Plus de 800 euros le kilo. La truffe d’Alsace est devenue, en moins de cinq ans d’exploitation, le nouveau "diamant noir" de la gastronomie française. Elle surprend par ses qualités gustatives et son extraordinaire potentiel. Et pourtant, si l’Alsace n'est pas aujourd'hui considérée comme une terre de production de truffes, elles furent les préférées de la table du Roi-Soleil.
C’est dans plusieurs truffières secrètes et gardées, sur les hauteurs de Wasselonne (Bas-Rhin) que Jean-Luc Halter, agriculteur, récolte ses truffes d’Alsace.
En 2015, il est le premier dans la région à se lancer dans la culture de la truffe. Une culture difficile, fragile qui demande énormément d’investissement. "J’ai commencé par planter des milliers d’arbres sur mes parcelles. Ils proviennent des laboratoires de mycorhization contrôlée par des pépiniéristes spécialisés. Ils sont venus analyser mon sol pour me proposer plusieurs variétés d’arbres".
Car, contrairement à une croyance populaire les truffes ne poussent pas que dans des chêneraies. "J’ai ici une dizaine d’essence d'arbres dont du pin noir d’Autriche, des noisetiers, du charme commun, du chêne pubescent".
Avant de récolter ses premières truffes, il est nécessaire d’attendre une bonne dizaine d’années après avoir planté les arbres. Dans cet entrelacs, le cultivateur doit poursuivre un travail sans relâche de tailles, de surveillance et d’entretien de cette petite forêt naissance. "J’ai eu de la chance", insiste Jean-Luc, "j’ai récolté mes premières truffes au bout de 6 ans, ce qui est très précoce".
Trois variétés de truffes poussent sur les terres d’Alsace :
Tuber uncinatum, appelé traditionnellement Truffe de Bourgogne. "C’est la truffe plus appréciée", précise le trufficulteur. Elle se récolte de mi-septembre à fin janvier. C’est un champignon dense qui dégage un parfum raffiné. Il est connu pour sa saveur au goût de noisette. Jusqu’à la Renaissance c’était la truffe des rois de France.
La mésentérique, tuber mesentericum, est la truffe des connaisseurs. Cette variété, très noire et de petite taille, dispose d’une surface plus lisse que la truffe de Bourgogne. Sa chair marbrée est chocolat. Son odeur phénolique très prononcée surprend. C’est une truffe de plus en plus rare qui tient particulièrement bien à la cuisson. Une truffe réservée à ceux qui aime les excès, le faste, la puissance. Sa force gustative prend les poumons.
Le plus dur c’est de les trouver !
Jean-Luc HalterTrufficulteur à Wasselonne (67)
Tuber melanosporum, la fameuse truffe noire ou truffe du Périgord. C’est la truffe la plus connue. Elle se récolte de fin novembre à mi-mars selon les saisons. Son parfum est intense et persistant. Le champignon est croquant. Son goût subtil et complexe en fait le compagnon idéal de la cuisine française. Un peu de melanosporum sur des pâtes ou des œufs et la magie opère.
Le cavage
"Le plus dur c’est de les trouver", rappelle l'agriculteur, car les truffes peuvent être enterrées à plus de 10 cm dans le sol. L’outil de travail le plus précieux pour flairer les filons de diamants noirs : le chien truffier. "Je vous présente Mira. Elle a été dressée pour repérer les truffes". La chienne file à tout berzingue dans les allées de la parcelle. "Pour elle c'est un jeu, c'est parfois difficile de la suivre", explique Jean-Luc Halter.
Dès que le chien a flairé une truffe, il marque l’emplacement avec sa patte, puis se couche au sol. "Je lui demande de ne pas creuser car Mira pourrait abîmer la truffe en grattant la terre. Ça c’est mon boulot !", insiste le trufficulteur qui sort un petit outil à manche court, le cavadou.
L’ensemble de ces actions, s’appelle le cavage. C’est l’action de trouver et de déterrer grâce à un chien ou un porc, des truffes.
Toute la production de truffes d’Alsace de Jean-Luc Halter est pour l’instant destinée aux grands restaurants de la région qui réservent longtemps à l’avance ces truffes rares. Pour les particuliers, selon les arrivages, il est parfois possible de s’en procurer à la ferme du Gaveur du Kochersberg à Woellenheim (Bas-Rhin).
Alsace, terre de truffes
Si aujourd’hui, l’Alsace est considérée comme une terre insolite de la production de truffes, ce ne fut pas toujours le cas dans l’histoire de la gastronomie française.
L’un de ses plus fervents admirateurs et consommateurs a été Louis XIV. Il dépêchait, en personne, son ministre de la Guerre, François Michel Le Tellier de Louvois pour l’approvisionner en truffes de Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin). De même, c’est à Strasbourg au XVIIIème siècle, qu’ont été dressé pour la première fois des meutes de chiens truffiers. Ce sont les deux guerres mondiales successives qui ont scellé les savoirs et les connaissances des paysans sur le cavage. La transmission des compétences s’est perdue.
C’est d’autant plus dommage que les anciennes terres volcaniques de la région, peu acides, notamment tout le long du piémont vosgien sont particulièrement propices à la croissance des truffes.
Heureusement, depuis 2019, la filière de la trufficulture s’est organisée dans une association "Truffes d’Alsace" qui vise à promouvoir le produit et à former. Elle regroupe une trentaine de trufficulteurs des deux départements. Désormais, tous les ans, en octobre, la fête du champignon d’Eguisheim (Haut-Rhin) accueille un marché de la truffe fraîche. Le cours de la truffe sur ce marché avoisinait 550 €, en 2024. En magasin, il est aujourd’hui à plus de 800 €.
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