Depuis mi-mars, des étudiants en soins infirmiers d'Eure-et-Loir travaillent comme aides-soignants pour des établissements de santé mais sont payés comme stagiaires. Certains touchent 38 par semaine. Le Conseil régional vient de demander à l'Etat l'autorisation de revaloriser les stages.
Nous l’appellerons Géraldine* car elle ne souhaite pas que son école sache qu’elle témoigne. Elle est en deuxième année en institut de formation des infirmiers en Eure-et-Loir : "Nous ne voulons donner ni notre nom ni le nom de l’école car nous avons peur des représailles. Ce sont nos formateurs qui nous trouvent nos stages et nous notent. On ne veut pas que cela nous retombe dessus."On veut bien participer à l’effort collectif mais on ne veut pas être exploités.
Une omerta dans les instituts de formation
Si cette étudiante ne souhaite pas dévoiler son identité, c'est aussi le cas de beaucoup d'autres, d'où la difficulté de dénoncer leurs conditions de rémunérations et de travail."Les étudiants ont peur de parler parce qu'ils craignent que les professionnels de santé ne valident pas leur stage ou que l'institut de formation exige un stage de rattrapage en juillet ou les convoque pour une sanction disciplinaire.
Cela s'est déjà vu", constate Vincent Opitz, vice-président de la Fnesi, Fédération nationale des étudiant(e)s en soins infirmiers chargé des relations presse.
Pourtant, Géraldine semble dans son droit lorsqu'elle dénonce ses conditions de rémunération.
Le 17 mars, tous les stages ont été arrêtés faute de pouvoir accueillir les stagiaires dans de bonnes conditions.
Mais très vite, les étudiants en soins infirmiers ont rejoint les troupes des soignants pour prêter main forte à la lutte contre le coronavirus. "Au départ c’était sur la base du volontariat, puis très vite cela est devenu obligatoire. On comprend qu’il faut participer mais on tient à être reconnus pour notre travail", explique Géraldine.
L'étudiante en soins infirmiers poursuit : "Certains ont de vrais stages encadrés mais d’autres comme moi, occupent des postes d’aide-soignants. On travaille 35 heures par semaine payées 38 euros… la semaine.
Le problème, c’est que ce sont des tâches qui ne nous apprennent rien sur notre métier. On est juste là pour pallier un manque d’effectifs."
Un stage doit être encadré par un tuteur et un maître de stage
Les étudiants en soins infirmiers doivent réaliser un stage de 5 semaines jusqu'à fin avril. Il s'agit de stages conventionnés indemnisés 28 € par semaine en première année, 38 € par semaine en deuxième année et 50 € par semaine en 3ème année."Il s'agit d'une convention de stage tripartite entre l'institut de formation, l'étudiant et l'établissement de santé. L'étudiant doit être encadré par un infirmier, doit avoir un tuteur qui suit sa progression et un cadre de santé qui fait office de maître de stage.
Là, avec la crise du Covid-19, les étudiants sont très souvent livrés à eux-mêmes pour réaliser des tâches d'aide-soignants ou de brancardiers afin de pallier le manque d'effectifs. C'est illégal", explique Vincent Opitz, vice-président de la Fnesi.
Les instituts de formation sont soumis à l'autorité de l'Agence Régionale de Santé (ARS).
Ils doivent s'assurer que le stage se déroule dans de bonnes conditions. "Si ces étudiants sont en stage, ils ne doivent remplacer personne et être supervisés par un maître de stage. Ils ne doivent pas réaliser le travail d’aide-soignant s'ils ne sont pas rémunérés pour cela. Sinon, il faut qu’ils aient un contrat sous forme de vacation.
Là, ils doivent être rémunérés par l’établissement de santé. Nous allons veiller à rappeler aux instituts de formation les règles en vigueur", explique le responsable communication de l’Agence régionale de santé du Centre-Val de Loire.
Une revalorisation des indemnités de stage dans huit régions mais pas encore en Centre-Val de Loire
Comment réaliser un stage dans des conditions normales alors que la situation liée au Covid-19 est exceptionnelle ?Cela semble impossible. Et pourtant il est indispensable que ces étudiants valident leur stage.
Dans certaines régions, 8 au total, les indemnités de stage ont été revalorisées. C'est le cas en Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Ile-de-France, Sud, Occitanie et Corse.
La revalorisation va de 1200 à 1500 euros par mois.
Elle est financée soit par l'État comme en Ile-de-France, soit par les Régions comme dans la région Sud.
"Nous demandons à ce que cette revalorisation soit appliquée partout en France pour que les étudiants puissent subvenir à leurs besoins. Il faut que tous les étudiants infirmiers soient logés à la même enseigne", appelle la Fédération nationale des étudiant(e)s en soins infirmiers.
#COVIDー19 | 5 nouvelles #Régions revalorisent les indemnités de stage pour les #ESI mobilisés, pour un total de 8 Régions !
— FNESI (@La_FNESI) April 19, 2020
La FNESI les remercie et demande aux autres Régions d'uniformiser la valorisation de l'implication des ESI durant la crise. pic.twitter.com/vaaHHMfBAA
Un appel que lancent aussi les étudiants d'Eure-et-Loir eux-même : "C’est quand on a vu que dans d’autres régions ou d’autres départements les indemnités de stage étaient augmentées ou que des vacations étaient accordées qu’on s’est dit que c’était injuste. Nous sommes prêts à prêter main forte mais nous réclamons la reconnaissance de notre mobilisation et cela passe également par une rémunération descente."
