Dépendant des entrées des visiteurs pour rester à l'équilibre budgétaire, les châteaux privés du Centre-Val de Loire ont dû rouvrir pour garantir leur avenir. Entre baisse de la fréquentation et conditions sanitaires, la saison estivale s'annonce sous des augures plus ou moins ensoleillés.
"Si on avait dû fermer en juin, on aurait mis deux mois à s'en remettre. Mais perdre les gros mois d'avril et de mai, là on va mettre trois ans." Malgré la réouverture du château de Cheverny dans le Loir-et-Cher ce samedi 30 mai, son propriétaire ne peut cacher son appréhension : "Hier, nous avons eu 150 visiteurs, et ce dimanche on prévoit entre 500 et 600 personnes. Soit entre 20 et 30 % d'un week-end de Pentecôte normal."Alors que certains célèbres châteaux du Centre-Val de Loire ont rouvert dès le 16 mai, comme ceux de Blois ou de Chaumont, Charles-Antoine de Vibraye a décidé de garder closes les portes de Cheverny jusqu'à ce week-end. Le temps de répondre aux attentes sanitaires de la préfecture, et de bien préparer le retour tant attendu des visiteurs.
"Et puis, on a eu un retour statistique des châteaux ouverts qui n'avaient presque aucun visiteur", complète le gestionnaire.
Privé, le château de Cheverny dépend en effet grandement de la billetterie pour rester à l'équilibre budgétaire. Et déjà, Charles-Antoine de Vibraye s'attend à une réduction importante du nombre d'entrées pour la saison estivale : "Si on a 70 à 80% de notre fréquentation habituelle entre juillet et décembre, on s'estimera très heureux."
Limiter la casse
Car le château compte habituellement sur une clientèle nombreuse, notamment en été. Selon le propriétaire, Cheverny accueille environ 1 500 visiteurs par jour autour du 14 juillet, moyenne qui monte à plus de 2 300 au mois d'août.
L'important pour l'instant semble donc de limiter la casse, alors que les pertes des trois mois de confinement sont déjà très lourdes à porter. Si l'opération de restauration du château de Cheverny va pouvoir se terminer sereinement en juin, l'extension de la boutique devra attendre. "Le permis de construire était prêt, on devait démarrer cet automne, précise le propriétaire. C'est repoussé à trois ou quatre ans."
Au plus modeste château de La Ferté Saint-Aubin dans le Loiret, on dresse un constat similaire. Le gestionnaire Lancelot Guyot espérait "pouvoir lancer une tranche de rénovation de la toiture en 2022", travaux pour le moment repoussés à une date indéterminée. Comme le décrit le propriétaire :
Tous les ans, on met entre 30 000 et 40 000 euros de côté pour engager de grosses tranches de travaux au bout de plusieurs années. Là, ces bénéfices vont passer pendant cinq ans à rembourser le prêt garanti par l'Etat.
Le recours inévitable aux prêts
Pour faire face à la crise, le château a en effet dû demander un prêt de 400 000 euros pour combler le probable trou qui aura percé la caisse à la fin de l'année. "J'epère en utiliser le moins possible, pour ne pas trop peser sur les budgets des prochaines années", complète Lancelot Guyot.
Ce dernier a décidé de rouvrir dès le 16 mai, cinq jours après la première phase du déconfinement. Le château de La Ferté Saint-Aubin accueille des particuliers uniquement le week-end, et réserve la semaine "pour des scolaires et des séminaires d'entreprises". Des recettes autres qui ont disparu pendant le confinement, et n'ont pas encore refait surface.
Dimanche dernier, l'édifice a accueilli 120 visiteurs. Un chiffre inférieur à la normale, "mais qui nous fait quelques rentrées, ajoute le propriétaire. En équipe réduite, on est à peu près rentable."
Car en temps normal, Lancelot Guyot embauche cinq personnes sur ses deux châteaux loiretains de La Ferté Saint-Aubin et de Saint-Brisson. Depuis la réouverture, l'équipe est limitée à deux : un employé par château pour s'occuper de la billetterie.
Un choix similaire, bien qu'à une autre échelle, a été fait à Cheverny. Selon Charles-Antoine de Vibraye, "les 3/4 des 44 CDI sont au chômage technique".
Sens unique et cédez-le-passage
Et les nouvelles conditions sanitaires n'ont pas qu'une influence sur la fréquentation. L'organisation de la visite de l'intérieur du château a été grandement revue. En plus d'une colonne de gel hydroalcoolique à l'entrée, et de repères de distance au sol, un parcours au maximum à sens unique a été mis en place à Cheverny, comme l'explique Charles-Antoine de Vibraye :
Quand il y a des croisements, on les matérialise par des cordages pour séparer les flux. Et dans les salles en cul-de-sac, nous avons installé des panneaux de cédez-le-passage, pour inciter les visiteurs à attendre que les précédents soient sortis avant d'entrer dans la pièce.
Des mesures sanitaires globalement bien respectées par le public, précise le propriétaire, qui constate que "la plupart des visiteurs ont un masque, et ne le retirent qu'en extérieur". Dans le parc, la distanciation sociale se fait respecter d'elle-même, grâce à la taille du domaine. Le célèbre repas des chiens a cependant dû être décalé au matin, avant l'arrivée du public, pour éviter un agglutinement de personnes.
Dans les conditions sanitaires actuelles, Charles-Antoine de Vibraye a établi une jauge maximale de 120 visiteurs en même temps dans le château, "ce qui permettrait d'en accueillir 1 000 sur une journée. Donc si les consignes sanitaires restent les mêmes tout l'été pendant nos journées à 2 000, on va devoir refuser du monde."
A La Ferté Saint-Aubin, Lancelot Guyot estime, quant à lui, le nombre maximum de personnes simultanées à 400 "en appliquant un peu bêtement la règle des 4 m² par personne". Comme à Cheverny, une circulation à sens unique y a été mise en place sur toute la visite, "ponctuée de points de gel réguliers".
Les propriétaires des châteaux privés du Centre-Val de Loire savent que l'argent perdu ces trois derniers mois ne sera pas récupéré. L'objectif désormais est de ne pas creuser encore plus le déficit de 2020, en espérant un regain d'intérêt chez les Français pour le tourisme local et patrimonial.