Reportage. Présidentielle, comment lutter contre les violences conjugales ?

Au fil des années, les chiffres des violences conjugales continuent de grimper. Le Grenelle, lancé en 2019, a instauré des mesures pour lutter contre ce type de délinquance. À Dreux (Eure-et-Loir), les acteurs rencontrés sur le terrain voient les progrès, même s'ils restent insuffisants.

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On devine son sourire derrière le masque quand elle nous accueille dans son bureau de Vernouillet, commune limitrophe de Dreux (Eure-et-Loir). Un sourire qui va progressivement disparaitre au fil de la conversation. Odile, une cinquantaine d’années, est mère de deux enfants. Elle est en procédure de divorce après plus de 20 ans d’union et quasiment autant d’abus. "Le mariage a été le point de départ d’un changement d’attitude", commence-t-elle. D’abord des violences sexuelles. "Ça m’atteignait dans mon intégrité. J’avais l’impression d’être une prostituée sans l’être. C’était fait par surprise ou par obligation". Des viols, tout simplement. Puis viennent les agressions physiques comme des gifles. Son quotidien est fait de dénigrement, d’humiliation, devant les amis, la famille, très souvent devant les enfants. Elle ne donne pas de paroles exactes car elle ne s’en souvient pas. Cette violence la "mettait dans un état second".

Voici une des histoires qui se cachent derrière des statistiques brutes, froides qui déshumanisent au possible. Pour le département de l’Eure-et-Loir, 459 procédures ont été lancées par le parquet de Chartres en 2020. Au 7 décembre 2021, il y en avait 479. De l’avis de tous les interlocuteurs rencontrés sur le terrain, les chiffres augmentent d’années en années. Pourquoi ? Les violences conjugales sont-elles de plus en plus présentes ? Ou les victimes prennent-elles davantage la parole ?

Quelle que soit l’hypothèse, la thématique est revenue cette semaine sur l'opération Ma France 2022, lancée en partenariat avec France Bleu et make.org. Vous avez particulièrement plébiscité la proposition d’Anthony.

Il faut former les agents pour écouter les victimes de violences sexuelles et conjugales et prévoir des mesures immédiates efficaces

Anthony, 25 ans

Former en masse les forces de l’ordre à l’accueil des victimes

Il y a une dizaine d’années, après plusieurs tentatives de départ, Odile prend son courage à deux mains et franchit la porte du commissariat. L’accueil y est mauvais. Pas de confidentialité. Et l’entretien avec le policier se passe mal. "J’avais l’impression d’être la coupable et pas la victime. On m’a dit "vous avez une voiture ? Vous n’avez qu’à partir". Pour lui c’était simple, alors que j’avais deux enfants, j’étais sans revenus". On lui propose aussi une confrontation avec son époux. "Il ne pouvait pas me dire une chose plus horrible que cela. Ça m’a mis dans un état de panique absolue". Au lieu d’une plainte, elle dépose une main-courante.

Pour améliorer l’accueil des victimes, le Gouvernement a mis l’accent sur la formation des forces de l’ordre. Cela faisait partie des quarante-six mesures annoncées en 2019, après le Grenelle de lutte contre les violences conjugales, grande cause du quinquennat Macron.

Lucé, banlieue de Chartres. Le petit amphithéâtre des PEP 28 accueille trente-cinq gendarmes de tout l’Eure-et-Loir. Au programme, les V.I.F., les violences intrafamiliales, qui incluent les atteintes conjugales. Depuis le 1er semestre 2020, 350 militaires ont suivi ces modules. Il faudra encore former 200 autres personnes d’ici la fin de l’année 2022.

Le gendarme Marie Dugour, experte V.I.F. et l’adjudante Audrey Varin, spécialiste dans l’audition des mineurs, font défiler les diapositives sur le grand écran. Elles insistent sur l’aspect psychologique. "On apprend à chercher des indices, à faire une procédure mais on n’apprend pas les phénomènes d’emprise", reconnaît Audrey Varin.

"On leur demande un maximum d’empathie, de se mettre à la place de la victime. Il faut la traiter de la manière le plus humaine possible et non pas comme une simple plainte administrative", commente le lieutenant-colonel Martial Losson, officier adjoint au groupement de gendarmerie à Lucé, chargé de l’aspect prévention et partenariat. Quand elles ont affaire à une victime de violences entre conjoints, les forces de l’ordre doivent être à 100 % et faire attention au non-verbal. "Avoir des gestes parasites, regarder son téléphone… On ne se rend pas compte du message que cela renvoie", détaille Audrey Varin.

