Sous l'église médiévale d'Hohatzenheim, en Alsace, à l'emplacement d'un des premiers sites chrétiens est caché un immense souterrain creusé dans le lœss. Il a permis "au moins depuis 1000 ans" aux habitants des alentours de s'y réfugier dans les nombreuses périodes de conflits. Ce tunnel secret est filmé pour la première fois.
C’est l’un des secrets les mieux gardés dans l’est de la France. Un secret qui ressemble aux aventures et aux découvertes d’Indiana Jones. Sous l’église d’Hohatzenheim (Bas-Rhin), l’une des plus anciennes bâtisses religieuses d’Alsace, ancien lieu de pèlerinage depuis le Moyen-âge, serpente un immense souterrain. Peut-être l’un des plus grands et des plus anciens de France.
Le maire du village, Jean-Marie Criqui est très clair : "Il n’y a aucun document ancien qui explique l’histoire de ce souterrain. Tout ce que nous savons se transmet de bouche à oreille ». Le nom du tunnel en alsacien c’est Heide Heel, c’est-à-dire la galerie des païens. "Ce que nous savons c’est que le tunnel aboutit sous l’église".
L'église Saint-Pierre-et-Paul d'Hohatzenheim (Bas-Rhin) est placé sur le sommet d'une colline. Le lieu est emblématique pour les Alsaciens. C'est un lieu de pèlerinage très fréquentée au moins depuis 1200 ans. "Pourtant le secret du tunnel a toujours été gardé notamment pour des raisons de sécurité".
Construit à l'emplacement d'un ancien temple romain, d'un oppidum, puis d'un des premiers sanctuaires chrétiens de la région au VIIIème siècle, l'édifice actuel date du XIIème siècle, de la période salienne. Sur les côtés du portail d’entrée, des grosses entailles dans la pierre sautent aux yeux. Ce sont " les griffes du diable". Il s’agit en réalité des traces laissées, depuis le Moyen-Âge, par les paysans qui venaient aiguiser et faire bénir les outils qui leurs servaient aux cultures et aux récoltes. "En construisant l'église primitive, les maçons ne pouvaient ignorer la présence du tunnel. Il pourrait donc remonter à l’époque romaine". Le décor est planté, impressionnant. L'église est d'ailleurs classée au titre des monuments historiques depuis 1898.
Un impressionnant souterrain
C’est sous le presbytère qui se trouve à quelques encablures de l’église, derrière une grande porte cachée, que s’effectue l’entrée actuelle dans le souterrain. La descente passe par plusieurs escaliers. Le tunnel est étroit, de la largeur des épaules d’un homme robuste. La hauteur avoisine 1,80 mètres.
Vous comprenez maintenant l’expression bouffer les pissenlits par la racine
Jean-Marie CriquiMaire-délégué d'Hohatzenheim (67)
Ce qui surprend immédiatement c’est que le souterrain est creusé dans le lœss, c’est-à-dire dans la terre. Les racines des plantes laissent perler l’humidité. "Vous comprenez maintenant l’expression bouffer les pissenlits par la racine" s’amuse le maire-délégué. La sensation d’être enterré vivant à quatre voire sept mètres de profondeur, suivant les endroits.
Il faut baisser la tête et se courber pour passer sous les racines des arbres qui traversent de part et d’autre les parois du tunnel. Indéniablement le site est dangereux et instable. "Il ne reste aujourd’hui plus que 80 mètres de tunnel accessible et sécurisé. Il y a encore quelques années on pouvait parcourir 200 mètres. Mais les éboulements sont nombreux". Parfois, des accès sont murés. "Le tunnel devait mesurer plus de 14 km. Il rejoignait Wingersheim, Mittelhausen, et même Hochfelden. J’aimerais bien un jour percer ces murs en brique pour voir ce qu’il y a derrière", lance Jean-Marie Criqui.
Aucune véritable fouille n’a été entreprise dans le souterrain. "Mais nous avons trouvé des anciens tessons de bouteilles et de la céramique". En revanche, les inscriptions laissées par les visiteurs sont très nombreuses : des croix, des symboles géométriques, des patronymes, des dates.
Des petites cavités sont creusées dans la terre tout le long du parcours. Elles permettaient d’y installer des petites bougies qui illuminaient les parois pour permettre la progression.
Près d’un éboulis Jean-Marie Criqui s’arrête : "Ici c’est peut-être la jonction avec le tunnel du château de Hohatzenheim qui se trouvait à la place du restaurant de l’autre côté de la route. Il parait qu’au sous-sol du château, un large puits d’une trentaine de mètres descendait jusqu’à ce tunnel. On pouvait y accéder par une échelle d’espaliers en fer. Dès que le chatelain et sa famille se sentaient en danger, ils pouvaient ainsi se cacher ou s’enfuir".
Actes de bravoure
Tous les témoignages convergent. Le tunnel devait rester secret car il permettait de fuir. "C’est un tunnel de fuite". Les villageois expliquent que le souterrain "a aussi servi durant la Guerre de Trente ans" (1618-1648). Cette guerre a décimé la population. Les paysans très pieux avaient l’habitude de faire bénir leurs outils de travail en l’église de Hohatzenheim, considérée comme un des premiers lieux chrétiens dans la région. Ils empruntaient le tunnel depuis tous les villages environnants, pour y accéder, sans se faire voir par les terribles soldats suédois stationnés sur la plaine. L’ensemble des galeries, y compris celle du presbytère débouchaient directement dans la nef de l’église. Les fuyards pouvaient ainsi bénéficier du droit d’asile "asyrecht", leur vie était alors sécurisée. Plus aucun soldat ne pouvait s’en prendre à eux "car il était interdit de rentrer en arme dans une église".
Il est attesté également que durant la Seconde Guerre mondiale, le curé du village a fait entrer dans le tunnel plusieurs personnes recherchées par les nazis, dont un instituteur, un homme d’église, des déserteurs alsaciens qui ne voulaient pas être enrôlés dans l’armée allemande (les Malgré-Nous). Ces hommes encouraient la mort. Ils ont vécu reclus dans le tunnel pendant plusieurs mois. Des niches dans lesquelles ils dormaient sont toujours visibles, des inscriptions de leurs passages aussi.
Le tunnel secret d’Hohatzenheim ne se visite normalement pas. Mais notre guide, Jean-Marie Criqui concède que sur demande de passionnés d’histoire, il est prêt désormais à ouvrir les portes de ce souterrain de façon exceptionnelle. Vous pouvez vous renseigner auprès de la mairie de Wingersheim-Les-Quatre-Bans (67) pour une visite guidée.
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