L’AJT, association des journalistes pour la transparence créée en décembre 2021, a lancé ce mercredi 12 janvier une collecte de fonds pour aider un journaliste indépendant à déposer un recours au Conseil d’Etat et lever le voile sur les chasses organisées au domaine de Chambord.
L’association des journalistes pour la transparence (AJT), créée en décembre dernier avec des journalistes issus de médias divers comme Le Monde, Le Canard Enchaîné ou Médiapart, veut, comme son nom l’indique, une plus grande transparence de l’administration publique.
Son premier cheval de bataille concerne une enquête de Pierre Januel, journaliste indépendant et un des membres fondateurs de l’AJT, pour lequel une campagne de financement participatif a été lancée ce mercredi 12 janvier. Ce journaliste s’intéresse aux chasses organisées sur le domaine de Chambord, et particulièrement à ceux qui y participent.
Héritage de l'ancien régime
Pour comprendre pourquoi, retournons quelques décennies en arrière. Héritage de François Ier et de l’ancien régime, des chasses dites présidentielles étaient offertes par le Président de la République à des invités triés sur le volet pour des échanges informels entre hauts responsables du CAC 40 ou personnalités diplomatiques qui servaient in fine au rayonnement de la France.
Ces chasses présidentielles ont progressivement disparu et définitivement arrêtées par Nicolas Sarkozy en 2010 qui annonçait les remplacer par "de simples battues de régulation, nécessaires aux équilibres naturels". Actuellement, il y a 12 battues de régulation par an sur le domaine de Chambord.
"Remercier des personnalités"
En quoi consistent ces battues ? Le livre Le Jardin secret de la République de Marcelo Wesfreid (éd. Plon) laisse entrevoir des parties de chasse "où se bousculent les fines gâchettes du monde politique, économique, sportif et nombre de dignitaires étrangers", rapporte Le Parisien.
Un aspect assumé par l’administration du domaine puisqu’il est écrit dans le rapport d’activités de 2019 : "La mission cynégétique de Chambord a connu une évolution significative lors des six dernières années : principal outil de levée de mécénat aujourd’hui, elle joue désormais un rôle déterminant au-delà des simples fonctions de régulation de la faune sauvage : elle […] sert d’outil aux relations publiques et permet à l’État, sans coût pour le contribuable français, de remercier des personnalités publiques ou privées pour leurs actions en faveur du patrimoine ou de l’intérêt général."
Voir comment l'argent public est dépensé
C’est là qu’intervient Pierre Januel. Comme le domaine de Chambord est un établissement public à caractère industriel et commercial, "c’est payé par nos impôts", assure le journaliste indépendant. Et d'ajouter : "Il y a un principe constitutionnel très fort, qui veut qu’un citoyen ait le droit de voir comment l’argent public est dépensé." Il fait ici référence à la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, qui garantit à toute personne qui en fait la demande le droit d’obtenir la communication de documents administratifs.
Même s'il est indiqué dans la rapport d'activités que la mission cynégétique est "sans coût pour le contribuable français", le journaliste n'est pas convaincu. "Avec ces chasses, on est vraiment dans l’utilisation de l’argent public, et c’est normal de voir à qui ça bénéficie", avance-t-il.
"Comme je considère que c’est un avantage donné à certains, je suis intéressé pour obtenir la liste des participants, et notamment des participants parlementaires. Parce que je ne vois pas trop l'apport pour notre pays d’inviter des parlementaires à venir tirer le sanglier et le faisan à Chambord."
Toutes les demandes refusées
Il a donc fait une première demande au domaine de Chambord qui a refusé, une seconde auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs, qui a également refusé. Il s’est ensuite tourné vers le tribunal administratif d’Orléans qui a rendu sa décision en novembre dernier : la justice a donné raison au domaine de Chambord en avançant que le permis de chasse et son utilisation relèvent de la vie privée et que la communication de la liste porterait donc atteinte à cette vie privée.
Le tribunal a estimé par ailleurs que participer à une battue n’est pas considéré comme un avantage en nature assimilable à une rémunération, indique le débouté dans un tweet.
Le tribunal administratif rejette ma requête d'obtenir la liste des participants aux chasses présidentielles.
— Pierre Januel (@PJanuel) November 29, 2021
Avoir un permis de chasse relèverait de la vie privée et inviter un élu à participer à une battue ne serait pas un avantage en nature assimilable à une rémunération pic.twitter.com/jROrzvLiii
Mais Pierre Januel n’en démord pas et veut aller devant le Conseil d’Etat : "Ce n’est pas parce qu’on a envie de s’acharner contre le domaine de Chambord, mais parce que le recours pose des sujets de fond. La décision du tribunal administratif nous semble contestable. Dès lors on trouve intéressant d’avoir l’avis du Conseil d’Etat là-dessus."
Contacté, le domaine de Chambord, n’a pas souhaité commenter la question de ce recours. Il a simplement rappelé qu’une décision du tribunal administratif a été rendue, M. Januel, débouté, et qu’en tant qu’administration publique, tout est mentionné dans les rapports d’activités sur la gestion de Chambord, accessibles sur le site internet.
Encore faut-il pouvoir déposer un recours devant l’échelon ultime de la juridiction administrative, car cela nécessite un petit pécule pour payer les frais d’avocats. Or, en tant que journaliste indépendant, il n’a pas l’argent nécessaire ni une rédaction derrière lui pour le soutenir. D’où la campagne de financement participatif lancé par l’AJT.
Un parcours du combattant
Aider financièrement les journalistes dans leurs démarches, c’est l'une des missions de l’association, pour avoir accès aux documents publics dans tous les domaines qui relèvent de l'intérêt général : environnement, santé, utilisation de l'argent public, lobbying.
"Il est souvent difficile pour un journaliste d’obtenir l’accès à des documents publics, pourtant garanti par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et garanti par la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978", rappelle le collectif dans un communiqué qui qualifie ces demandes auprès de l’administration de "parcours du combattant".
"L’autre action, complète Pierre Januel qui répond en tant que co-fondateur de l'AJT, c’est d’orienter nos collègues, les conseiller. Certains ont parfois des questions juridiques parce que la loi est complexe. C’est à nous de les appuyer, de les aider, lorsqu’ils font une action judiciaire."
L'objectif final est de faire respecter de plus en plus ce droit à la transparence, de sorte que le parcours du combattant redevienne un simple processus accessible à tout citoyen.