Retour dans l’agglomération drouaise. Dans son bureau du 1er étage, entre l’affiche du film Le Mans 66 et la carte des Quartiers de reconquête républicaine de Dreux, le Commandant divisionnaire Emmanuel Delavallade joue distraitement avec un mini ballon de rugby. Pour lui, la formation n’est pas suffisante. Il faut prendre en compte la personnalité du policier. Pour s’occuper des V.I.F., il faut être, selon lui, "attentionné, attentif et bienveillant. On est plus sur les qualités intrinsèques des agents que de la formation. Un bon enquêteur qui sait traiter des trafics de stups ne sera pas forcément à l’aise avec ce type de public".

"Il ne m’a pas pris au sérieux"

Au quotidien, des disfonctionnements persistent. Dalila, une quarantaine d’années, mère de quatre enfants l’a vécu récemment. Son masque blanc ne cache pas ses yeux embués par les larmes. Et par moment, sa voix s’étrangle dans sa gorge. Elle a subi des abus pendant près de vingt ans. Elle raconte son histoire en marchant, dans un petit parc située dans une commune de l’agglomération de Dreux. Elle voulait un lieu de rendez-vous discret, à l’abri des regards. Et tant pis s’il fait froid.

Avec un mari violent, les brutalités ont commencé alors qu’elle était enceinte. Une fois, elle s’est retrouvée complètement seule, sans un sou. "Je n’avais même pas un euro pour acheter une baguette à ma fille", raconte-t-elle. Des cris, des coups, un viol aussi.

Pour porter plainte, elle est reçue par un gendarme, aux alentours de la pause déjeuner. "Il m’a dit : "vous êtes sûre ?" Ça m’a vraiment blessée. Il ne m’a pas prise au sérieux. J’ai du mal à digérer. Il m’a dit : "revenez à 14 heures". Elle n’y est pas retournée. Elle est finalement allée au commissariat de Dreux où l’accueil a été meilleur.

En entendant cette histoire, le commandant de la compagnie départementale de Dreux reste abasourdi. "C’est inadmissible et intolérable", s’exclame le chef d’escadron Ihssane Gharbi, commandant de la compagnie départementale de Dreux depuis deux ans. "On travaille au profit de la population et des victimes. Il n’y a rien qui justifie qu’on ne prenne pas sa plainte".

Un moment délicat pour la plaignante et les forces de l’ordre

Le premier contact de la victime est primordial. "Si elle ne sent pas écoutée, pas comprise, elle perd confiance en la justice", résume Samuel N’Guessan, gendarme depuis onze ans. Derrière son ordinateur, il est en train de traiter un dossier de violences conjugales. Quand il doit prendre en charge une victime, il l’amène dans cette petite salle, aux vitres sans teint.

À la Gendarmerie de Dreux, il y a un roulement, si bien qu’un militaire est à l’accueil au moins une fois par semaine. Au commissariat, ce sont toujours les mêmes. Dans leur jargon, on les appelle les plaintières. Pour les accompagner, l’administration a standardisé le protocole. Dans les logiciels d’ordinateurs, en quelques clics, policiers et gendarmes trouvent une trame. Six pages de questions prédéfinies : situation de famille, situation économique, vulnérabilité, le déroulé des faits, etc. À chaque fois, il faut prendre son temps pour remplir tous les points, entre 1 à 2 heures.

Le moment est délicat pour tout le monde. Il faut "passer du tout venant à quelque chose de plus spécifique", explique l’adjudante Audrey Varin. "Quand vous êtes un homme et que vous devez recevoir à 22 heures une victime, vous n’êtes pas forcément à l’aise pour poser des questions qui sont de l’ordre de l’intime", ajoute le Commandant divisionnaire Emmanuel Delavallade.

Mais au-delà de l’accueil des forces de l’ordre, le simple fait d’entrer dans une gendarmerie ou dans un poste de police est une épreuve. Poser sa main sur la poignée de la porte, rentrer dans le hall du commissariat. Ce jour-là, les visiteurs sont accueillis par un sapin, décoration de circonstances au vu de la période. S’approcher de l’accueil. Parler fort pour se faire entendre. Pester contre le plexiglas et le masque que l’on porte sur le nez et la bouche. Prendre le risque que les autres personnes qui attendent derrière entendent la conversation. "J’ai une dame, elle m’a appelée à mon bureau. Elle m’a dit "Je suis sur le parking du commissariat, venez me chercher". Elle n’osait pas sonner", se souvient Gaëlle Descamps, juriste à France Victimes 28 et intervenante sociale.

