Pizzas Buitoni, chocolats Kinder, fromages… : "tout le monde savait et rien n'a été fait"

Face à la multiplication de produits alimentaires contaminés, Quentin Guillemain, président de l’association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles (AFVLCS), pointe à nouveau du doigt un système de sécurité sanitaire défaillant.

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Quentin Guillemain est conseiller municipal d’opposition à Chartres depuis 2020. Mais il était connu avant au niveau national pour son rôle de président de l’association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles (AFVLCS), dans l'affaire Lactalis.

Fin 2017, sa fille, à l'époque âgée de 3 mois, avait consommé du lait infecté, issu de l'usine de Craon (Mayenne) appartenant au géant de l’agroalimentaire Lactalis. Elle n’était pas tombée malade, mais il avait été l'un des premiers parents à porter plainte contre le groupe français. En tout, 37 enfants atteints de salmonellose avaient été officiellement diagnostiqués en France, dont 18 avaient dû être hospitalisés.

Quatre ans plus tard, Lactalis est à nouveau impliqué dans une affaire de produits alimentaires contaminés. Ce mardi 5 avril, 2.255 fromages ont été rappelés après la découverte de la Listeria sur un fromage. Cette bactérie est susceptible de provoquer la listériose, une infection alimentaire rare mais mortelle dans environ un cas sur quatre.

Ce retrait est le 3e en l’espace de quelques jours : lundi 4 avril, c’est le groupe Ferrero qui ordonnait le rappel de chocolats Kinder fabriqués en Belgique, en raison d'un lien "potentiel" avec des cas de salmonellose dans plusieurs pays d'Europe, dont 21 en France.

A la mi-mars, ce sont des pizzas de marque Buitoni qui ont été retirées de la vente, à cause d’une contamination à la bactérie E.coli. 41 cas graves ont été identifiés, et deux enfants sont morts. Cette recrudescence de scandales alimentaires aurait pu être évitée si des enseignements avaient été tirés de l’affaire Lactalis, d’après Quentin Guillemain que nous avons interrogé.

Comment réagissez-vous face à la multiplication des rappels de produits contaminés ces derniers jours ?

C’est surtout une exaspération parce que tout ce que nous avons vécu nous en 2017 sur l’affaire Lactalis, on le retrouve aujourd’hui dans ces trois affaires. On découvre que des aliments fabriqués dans des usines de l’agroalimentaire sont contaminés au moment où les gens sont malades et où apparaissent des décès. C’est là qu’est le problème : on devrait découvrir la contamination bien en amont, dans l’usine elle-même, si notre système de sécurité sanitaire fonctionnait.

Quand on découvre qu’une usine, comme c’est le cas dans l’affaire Buitoni, est dans des conditions d’hygiène déplorables, cela veut dire que le travail n’a pas été fait en amont, ni par l’industriel lui-même qui n’a pas fait ses contrôles, ni par l’Etat qui est censé pouvoir faire des contrôles inopinés ou des visites régulières et vérifier que tout fonctionne de manière correcte avec une hygiène irréprochable.

Le problème qui existe, qu’on connaît depuis l’histoire de Lactalis, est la question des auto-contrôles, c’est-à-dire que l’entreprise se contrôle elle-même. On fait en sorte que l’industriel soit juge et partie, c’est assez incroyable !

Pourtant, c’est l’auto-contrôle de la fromagerie de Lactalis qui a permis de détecter la Listéria. Cela ne montre-t-il que ces auto-contrôles sont utiles ?

C’est de la communication. En réalité, si les contrôles avaient été faits correctement comme ils le disent, ces fromages n’auraient jamais été mis en distribution, puisque les contrôles ont lieu avant la mise en vente. Au moment où le produit passe la porte de l'usine, cela veut dire que les contrôles qui ont été faits se sont avérés négatifs, exempts de toute bactérie. Donc à partir du moment où il y a un rappel, cela veut dire que quelque chose n’a pas été fait correctement, et donc que l’entreprise est en faute. C’est la loi, ce n’est pas moi qui le dit. 

