DATA. Les chasseurs ont-ils vraiment besoin que l'État finance leurs nouveaux fusils ?

Avec l'interdiction d'utiliser des munitions en plomb, les chasseurs demandent des compensations financières de l'État pour changer leur arsenal. Pourtant, leur Fédération nationale n'a jamais été aussi subventionnée qu'en 2022.

Depuis l'ouverture de la chasse le 11 septembre dernier, le débat sur cette pratique est revenu sur le devant de la scène. Une pétition signée par 120 000 personnes, créée à la suite de la mort d'un jeune homme tué par balle alors qu'il coupait du bois dans son jardin en 2020, a déclenché la création d'une mission sénatoriale chargée de proposer de nouvelles règles.

Mais avant même de discuter les propositions du Sénat, les chasseurs ont un premier adversaire : la Commission européenne. Malgré la mobilisation de deux puissants lobbys, la Fédération européenne de la chasse et de la conservation (FACE) et l'Association des propriétaires européens (ELO), un règlement européen publié le 26 janvier 2021 interdit l'usage de grenaille de plomb dans les zones humides ou à moins de 100 mètres de celles-ci à partir de février 2023. Au grand dam des chasseurs.

Ce nouveau règlement n'est pourtant pas une surprise, puisqu'il vient compléter une circulaire de 2005, qui interdisait l'usage de munitions en plomb dans les zones humides, avec plusieurs exceptions. Métal lourd, le plomb a des effets toxiques sur l'organisme à partir de très faibles doses chez les animaux et chez l'être humain.

Un surcoût de près d'un milliard d'euros selon la FNC

La mesure scandalise la puissante Fédération nationale des chasseurs (FNC), qui estime sur son site que le coût de remplacement des armes de chasse des quelque 650 000 personnes impactées coûterait entre 650 et 975 millions d'euros. En effet, il est "quasiment impossible" de transformer de vieux fusils pour leur faire tirer des munitions en acier, conforme à la réglementation.

En revanche, Willy Schraen, le président de la FNC, a réclamé "des moyens financiers conséquents" de l'Union européenne pour engager un programme de recherche sur un matériau de substitution qui aurait toutes les qualités du plomb, notamment son prix. Reste à savoir si les chasseurs ont effectivement besoin de cette aide.

Les chasseurs massivement subventionnés depuis 2017

En effet, déficitaire depuis plusieurs dizaines d'années, la Fédération nationale des chasseurs (FNC) s'est refait une santé financière avec l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron, en 2017. Depuis cette date, les subventions annuelles versées aux chasseurs ont bondi de 27 000 euros à plus de 11 millions.

L'augmentation massive de cette participation publique à la FNC s'explique par la réforme de la chasse du 24 juillet 2019. Cette dernière donne aux chasseurs de nouvelles missions de conservations auparavant supportées par l'État, et le financement qui va avec. Sur les 11,3 millions d'euros touchés par la FNC sur l'exercice 2020-2021, 9 millions proviennent de ce transfert de mission.

En outre, une "éco-contribution" décidée par la loi de 2019, financée en partie par les chasseurs (à raison de 5 euros par licence de chasse) et en partie par l'État (10 euros par licence), représente aussi un trésor de guerre pour la FNC : 15 millions d'euros sont ainsi récoltés, dont 1,3 million abonde les caisses de la fédération nationale, tandis que le reste est alloué aux fédérations départementales. C'est l'Office français de la biodiversité (OFB) qui, après présentation de projets de protection de l'environnement par la FNC, lui réalloue l'argent de l'éco-contribution.

Parallèlement, l'abaissement de la cotisation de 400 à 200 euros au début du premier quinquennat est probablement le facteur qui a fait bondir les inscriptions. Avant cette date, il était en effet courant de souscrire à plusieurs fédération départementales, pour profiter par exemple du fait que la chasse d'une espèce, déjà terminée dans un département, était encore ouverte dans le territoire voisin.

Toutes ces mesures ont permis de renflouer les comptes de la FNC. Nettement déficitaire jusqu'en 2019, elle dégage en 2020 un excédent de 160 000 euros, et 1,3 million en 2021.