Prendre le temps

Son bureau se trouve à l’intérieur même du commissariat. Pas de décoration personnalisée mais des affichettes qui rappellent les principaux numéros d’urgence. Son rôle est d’accueillir, d’informer, d’orienter les victimes et d’écouter. Jamais dans le jugement. Toujours dans la bienveillance. Surtout prendre son temps. "C’est fondamental", assure Odile.

En 2016, elle finit par porter plainte. Grâce au CIDFF, le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles, elle a pu se préparer à ce moment. "Je n’aurais pas été en état de dire grand-chose". Pour elle, il faudrait systématiquement la présence d’un psychologue pour "aider à la formulation, qu’il puisse questionner d’une manière qui ne soit pas policière mais qui soit adaptée à notre état traumatique".

Pour aider les victimes et les mettre à l’aise, les lieux de dépôts de plainte pourrait se multiplier. En juillet 2021, une convention a été signée entre l’hôpital de Dreux, la préfecture d’Eure-et-Loir et l’ARS Centre-Val de Loire pour que ce soit possible sur place.

Enquêter pour que la justice agisse

Au commissariat de Dreux, la brigade de protection de la famille, composée de quatre enquêtrices, s’occupe uniquement des V.I.F. Dans les communes de Dreux, Vernouillet, Luray et Sainte Gemme Moronval, elle a traité 152 affaires de violences conjugales en 2021. Une grande partie des affaires est close.

Pas question de laisser s’empiler les dossiers, assène Rémi Coutin. Le procureur de la République de Chartres a fait de la lutte contre les violences conjugales l’une de ses priorités. Pourtant, son bureau est bien chargé, signe que l’activité du Parquet est intense. Chaque année, il gère 27 000 procédures.

Dans ses dernières instructions aux forces de l’ordre, le magistrat rappelle que le placement en garde à vue – 48 heures maximum – est systématique et immédiate pour les enquêtes de flagrance. Même chose quand des faits sont commis avec des circonstances aggravantes : l’usage d’une arme, une interruption temporaire de travail de plus de 5 jours, la présence d’un enfant, l’alcool ou les stupéfiants.

Ne pas trop espérer de la justice

Souvent, l’enquête se fait le temps de la garde à vue. Les enquêteurs doivent rassembler les preuves – textos, messages vocaux, photos, certificats médicaux – auditionner les témoins – enfants, famille, voisins – ainsi que le mis en cause. Car il faut suffisamment d’éléments. "On doit renvoyer devant le tribunal des dossiers qui tiennent, où on est sûr qu’il y a eu des faits de violence", admet Rémi Coutin. En 2020, un quart des dossiers pour violences conjugales a été classé sans suite, la très grande majorité pour "infractions insuffisamment caractérisées".

C’est ce qui est arrivé à Odile. Il y a quelques années, la quinquagénaire dépose plainte contre son mari. Elle explique qu’elle n’a pas été contactée. Les témoins n’ont pas été entendus. Au bout d’un an, elle apprend que son dossier n’ira pas plus loin. "Ça m’a fichu un gros coup", regrette-t-elle. D’autant qu’elle n’avait pas été prévenue. Elle a dû appeler elle-même le parquet. "C’est un loupé", reconnait le procureur. "On n’est pas très bon pour assurer l’information des victimes. On en revient au moyen de la justice".

Alors les victimes ne doivent pas trop espérer. "Si une d’entre elle vient chez nous et nous dit : "mon but c’est de me venger", c’est sûr qu’il y aura une déception à la fin", admet Anna Loyer, juriste au CIDFF. Ce sentiment d’injustice, Aurélie le connait bien. La trentenaire s’est séparée plusieurs fois de son compagnon. Car avec lui, sa vie se résumait aux insultes, aux obsessions, à la jalousie, aux menaces de mort, sans oublier les coups. Après des années de violences, elle porte plainte. Son ex est condamné à 12 mois de prison dont 4 mois avec sursis. Pour elle, ce n’était pas suffisant. Elle veut des peines plus sévères. "Vous mettez 4 mois en prison quelque un qui a frappé sa femme pendant 5 ans alors qu’elle est détruite psychologiquement ? Je trouve ça complètement surréaliste", se désole-t-elle.

