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Une usine nazie méconnue enterrée sous la montagne : "elle n’a servi à rien, si ce n’est à tuer des gens, à les exploiter, à les torturer"

A l'intérieur de l'usine nazie d'Urbès (68), l'oxygène se fait de plus en plus rare.

La particularité de l’usine nazie d’armement d'Urbès (Haut-Rhin) c'est qu'elle est enterrée dans la montagne près du Col-de-Bussang. L’entrée est formellement interdite au public car le site sert de captage d’eau potable. C’est aussi un effroyable lieu de mémoire, puisque cette fabrique était occupée par des déportés du seul camp de concentration en France, celui de Natzwiller-Struthof, qui avait également sa chambre à gaz.

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Les vestiges sont maigres, mais toujours présents : l’imposant blockhaus qui protège le site, des charpentes métalliques, des embrases de machines-outils, un poste de soudage, des inscriptions en allemand, des grilles d’aération, et tout le long de cette immense percée de 4800 mètres, d’anciens bureaux, des postes de garde et des latrines toujours bien visibles.

Nous sommes dans l’ancienne usine nazie d’armement sous la montagne, à Urbès (Haut-Rhin), qui produisait des pièces de moteurs Daimler-Benz pour les réacteurs d’avion  Messerschmitt.

C’est ce qu’on appelle, dans notre jargon, "un tournage difficile". Le maire du village, Stéphane Kuntz, qui accompagne l'équipe de France 3 pour nous faire découvrir ce lieu de mémoire, nous prévient : "Ici pas de lumière, c’est le noir complet jusqu’au bout. Faites attention à votre matériel de tournage, la condensation est très importante, l’humidité rentre partout, il est presque impossible de prendre des photos pour cette raison. Mais surtout, on y va doucement. Au bout du tunnel, la chaleur est écrasante et il n’y a plus beaucoup d’oxygène. Et pensez que des milliers de déportés travaillaient ici, étouffés par les groupes électrogènes alimentés au diesel, sans évacuation".

Il poursuit : " Au fond du tunnel, les nazis ont fait construire par les déportés une sorte de canal souterrain qui permet de collecter l'eau de source. Il est toujours actif. C'est là que nous nous arrêterons. Nous n'irons pas plus loin. L'eau est un bien précieux que notre visite ne doit pas polluer".

 Une usine nazie dans un tunnel ferroviaire abandonnée

À partir de fin 1942, la domination de l’Allemagne nazie sur l’Europe est de plus en plus contestée par les Alliés anglo-américains qui réussissent à bombarder de nombreuses industries sur leur sol. Les usines d’armement sont particulièrement visées. Le IIIème Reich d’Adolf Hitler va donc chercher des moyens rapides de protéger ses intérêts militaires.

C’est sous le nom de code "Kranich (la grue)"  que le projet "Wesserlingtunnel bei Mülhausen" voit le jour. À cette époque, à Urbès (Haut-Rhin), un tunnel ferroviaire de presque cinq kilomètres est abandonné depuis 1935. Ce sont les vestiges d’une ligne SNCF construite par les Français entre Mulhouse (Haut-Rhin) et Epinal (Vosges) : les travaux ont été arrêtés. Seul le coté alsacien avait été percé. Version officielle : "le coût du tunnel a été sous-évalué et l’entreprise chargée de la maitrise d’ouvrage a fait faillite". La version officieuse est militaire dans une période de tensions d’avant-guerre entre la France, l’Allemagne et l’Italie : "Si nous perçons ce tunnel jusqu’au bout, nous donnons un accès rapide sur nos territoires à nos futurs ennemis".

Or, depuis octobre 1940, l’Alsace est totalement annexée par l’Allemagne nazie. L’idée de se servir du tunnel pour se protéger des raids aériens est donc tout à fait logique pour le commandement SS. Dès le mois de décembre 1943, des travaux d’aménagements sont réalisés par des entreprises réquisitionnées et par des déportés du camp du Stuthof (Bas-Rhin) pour accueillir une usine de moteurs d’avions Daimler-Benz : une dalle de béton sur 1867 mètres est coulée, un mur obstruant le tunnel, un immense réservoir d’eau pour recueillir les infiltrations, un toit à deux pentes pour évacuer le ruissèlement, un blockhaus fortifié pour protéger l’entrée. C’est ainsi que le tunnel ferroviaire d’Urbès devient une annexe du camp de concentration de Natzwiller-Struthof sous la dénomination camp de concentration de Natzwiller, Bloc Wesserling, chantier Urbès : (KonzentrationsLager- KL Natzweiler, Block W, Baustelle U).

