INSOLITE. Ce canyon secret regorge de légendes, "j'ai demandé aux bardes et druides pour vous y emmener"

À la frontière entre la France et la Suisse, blotti sous le mont du Geissberg, se trouve un canyon méconnu : un véritable petit paradis naturel. Un canyon "magique" dont les habitants du village voisin conservent le secret pour préserver ce lieu "hors du temps".

"Non, nous ne voulons pas que vous parliez de notre canyon. C'est un endroit qu’il faut absolument préserver et si vous en parlez, ne donnez pas le lieu exact ! Personne ne répondra à vos questions". C'est ainsi qu'a débuté notre enquête sur le canyon secret, considéré comme magique qui se trouve dans le sud de l'Alsace, le Sundgau (Haut-Rhin).

Une réponse assez cinglante de la maire du village. "En plus, le site est dangereux !". Et c'est vrai que le site n'est volontairement pas référencé. Aucun panneau de signalisation, aucune promotion des offices du tourisme, pas de carte non plus.

Les témoignages des habitants ne sont pas plus éloquents. "Bien sûr, ici tout le monde connaît le site. En été, c'est un véritable îlot de fraîcheur, on peut s'y baigner". Mais, "Il y a pleins de légendes qui courent… L'endroit serait encore fréquenté par des sorcières et des farfadets [...] Des cérémonies chamaniques et des cérémonies païennes s'y tiennent, les traces récentes sont nombreuses, faites attention !".

Blotti sous le mont du Geissberg, un des premiers reliefs montagneux du Jura, cet incroyable canyon dont personne ne parle est pourtant le terrain de chasse des cueilleurs. C'est le cas de Laurent Clémence, le traiteur de C'Passiflora.

C'est un lieu magique. J'ai dû demander l’autorisation aux bardes et aux druides de la région pour vous y emmener. Ce lieu est peuplé par les fées et les elfes. Il doit conserver ses secrets

Laurent Clémence

Le chef de cuisine propose une cuisine innovante et totalement naturelle à base de fleurs comestibles et de plantes sauvages. "Ici, nous sommes hors du temps, nous dit-il. C'est un lieu magique. J'ai dû demander l'autorisation aux bardes et aux druides de la région pour vous y emmener. Ce lieu est peuplé par les fées et les elfes. Il doit conserver ses secrets. Si je viens ici, c'est parce qu'on trouve des plantes qui ne sont présentes nulle part ailleurs".

La randonnée commence et Laurent entame sa cueillette : du géranium sauvage qui va lui servir pour ses vinaigrettes, de la lunaire (plus connue sous le nom de monnaie-du-pape) avec lesquels il pourra composer des bouquets secs, et de la morelle enchanteresse. "La preuve qu’il y a des sorcières ici !".

Il poursuit son explication : "La morelle enchanteresse est une herbe magique, une herbe médicinale. C'est une plante, paraît-il, qui fait partie de la composition des onguents dont les sorcières se recouvrent le corps pour aller au sabbat. Elle a un pouvoir narcotique très puissant".

Un site dissimulé dans une forêt exubérante

La forêt est dense, luxuriante. Il n'y a plus que le son des oiseaux et des arbres qui s'entrechoquent entre eux, l'impression qu'ils parlent. Rien d’autre ne vient parasiter la visite. Le paysage est étroit et profond, bordé de parois abruptes cachées par la verdure. Nous sommes seuls au monde.

Après plusieurs centaines de mètres, nous débouchons sur un talweg majestueux. Les arbres sont moins nombreux, et la beauté du canyon se dessine enfin. Des grandes barres d'environ 150 mètres se dressent devant nous. C'est le résultat d'une érosion hydraulique dans une roche sédimentaire. Indéniablement, il s’agit d’un canyon, d'un grand canyon, dans le Haut-Rhin.

Le paysage est formidable, un véritable petit paradis. Le Kaibenloch s'y jette en formant des cascades. À leurs pieds, le torrent a formé des grands bassins d’eau turquoise. On pourrait confondre le paysage avec celui d’une île tropicale. On imagine tout à fait une ondine s'y baigner. "Ces bassins, selon la légende, seraient les marmites d'anciens géants qui vivaient ici". Çà et là, la rivière peut se montrer si puissante qu'elle forme des tourbillons. Ils sont hypnotiques.

La formation géologique semble totalement unique dans l'est de la France. Le canyon prend une forme de Y dans la partie alsacienne des monts du Jura. Un canyon totalement enclavé dans la Suisse, une drôle de frontière que personne ne garde. "En bas du canyon, c'est la France, en haut, c'est la Suisse", s'amuse Laurent.

"Il faut s’imaginer que durant les guerres, même les plus anciennes, des gens se sont cachés ici. Ils devenaient invisibles aux yeux du monde. C'est un lieu d'exil. Il faut respecter aussi cette mémoire".

Le Kaibenloch est un affluent de la Birsig qui court dans le village plus bas. Cette petite rivière de seulement 21 kilomètres de long doit sa célébrité au fait qu’elle traverse non seulement l'Alsace, mais aussi trois cantons suisses, Bâle-campagne, Bâle-ville, et Soleure. Une rivière internationale.

"Si l’eau est aussi transparente, c'est grâce à l'érablière à scolopendre (une variété de fougère) qui se trouve tout autour de nous, explique le chef cuisinier. La scolopendre va absorber toutes les impuretés du canyon. C’est pour cette raison que l’endroit est vraiment sain et que l’eau est si pure".

Sur les flancs du canyon se découvrent de nombreuses excavations formées par la montée des eaux. Certaines grottes sont difficiles d’accès même si le canyon forme des marches naturelles par lesquelles il est possible de grimper.

La plus impressionnante est un boyau d’une trentaine de mètres sur lequel tombe un puits d'environ 3 mètres de profondeur ainsi que des cheminées verticales. Attention, son exploration peut se révéler particulièrement dangereuse.

Des paréidolies de partout

Laurent Clémence nous invite maintenant à lire dans les rochers. Le lieu est aussi connu pour ses paréidolies. "Regardez-bien dans la pierre, il y a partout des visages ou des animaux qui nous fixent. Parfois, des têtes de morts. Là, c'est la grotte de l’ours. Il est très visible". Il est vrai qu’à ce petit jeu se dresse devant le site, un immense rocher en forme d’ange, plus loin un aigle et des personnages énigmatiques.

Tout d’un coup, la forêt semble occupée par des personnages fantastiques ; avec des milliers d'yeux qui semblent juger les opportuns. Il vaut mieux rentrer, ces histoires donnent la chair de poule. Comme nous nous y étions engagés, nous ne donnerons pas le nom exact du site. Les curieux trouveront sûrement.

De l'avis des sourciers et des radiesthésistes que nous avons rencontrés, "le lieu est très chargé, un nettoyage est nécessaire après une visite". Pour les plus sceptiques, si le site est véritablement merveilleux et impressionnant, la randonnée et la visite des grottes peuvent se montrer très dangereuses. Donc, soyez prudents !

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