Protéger la victime

En Eure-et-Loir, le dernier féminicide s’est déroulé à Chartres, en mai 2021. En cinq ans, trois femmes ont été tuées par leur conjoint. Pour éviter d’en arriver là, depuis février 2021, le domicile et les véhicules des mis en cause sont systématiquement perquisitionnés, à la recherche d’armes. En trouve-t-on beaucoup ? "C’est considérable", répond Rémi Coutin. "Beaucoup d’armes de chasse". Tout est fait pour protéger la victime.

Si elles se sentent en danger, les victimes peuvent également demander des ordonnances de protection. En 2021, sur les 16 demandes, la moitié a été accordée par les juges des affaires familiales. Le chiffre est faible. Mais sont-elles vraiment efficaces ? "Au-delà de ça, c’est aussi une dynamique sociétale. Les ordonnances de protection, ça veut dire qu’on croit les victimes. Elles ne sont pas toutes seules", souligne Anna Loyer du CIDFF. "Certes, ce n’est qu’un bout de papier, mais ça rentre dans une dynamique de reconnaissance des violences conjugales".

En Eure-et-Loir, la justice a à sa disposition d’autres outils pour protéger les victimes. Depuis février 2021, elle possède trois bracelets anti-rapprochement. Deux seront posés dans les prochains mois, quand les deux individus devront purger leur sursis probatoire. Le principe ? L’auteur et sa victime ont tous les deux un boitier qui les géolocalise en permanence. Le condamné a interdiction de s’approcher à une distance définie sous peine d’être arrêté.

Quant au téléphone grave danger, il y en a huit dans le département, dont quatre sont attribués. En principe, seule la victime et les services judiciaires sont au courant. "Ça nous permet de vérifier si, dans l’absolu, il compte respecter l’interdiction de rentrer en contact ou s’il le fait parce qu’il y a un dispositif dédié. Ce que l’on n’a pas avec le bracelet", compare Gaëlle Descamps, de France Victimes 28.

Sentiment d’impuissance

Jusqu’à très récemment, Aurélie détenait ce dispositif. Notre entretien se déroule par téléphone car elle a quitté Dreux, pour ne pas que son ex la retrouve. "Je courrais à ma voiture de peur qu’il puisse surgir de n’importe où. C’était ça tous les jours. Je regardais partout pour voir si je ne l’apercevais pas dans un recoin", raconte-t-elle. Avec le téléphone grave danger, elle n’était pas rassurée à 100 %. "C’était relié directement à la police. Je n’avais pas besoin de donner toutes les explications s'il m'arrivait quelque chose. Mais ce n’est pas avec un TGD que vous vous dites : "ça y est, je ne risque plus rien". Il n’aurait pas empêché les violences".

Le parquet peut agir sans qu’il y ait eu plainte. C’est le procureur qui décide de poursuivre ou pas. Même si les victimes ne sont pas d’accord. En évoquant ces cas, on sent un Rémi Coutin, dépité, touché par ce qu’il peut entendre lors des audiences. "Combien de fois en comparution immédiate, je vois dans la salle d’audience la victime avec un gros coquart à l’œil alors que son conjoint comparait dans le box des prévenus et qu’elle vient dire "je retire ma plainte, je l’aime, je ne veux pas qu’il soit condamné, il n’a pas fait exprès", relate Rémi Coutin. "Il y a deux semaines, une victime a dit "il me tape simplement tous les 3 jours, ce ne sont pas des violences conjugales". On se sent un peu démunis face à ses situations".

"Les procédures que l’on traite, ce sont des personnes qui n’étaient pas connues avant. On n’a pas de boules de cristal qui permettent aux magistrats du parquet de voir ce qui se passe dans les familles. C’est illusoire de croire qu’on peut les empêcher à 100 %. Parfois avec mes collègues, on a l’impression de vider la mer avec une petite cuillère".

Rémi Coutin, procureur de Chartres

Ne pas baisser les bras en s’appuyant sur le tissu associatif

Tout au long de leur parcours judiciaire, les victimes sont souvent épaulées par des associations. À Dreux, France Victimes 28 et le CIDFF sont bien implantés. Une nouvelle association, « Derrière les murs » a été créée en avril 2021. À sa tête, la présidente, Florence Henri, ancienne élue de Vernouillet et Brigitte Melot, vice-présidente, fonctionnaire à l’hôtel de police de Dreux. Deux femmes dynamiques et investies dans leur cause que l’on rencontre sur le parking d’une zone commerciale. Elles se relaient pour emballer des jouets dans une grande enseigne. Leur grand projet : créer, en collaboration avec le conseil départemental, un réseau d’hébergement citoyen. Elles recherchent des personnes ayant de la place qui accepteraient, pour un temps limité, d’héberger une mère ou un père avec ses enfants. Car les places de logement manquent cruellement à Dreux.