Des milliers de déportés travaillent dans des conditions insupportables

Officiellement, Un premier convoi de trois cents déportés arrive de Dachau, le 26 mars 1944. Un deuxième convoi de 200 prisonniers, toujours de Dachau, le 1er avril 1944. Un autre convoi depuis Lublin de 1000 personnes, le 15 avril 1944. Parmi ces déportés, de nombreux prisonniers politiques, des homosexuels ou des prisonniers de droit commun, originaires majoritairement de Russie, de Pologne, d’Italie et de Tchéquie. Enfin, vers la mi-août 1944, lorsque que l’ensemble des infrastructures est achevé, quatre-cent soixante-cinq juifs déportés, "affectés exclusivement au travail pour Daimler-Benz" sont conduits au camp d’Urbès pour le montage des machines-outils. Il leur était strictement interdit de parler ou de rentrer en contact avec les autres détenus.

Le travail dans le tunnel était inhumain, insupportable. L’électricité et les machines étaient alimentées par des générateurs au diesel. L’évacuation des gaz n’était possible que sur les trois cents premiers mètres du tunnel. La chaleur était étouffante. L’éclairage était rudimentaire : quelques mètres de visibilité tout au plus.

« Cette usine nazie n’a servi à rien ; si ce n’est à tuer des gens, à les exploiter, à les torturer. »

Stéphane Kuntz

Maire d'Urbès (68)

 Une usine d’armement qui n’a servi à rien

Le commandant SS du camp, Joseph Janisch, imposait une cadence d’enfer. Le camp est considéré comme l'un des plus cruels de l'Allemagne nazie. Un déporté pouvait travailler de douze heures à vingt-quatre heures par jour, selon son profil.

Dans ces conditions, les prisonniers étaient épuisés et inaptes en quelques jours. Dès qu’un déporté ne pouvait plus travailler, il était immédiatement renvoyé au camp principal du Struthof où bien souvent, il perdait la vie. C'est la raison qui explique qu'officiellement, le camp annexe d'Urbès ne dénombre que huit morts, principalement des pendaisons pour tentative d'évasion. De telles conditions de travail forcé nuisait évidemment à la productivité de l’usine d’armement, conditionnait des maladies comme le typhus, et alimentait les nombreux accidents.

A la fin août 1944, l’usine nazie pu fonctionner à plein régime pour seulement quinze jours. Au vu, de l’avancée des Alliés vers l’Allemagne depuis le Débarquement, le commandement général des Schutzstaffel (SS - escadrons de protection) décida dans la précipitation de démanteler le camp annexe d'Urbès, le 9 septembre 1944. Les déportés furent transférés en urgence dans d’autres camps de concentration, plus à l’Est. Les machines de production furent peu à peu démontées.

Un seul train chargé de matériels d’armement pu sortir de l’usine. Il dérailla pour des raisons inexpliquées à Thann (Haut-Rhin) alors qu’il était encore dans la vallée, quinze kilomètres après son départ. Toute la cargaison était rendue inutilisable. 

Accéder au site

L’intérieur de l’ancienne usine d’armement ne se visite pas. En revanche, tout le site et les vestiges extérieurs sont accessibles (le blockhaus à l’entrée, une ancienne infirmerie destinée aux soldats allemands, un local de désinfection…). Des panneaux explicatifs et un sentier pédestre de découverte permettent de se familiariser avec l'histoire riche du lieu. Des commémorations s’y déroulent assez régulièrement.

Pour s’y rendre depuis Wesserling, il faut emprunter la nationale 66 vers le Col-de-Bussang jusqu'à Urbès. Traverser le village, puis prendre à droite vers le camping. C’est là où les baraquements des déportés se trouvaient. L’œil aguerri pourra déceler quelques traces de ces installations. Mais surtout, vous passerez sous l’imposant viaduc d’Urbès, haut de 20 mètres, et complètement perdu dans les prés. Il devait accompagner la ligne ferroviaire qui n’a jamais vu le jour : étonnant et là encore totalement insolite. Une bonne idée de balade en famille.

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