Le coronavirus s’attaque au système respiratoire des personnes l’ayant contracté. Quels sont les risques pour les fumeurs et leur entourage ? Faut-il profiter du confinement pour dire adieu au tabac ? Nous avons posé la question à plusieurs spécialistes.
Le tabac, dérégulateur du système immunitaire
"Attention ! Ce n’est vraiment pas le moment de se lâcher sur la consommation de tabac !" Gabrielle Errard-Dubois est tabacologue libérale à Esvres, en Indre-et-Loire. Depuis le début de la crise sanitaire et du confinement, elle a reçu de nombreux appels de fumeurs inquiets pour leur santé. À raison. Car la communauté scientifique et médicale le sait parfaitement : fumer expose davantage aux virus, quels qu’ils soient.Grippe, tuberculose, pneumonie… et coronavirus. "Les fumeurs présentent une inflammation chronique des muqueuses ORL et bronchiques, due à la fumée de la cigarette", précise la spécialiste.
Avec pas moins de 4 000 substances irritantes contenues dans la fumée de tabac, les muqueuses deviennent tout simplement perméables aux virus.Cela met à mal le système immunitaire de la personne, les barrières défensives étant moins efficaces, le terrain est propice aux agents pathogènes.
Une étude chinoise révèle un risque accru pour les fumeurs
Mais dans les faits, qu’en est-il ? Le coronavirus est-il plus dangereux pour les personnes qui consomment du tabac ?C’est ce qu’a voulu savoir une équipe de scientifiques chinois dont les données ont été publiée dans le New England Journal of Medecine, le 28 février dernier. Le résultat : les fumeurs de l’étude sont plus nombreux que les non-fumeurs à développer une forme sévère du coronavirus. 14% des non-fumeurs infectés par le virus développent une forme dite "sévère" de la maladie, contre 21% pour les fumeurs.Quant aux formes dites "très sévères" qui exigent un séjour en réanimation, le contraste est plus grand encore :
analyse le Dr Géraldine Compte-Nguyen, tabacologue libérale à Olivet, dans le Loiret.Un fumeur aura 133% de risques majorés de passer en réanimation ou de décéder. L’augmentation est considérable !
Autre facteur de risque pour les fumeurs : "c’est mécanique, le fait de fumer suppose de porter plusieurs fois par jour les mains à la bouche", met en garde le médecin. "Le coronavirus trouve ainsi une porte d’entrée idéale vers l’organisme de la personne." Idéalement, il faudrait se laver les mains entre chaque bouffée… impossible en pratique !
La fumée de cigarette : voie de contamination ou pas ?
Le coronavirus se propage par contact physique direct avec des personnes, des objets ou des surfaces infectées. Le virus peut également se transmettre par les voies aériennes, via des gouttelettes de salive.Pourrait-il également l'être par l’air expiré lorsque l’on fume ?
"Il a déjà été démontré scientifiquement que les agents infectieux, tels que les bactéries et les virus, peuvent être transportés par le biais des particules fines contenues dans la fumée de cigarettes", explique Yves Martinet, professeur émérite de pneumologie de la faculté de médecine de Nancy et président du comité national contre le tabagisme (CNCT).
"Le fumeur porteur d’un virus peut, soit en toussant, soit en exhalant sa fumée, être contaminant pour son environnement."
Est-ce également le cas pour le virus Covid-19 ? "C’est plus que vraisemblable."Il est maintenant clairement démontré que les fumeurs présentent un risque majoré de contracter cette maladie et de développer une forme grave. Fumeurs et vapoteurs il est urgent d’arrêter pour vous et vos proches #COVID2019 https://t.co/MXSgEM6T3W pic.twitter.com/F2NnNwKmW9
— Le_CNCT (@Le_Cnct) March 26, 2020
Pour Géraldine Compte-Nguyen, si l’on manque de recul et de validation scientifique sur ce point, le sujet mérite d’être exploré : "Lorsque l’on fume, le volume d’air que l’on expire est bien plus important que si l’on se contente de respirer. De plus, il y a un effet de propulsion. D’un point de vue mécanique, le fait d’exhaler n’est pas neutre pour l’environnement d’un fumeur. Il ne serait pas illogique que les particules expirées puissent être vectrices du coronavirus."