En revanche, du côté de l'environnement, le constat est mitigé : selon le conseil scientifique de l'Office français de la biodiversité, "le dispositif mis en place ne permet pas de garantir une qualité suffisante des projets sélectionnés". En cause : le faible nombre de dossiers présentés, leur faible qualité, et l'obligation de dépenser tout de même un certain montant financier chaque année, ce qui empêche d'effectuer une sélection. En gros, trop d'argent récolté par l'éco-contribution, pour trop peu de projets à accompagner financièrement, selon l'OFB.

L'opacité de l'allocation des subventions touchées par les chasseurs a d'ailleurs été épinglée par plusieurs associations : selon elles, la FNC utilise ces sommes pour redorer son blason à grand renfort d'interventions dans les écoles et d'études critiquables. De leur côté, les chasseurs font valoir la plantation de haies, la création ou la restauration de zones humides ou encore la protection des surfaces agricoles grâce à ce financement.

La chasse, un loisir d'hommes âgés... et aisés

Si en trois ans le budget de la FNC a explosé, c'est aussi grâce aux cotisations de ses adhérents. Présente dans toute la France, la Fédération nationale des chasseurs revendique 1,2 million de pratiquants sur le territoire. Selon la FNC, ils dépensent collectivement 2,4 milliards d'euros par an en activités de chasse, un chiffre qui entre donc désormais dans le cadre des missions publiques d'entretien des espaces agricoles et naturels.

Le Centre-Val de Loire et la Sologne sont sur-représentés dans la répartition des chasseurs : plus de 5% de la population régionale dispose d'une licence de chasse, ce qui en fait la deuxième région où l'on chasse le plus après la Corse.

Entre 2015 et 2018, la FNC a commandé deux études (Bipe-1 et Bipe-2) sur l'impact économique et environnemental de la chasse. Outre des chiffres sur les "plus-values" économiques de la chasse, qui éviterait 8,2 millions de dégâts sur les cultures et apporterait des bénéfices à d'autres acteurs des différents espaces naturels, on y croise le portrait-robot du chasseur. Selon les deux études, il s'agit d'un homme (98% des cas), plutôt âgé (plus de la moitié ont plus de 64 ans, et 40% sont retraités).

En revanche, la méthodologie pour les catégories socio-professionnelles change entre les deux études. Dans la plus récente, la proportion d'agriculteurs a doublé (de 8 à 20%) par rapport à la première, tandis que certaines catégories ont été regroupées ou distinguées. On apprend ainsi dans Bipe-2 que 15% des chasseurs sont des cadres supérieurs ou des dirigeants d'entreprises, tandis que 40% font partie des professions intermédiaires. Dans Bipe-1, tous les cadres et les professions libérales pesaient à eux seuls 36% du total.

La chasse reste néanmoins un loisir coûteux : un chasseur investit en moyenne 2 847 euros par an dans son loisir. Ses plus gros postes de dépense : le transport, la cotisation (avant la réforme de 2017) et l'achat de munitions ainsi que l'entretien des armes.

Quel coût acceptable face au danger du plomb ?

Enfin, il faut comparer cette dépense au risque encouru dans l'hypothèse où rien ne changerait. L'énorme masse de plomb répandue chaque année par la pratique de la chasse représente un risque sanitaire sérieux. Selon l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), un tiers des 44 000 tonnes de plomb répandues chaque année dans la nature viennent des chasseurs, soit environ 15 000 tonnes par an

En effet, seule une infime proportion de ces billes de grenaille touchent effectivement le gibier : le reste part dans la nature, où il est susceptible d'empoisonner l'eau, d'être ingéré par les animaux sauvages ou domestiques, et de finir dans la chaîne alimentaire humaine.

Au regard du risque posé par ce métal lourd, qui peut provoquer d'importantes déficiences mentales voire la mort, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) recommande de ne consommer du gibier qu'au maximum trois fois par an, voire seulement une fois dans le cas des femmes enceintes et des enfants. Selon l'ECHA, 135 millions d'oiseaux et 1 million d'enfants en Europe sont directement menacés par l'empoisonnement au plomb.

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