Tout ça c’est encore de la communication de Lactalis qui dit que ce sont des mesures de précaution. En 2017, c’était aussi par mesure de précaution qu’ils avaient retiré les laits infantiles et il s’est avéré qu’il y avait des personnes malades, hospitalisées à cause de leurs produits.

Pour les pizzas et les chocolats, ce sont les autorités sanitaires et l’Institut Pasteur qui ont découvert les contaminations et donc conduit les entreprises à réagir. Vous pointez pourtant du doigt une absence de contrôle de l’Etat. Pourquoi ?

Il y a des contrôles de l’Etat, assurés notamment par les préfectures et par les services qui sont aussi dans les préfectures, mais dont les moyens ont considérablement baissé. En 10 ans, il y a eu quasiment 500 postes supprimés sur 3.000 postes au niveau national.

Ils ont baissé bien avant 2017, mais aussi depuis 2017, alors même que tout le monde avait fait le bilan que les moyens consacrés n’étaient pas suffisants. Il y avait eu des commissions d’enquête parlementaire à l’époque, des députés qui avaient fait des rapports, qui s’étaient engagés à faire des lois pour compléter l’arsenal réglementaire sur cette question, mais qui n’ont jamais vu le jour. 

Bruno Le Maire était dans le même ministère et s’était exprimé de manière forte. Là aussi, il y eu beaucoup de communication, mais dans les actes, très peu de choses ont été faites. C’est pour cela qu’on est exaspéré, car on connaît tous ces éléments-là depuis 2017, et on se retrouve cinq ans après avec deux enfants décédés, des personnes hospitalisés, trois affaires quasiment au même moment, et un système de sécurité sanitaire qui est encore une fois défaillant. 

Quelles sont vos préconisations ?

Il suffit de prendre le rapport de la commission d’enquête de l’époque [sur l’affaire Lactalis, NDLR] et tout est dedans. On demande à ce qu’il y ait plus de postes qui soient consacrés aux contrôles de ces entreprises de plus en plus nombreuses, qui permettent de faire des analyses in situ, de manière inopinée.

Deuxièmement, il faut mettre fin à ces auto-contrôles. Je ne suis pas sûr qu’on y arrive car c’est une réglementation européenne. Mais a minima, ce qu’on demandait en 2017, c’était la transparence sur ces auto-contrôles. Quand il y a eu l’affaire Lactalis et que l’usine de Craon concernée a rouvert, on a imposé à l’industriel de donner à la préfecture tous ses résultats d’auto-contrôle qu’ils soient positifs ou négatifs, et de manière quotidienne. Pourquoi ne le ferait-on pas ailleurs ? 

Enfin, il y a la question des retraits rappels de produits. A l’époque en 2017, des produits continuaient à être vendus en magasin alors qu’on savait qu’ils pouvaient être dangereux pour la santé. C’est exactement ce qu’il s’est passé aussi pour Kinder : ils ont continué à les vendre en magasin [jusqu'à midi le 5 avril car les supermarchés affirment ne pas avoir reçu jusque-là la liste complète des numéros de lots d'après Ouest-France, NDLR]. 

En 2017, on demandait à ce qu’il y ait un dispositif qui s’appelle des codes-barres RFID, cela consiste à mettre une puce RFID sur votre produit. Evidemment cela coûte plus cher mais l’avantage, c’est que le jour où cela passe en caisse vous identifiez de manière précise le produit dont il s’agit et vous êtes en capacité de le bloquer. C’est quelque chose qui devait être mis en œuvre et cela n’a jamais vu le jour. 

Tout cela, c’est une partie des propositions que l’on faisait en 2017 et qui aurait permis d’éviter ça. Tout le monde sait et rien n’a été fait. C’est exactement ce que je disais dans le livre que j’avais écrit en 2018 : si on ne faisait pas ça, on retrouverait ces problèmes de manière plus grave dans le futur et on y est cinq ans après, avec malheureusement des morts d’enfants.

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