La journaliste Camille Paix documente sur les réseaux sociaux ces femmes déterminantes de l'Histoire, mais tombées dans l'oubli. Comme Eliska Vincent, une militante socialiste et féministe, née en Eure-et-Loir.
"Taphophilie (n.f) : vive affection pour les cimetières et les tombes". C'est le premier message posté sur le compte Instagram Mère Lachaise. Depuis août dernier, la journaliste Camille Paix occupe les réseaux sociaux de ses croquis, photos, dates et récits. Elle est devenue la biographe du Père Lachaise, l'un des plus célèbres cimetières du monde, 43 hectares. Ou plutôt, des femmes du Père Lachaise.Où est sa femme, et toutes les autres ?
"J'y passais du temps seule parce que je venais d'emménager à côté. J'ai fini par me rendre compte que les tombes vers lesquelles j'allais naturellement, c'étaient celles d'hommes. Alain Bashung, Oscar Wilde, Paul Eluard..." Un jour, devant la tombe de Paul Eluard, Camille Paix se demande où est sa femme, Nusch, souvent présente dans ses poèmes. "J'ai trouvé sa tombe, elle est plus loin, beaucoup plus anonyme, puisque Paul Eluard est dans le carré communiste."
La curiosité l'emporte : la jeune femme commence à chercher des informations pour "féminiser" les visites guidées qu'elle fait à ses amies. "Le travail du début m'a été mâché par les autres passionnés de cimetières qui font ce travail, notamment l'Association des Amis et Passionnés du Père Lachaise. Il y a aussi Philippe Landru, qui a un site internet sur les cimetières de France qui est une mine d'informations". Depuis, elle a diversifié ses recherches, dans la littérature ou aux archives.Après huit mois à embarquer mes copines en pèlerinage sur les tombes des grandes femmes au Père Lachaise, j'ai décidé qu'il n'y avait pas de raisons qu'il n'y ait qu'elles qui en profitent. Ça se passe sur Instagram et il y a des petits dessins ? https://t.co/fpmyFjS8rn
— Camille Paix (@kmilapx) August 20, 2019
Eliska Vincent, figure eurélienne oubliée
En ce moment, et à cause du confinement, elle bute sur un obstacle. "Je cherche sa sépulture et je ne la trouve pas, ça c'est ma frustration. Je sais qu'elle est morte à Asnières, parce que j'ai retrouvé son certificat de décès. Mais les registres d'inhumation de la ville d'Asnières ne sont pas publics..." Ce lieu de sépulture, c'est l'une des pièces manquantes de la biographie d'Eliska Vincent. Née à Mézières-en-Drouais, en Eure-et-Loir, elle co-fonde la toute première association féministe française, "la Société pour la revendication du droit des femmes". Militante socialiste, elle participe à la Commune de Paris et manque de peu d'être exécutée pour cela.
Une influence immense, pour une postérité si modeste. C'est pour cela que, même si elles ne reposent pas toute dans le jardin parisien, Camille Paix a voulu mettre en lumière les figures féministes de l'époque. "C'est le réseau militant d'une époque, qui commence en 1890. Il y a une transmission entre les générations. Elles se sont rencontrées, elles se sont appris des choses, je pense qu'on imaginait pas pas comme ça le féminisme de cette époque" s'enthousiasme la journaliste.Eliska Vincent (1841-1914) Archives toujours mais pas de happy end cette fois. Comme Marie-Louise Bouglé, Eliska Vincent est d’origine plus modeste que les premières femmes citées. Membre de la première obédience maçonnique mixte, elle crée en 1866 avec notamment Paule Mink et pic.twitter.com/LV7eKrHnid
— Camille Paix (@kmilapx) May 1, 2020
Les trous de mémoire de l'Histoire
Pourquoi, alors, n'en sait-on rien ? Dans le livre "Ni vues ni connues", qui rend hommage à 75 femmes "invisibilisées", l'historienne Michelle Perrot avance : "Histoire est un mot ambivalent. Il signifie 1) Ce qu'il s'est passé ; 2) Le récit que l'on en fait. Les femmes étaient assurément présentes au premier niveau, personne ne le conteste (...) Mais elles disparaissent au second, celui du récit" Les femmes font, et personne ne le raconte.
"Peut-être que les hommes ont fait des exploits politiques ou de guerre, des choses très consignées, avance Camille Paix. D'un autre côté, on a l'histoire d'Eliska Vincent. Elle avait une bibliothèque pleine d'archives féministes qu'elle avait recueillies, elle les lègue à un musée et ce musée dit non." 600 000 documents sont alors dispersés, ou détruits."C'est super déprimant."
Pourtant, l'archiviste des femmes n'a pas encore achevé sa mission. A Camille Paix, il reste une liste de dizaines et de dizaines de noms prêts à être remis en lumière. "Je ne sais pas si je vais en avoir marre au bout d'un moment... Honnêtement, c'est assez galvanisant et ça me plaît beaucoup. J'aime beaucoup les meufs que je découvre, donc je continue." Et elle a un avantage. Contrairement à nous, il paraît qu'internet n'oublie jamais.