A noter que ce sont les Régions qui versent les indemnités de stage aux étudiants en soins infirmiers, ainsi que les bourses. Elles financent également les instituts de formation.
La Région Centre-Val de Loire demande à l'Etat la possibilité d'indemniser les étudiants infirmiers à hauteur de 1000 euros
Ce vendredi 24 avril, la Région annonce qu'une demande de revalorisation des indemnités de stage a été faite auprès de l'Etat :"Le versement de rémunérations doit faire l'objet d'une autorisation dérogatoire de l'Etat, qui pour les régions les plus touchées par le COVID-19 (hôpitaux encombrés, réquisitions....) a autorisé les Conseils régionaux à débloquer des fonds du Pacte Régional d'Investissement dans les Compétences. Notre Région a engagé un processus pour pouvoir soutenir les soignants en formation à travers une aide exceptionnelle importante (à partir de 1000 €/ mois)."
La demande d'autorisation dérogatoire a été transmise aux Ministères de la Santé et de la Formation professionnelle. La Région attend une réponse des Ministères concernés. Le Conseil régional pourra ensuite apporter une aide sur les deux mois concernés.
Hier, jeudi 23 avril 2020, les jeunes Républicains de la Région Centre-Val de Loire appelaient également le Président François Bonneau à revaloriser les indemnités des étudiants soignants.
"Les étudiants, qu'ils soient en médecine, en soins infirmiers, aide-soignants ou dans n'importe quelle autre filière médicale, doivent faire l'objet d'une revalorisation salariale pour ce colossal travail accompli, ainsi qu'en raison des risques encourus.
L'Uni, avec l'appui du collectif des étudiants en santé et du collectif des étudiants en soins infirmiers, ont déjà effectué cette demande de hausse pécuniaire auprès du président Bonneau, restée sans réponse."
Les jeunes Républicains de la région Centre-Val-de-Loire s’associent avec @droiteuniv @CEtudiantSante, Collectif des Étudiants en Soins Infirmiers pour demander à @fbonneau, président de région, une juste rémunération pour les étudiants soignants qui se battent contre le Covid-19 pic.twitter.com/Uw513hGlHd
— Jeunes LR 36 (@JeunesLR36) April 23, 2020
Des différences de traitement au sein de la région Centre-Val de Loire
Géraldine et le collectif des étudiants infirmiers d'Eure-et-Loir dénoncent aussi des inégalités au sein même de la région Centre-Val de Loire : "Certains instituts autorisent les étudiants à effectuer des vacations rémunérées, d'autres valideront les stages annulés par des écrits, et certains en revanche imposent la présence en stage même sans aucun apport pédagogique."En effet, dans d'autres instituts de formation comme à Blois ou à Orléans, les étudiants travaillent comme vacataires. Ils ont un contrat de travail en CDD et la rémunération qui va avec.
"Normalement, les vacations ne peuvent être réalisées que sur le temps libre des étudiants, pendant le week-end et les vacances. Ils sont rémunérés comme les aide-soignants qu'ils remplacent puisqu'à la fin de la première année, ils ont l'équivalence d'un diplôme d'aide-soignant", rappelle Vincent Opitz de la Fnesi.
Quid des réquisitions ?
Le terme de "réquisitions" est souvent employé pour parler de l'emploi des étudiants dans les établissements de santé pendant la crise du Covid-19. Or, ils ne peuvent être réquisitionnés qu'en dernier recours et seulement par le Préfet de Région."Les étudiants sont perdus parce qu'ils sont appelés par leur institut de formation ou les établissements de santé pour être réquisitionnés dans les services. Mais ce n'est pas légal", confirme Vincent Opitz de la Fnesi.
Une ligne ouverte par la Fnesi
En France, 60 000 des 94 000 étudiants en soins infirmiers sont employés dans les services des établissements de santé pendant cette crise du Covid-19.En Centre-Val de Loire, 1259 sur 3000 sont en établissement de santé : 17% en stage et 28% en CDD (voir encadré).
Pour toute question, les étudiants peuvent se rapprocher de la Fédération nationale des étudiant(e)s en soins infirmiers qui a ouvert une ligne d'appels d'urgence au 01 40 33 70 78 et une plateforme de conseils sur son site.
*Pseudonyme#COVIDー19 | Jusqu'à aujourd'hui, 70% des #ESI étaient obligés de laver leurs tenues professionnelles par leurs propre moyens.
— FNESI (@La_FNESI) April 23, 2020
Suite à nos revendications, une réglementation stricte a été publiée.
Pour consulter la FAQ du @MinSoliSante : https://t.co/810q7oMT5z pic.twitter.com/hYMtb98V7M
CDD ou stage : quel statut pour les étudiants infirmiers du Centre-Val de Loire pendant la crise du Covid-19 ?
- La région Centre-Val de Loire compte 3000 étudiants en soins infirmiers répartis entre 13 Instituts de formation (IFSI)
- 485 étudiants en soins infirmiers sont en stage, soit 17% des effectifs
- 774 étudiants en soins infirmiers sont en CDD, soit 28% des effectifs
- A noter pour les élèves aides-soignants : 94 sont en stage, soit 13 % et 148 sont en CDD, soit 20 % des élèves.