Mais leur rôle auprès des victimes est surtout logistique. "On voit ce qu’on peut mettre en place : une aide pour un psy, pour un avocat, pour un logement, pour de la nourriture, pour des démarches administratives comme à la CAF. On doit être présentes très rapidement", explique Florence Henri. Depuis le mois de septembre, elles ont aidé plus d’une quinzaine de personnes.

Ces associations sont autant de relais pour les forces de l’ordre, des lieux où les victimes peuvent trouver des réponses pour aller au-delà des blocages : la peur d’être seule, de manquer d’argent car c’est le mari qui fait vivre la famille, la peur de perdre la garde des enfants.

Quand la permanence de France Victimes se trouvait dans les quartiers, Gaëlle Descamps avait l’étiquette "la dame juridique". "On est sur des questions types "poignées de portes". Par exemple, une maman vient pour une erreur médicale, je la suis pendant plusieurs rendez-vous sur ce sujet. À l’issu d’un entretien, j’ai la main sur la poignée de porte pour la ramener à l’accueil, et là elle me dit "au fait, vous vous connaissez en instruction". Je lui réponds : "Oui. Vous avez un dossier en instruction ?". Elle me répond "oui j’ai mon beau-père qui m’a violé quand j’étais encore mineure. Là le juge d’instruction a envoyé un courrier". Une fois qu’on a pris le contact, que la confiance s’est installée, on va aller sur des dossiers plus compliqués émotionnellement, on va pouvoir se livrer plus facilement", comment Gaëlle Descamps. En ayant cette approche, elle pouvait par la suite réorienter vers le commissariat.

C’est d’ailleurs ce que fait le CIDFF. Ses permanences, qui se trouvent dans des lieux neutres, sont des endroits où on peut venir s’informer sur ses droits. 214 rendez-vous juridiques et psychologiques ont été enregistrés par le CIDFF à Dreux en 2020. Là aussi, le travail se fait en douceur. "On doit rassurer la personne, ne pas la culpabiliser ou lui dire de faire ça ou ça. Car une personne victime de violences sera déjà sous l’emprise de quelqu’un qui lui dit toujours ce qu’elle doit faire", éclaire Ophélie Wident, juriste au CIDFF. Pas question de forcer quelqu’un, même pour déposer plainte. "Si on la force à faire quelque chose, si elle n’est pas prête, elle va potentiellement mettre ça en échec. Ça va la perturber et l’affecter plutôt que de l’amener vers une amélioration", conclut Anna Loyer juriste au CIDFF.

Mieux détecter les situations de violences

En plus de l’accompagnement des victimes, le CIDFF propose également des formations. Ce jour-là, elle se déroule à l’Espace Saint-Jean, à Dreux. Il faut descendre quelques petites marches pour rentrer dans la salle. Une quinzaine de personnes – dont deux hommes – est assise. Sur les tables, des bloc-notes. Dans les mains, des stylos. Chacun écoute attentivement, surtout quand on parle du cycle de la violence.

Dans leur travail, Delphine Pierrot et Emilie Paulat se sont déjà retrouvées démunies. Elles travaillent dans une structure multi-accueil, dans le quartier des Bâtes où elles ont en charge des enfants, de trois mois à quatre ans. "Le temps de transmission, le matin ou le soir, c’est assez court. Des familles peuvent nous montrer un certain nombre de choses sur ce laps de temps", analyse Delphine Pierrot. "On arrive à s’en saisir ou pas. Parfois, on sent que si on laisse passer ce moment-là, on a loupé quelque chose avec la famille. Et revenir dessus, c’est délicat". C’est pour cela qu’elles aimeraient pouvoir distribuer une petite carte avec les numéros importants, à donner aux personnes concernées. "Notre rôle, c’est accompagner les gens. Il faut qu’on ait les bonnes informations pour orienter les gens les plus rapidement possible", estime Emilie Paulat.

"Plus les gens seront formés, plus ils comprendront le sujet, plus ils seront à même de poser des questions et à identifier, à détecter et à repérer des situations compliquées", résume Marie Bossard, responsable du CIDFF 28. Encore faut-il financer ce genre d’actions. En Eure-et-Loir, la préfecture a annoncé qu’elle augmenterait le budget alloué à la lutte contre les violences conjugales. En 2021, il est de 133 000 euros, soit 45 000 euros de plus.

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