Une hypothèse balayée par l’ex-pneumologue de la Pitié-Salpêtrière et tabacologue Bertrand Dautzenberg, également secrétaire général de l’Alliance contre le tabac : "La contamination par l’air est infime pour le coronavirus. Le vrai risque, c’est surtout d’exhaler et de tousser en même temps car on sait que la contamination au coronavirus se fait par transmission de gouttelettes de salive infectée."
Qu’importe, pour le professeur Yves Martinet, le principe de précaution doit prévaloir :[#Tabagisme et #confinement]@LJosseran, président de l'Alliance contre le tabac et Françoise Gaudel de l'association @JeNeFumePlus
— FranceSANStabac (@FranceSANStabac) March 31, 2020
donnent des conseils aux fumeurs en cette période de confinement.
A revoir sur @France5tv @Allodocteurs https://t.co/Fo4bW0PYLo pic.twitter.com/xasDLvXzZJ
Et d’ajouter : « Il faut nous considérer comme tous potentiellement infectés par ce virus !"Je suggère de fumer à l’extérieur ou à une fenêtre et de respecter un rayon de 10 mètres entre soi et d’autres personnes, afin que la fumée potentiellement infectée n’atteigne personne.
Tabac versus vapotage
Quid du vapotage ? Est-il moins dangereux pour la santé des fumeurs en cette période d’épidémie ? "À la place du monoxyde de carbone et de tous les produits irritants contenus dans le tabac, le vapotage fait entrer des solutés qui peuvent déposer des gouttes d’huiles sur la muqueuse bronchique", explique le Dr Gabrielle Errard-Dubois. "Ce n’est vraiment pas mieux pour l’état de nos bronches et les risques d'infection…"Pour Yves Martinet, vapoter ou fumer ne change pas le risque de contamination liée à l’exhalation : "Comme avec une cigarette traditionnelle, le nuage expiré contient des particules fines sur lesquelles le virus pourrait se fixer. Le vapoteur est donc un potentiel contaminateur si dans ses poumons, ses bronches ou sa bouche se trouve le virus."
Le confinement : un bon moment pour le sevrage tabagique ?
Face à tous ces risques, les médecins sont unanimes :"Mais pas n’importe comment. Il faut se faire aider !" En effet, avec le confinement et la promiscuité pour certaines personnes peu habituées à se retrouver 24h sur 24h dans le même espace de vie, décider d’écraser pour de bon la cigarette n’est pas chose aisée.Il n’existe pas de "bon" moment pour en finir avec le tabac. Mais je crois qu’il faut voir en cette période une véritable opportunité pour amorcer un sevrage, lance Géraldine Compte-Nguyen.
"L’arrêt de la nicotine entraîne des symptômes de manque, dès les premières heures", détaille le Dr Errard-Dubois. "Il n’est pas rare de noter de l’agressivité, de l’irritabilité, des troubles de l’humeur… Alors attention en ce moment !"
Pour aider les fumeurs à se lancer dans un processus de sevrage, les médecins poursuivent les consultations, à distance depuis quelques semaines. Et disposent d’un arsenal non négligeable "Sous formes de patches, spray, gommes, pastilles… les substituts nicotiniques peuvent vraiment soulager" rassure le Dr Compte-Nguyen.
Remboursés pour la très grande majorité d’entre eux, ces dispositifs médicaux sont délivrés en pharmacie.
Et pour ceux qui ont besoin de garder le lien avec un médecin, la plupart des pneumologues et tabacologues propose des téléconsultations. Certains se lancent même dans des plateformes d’échanges avec les patients, à l'instar du Dr Compte-Nguyen : "Nous sommes en train de créer une cellule de soutien, en lien avec la mairie d’Olivet. Les personnes pourront nous contacter par mail médecins, psychologues, addictologues pour poser toutes leurs questions et se faire aider."En ce moment, les officines ont l’autorisation de prolonger les ordonnances si celles-ci sont arrivées à leur terme.
Sans oublier le numéro de Tabac Info Services qui reste plus que jamais accessible en cette période de confinement :
Vous dire que pendant le confinement les tabacologues sont à vos côtés @santeprevention #tabac pic.twitter.com/uQNjQlVvlW
— ANPAA Pays de la Loire (@anpaa_pdl) March 29, 2020