste au second tour des législatives, qu'il concède quelquefois au centre. Quant à la mairie, elle appartient au PCF depuis la Libération !
Vote de contestation
Et pourtant, avec la percée du RN, le bastion commence à vaciller. "C'est un bastion qui résiste, on va le dire clairement", corrige Corinne Ollivier, maire PCF de Vierzon. "On reste devant le RN à Vierzon, mais pour autant on ne vit pas en dehors de tout ce qui se passe dans le pays", concède-t-elle. De fait, peu à peu, notamment par le biais du matraquage médiatique, les thèmes chers à l'extrême droite ont colonisé un territoire d'où les problèmes qu'il dénonce sont marginaux.
De fait, c'est avant tout le vote de la ruralité qui a été contaminé par l'extrême droite. "Il y a une vraie fracture entre les villes et la ruralité. Il y a des endroits où il n'y a plus de services publics, en raison de choix qui ont été faits en amonts", reconnaît l'édile, qui met en cause la politique "violente" d'Emmanuel Macron. Ce qui a causé désarroi, frustration, et enfin colère.
Les gens ont envie de dire : "On va tout faire exploser !"
Corinne Ollivier, maire PCF de Vierzon
Et finalement, ce contexte explosif n'aura pas profité au député sortant, du moins au premier tour. "Nicolas Sansu l'a souligné lui-même, la circonscription ne lui est pas si favorable que cela", pointe le politologue Pierre Allorant, de l'université d'Orléans. "Vierzon oui, mais la circonscription est aussi très rurale." Et pourtant, même dans son fief, le député sortant réalise un score 3,5 points en-dessous de celui de 2022, un résultat "très étonnant", analyse Pierre Allorant.
"Il s'agit d'un électorat de protestation. Il y a une crainte sur le pouvoir d'achat, les services publics, la désertification médicale, et donc on utilise le bulletin de vote de manière très pragmatique : comme un référendum pour ou contre Macron." Et à ce jeu-là, aux yeux de beaucoup d'électeurs, "le plus efficace c'est de voter RN".
Un député sortant "respecté"
Pourtant, comment expliquer qu'un député sortant, ancien maire, impliqué dans la vie locale depuis 2001, sur les thèmes de la santé et de l'économie notamment, ait été aussi durement sanctionné que ses voisins macronistes ? Dans cette circonscription, un autre candidat de gauche, du PS par exemple, aurait été "balayé", pointe Pierre Allorant.
Bien sûr, "un phénomène d'usure est possible", note le politologue, sans oublier "quelques soucis de comportement, qu'il avait reconnus", notamment avec la gendarmerie. Pour autant "je ne sais pas si cela a pu jouer, il reste quelqu'un de respecté".
Le Parti communiste "parle-t-il encore aux jeunes ?"
En revanche, sous Fabien Roussel (éliminé au premier tour dans la 20e circonscription du Nord), l'étoile du PCF s'est quelque peu ternie. "Est-ce que ce PC un peu résiduel parle encore aux jeunes chômeurs, aux jeunes ouvriers ?", interroge Pierre Allorant, qui tire également un parallèle avec les anciens "bastions" des bassins miniers, dont la mémoire ouvrière s'efface.
À Vierzon, Corinne Ollivier se pose elle aussi des questions. Les habitants de la "circo" auraient-ils la mémoire courte, pour oublier la bataille pour l'hôpital, pour l'installation de médecins étrangers, indispensables dans ce désert médical, pour les retours des commerces en centre-ville ? "J'entends les difficultés liées aux points de deal, mais les gens ne parlent même pas de ça au quotidien", explique l'élue. "Au quotidien, ils parlent du trou dans la route, qu'on ne peut pas réparer parce qu'on n'a pas assez de dotations ou du fait qu'on n'a pas assez de médecins."
Dans ce contexte de désengagement de l'État, "le RN prospère", alors même qu'il recule sur ses propositions sociales. Une reculade qui n'aura nullement empêché l'électorat de ce territoire de préférer, au premier tour, l'épouvantail de l'immigration à l'abrogation de la réforme des retraites et au Smic à 1600€.