Le 10 juin, seront projetés au grand Rex à Paris les quinze courts métrages réalisés dans des Villages d'enfants et d'adolescents placés de la Fondation "Action enfance". La région Centre-Val de Loire compte quatre villages dont trois en Indre-et-Loire. Nous avons rencontré les adolescents accueillis dans une de ces maisons à Amboise. Ils nous ont raconté leur quotidien et leur expérience cinématographique.
Un parc arboré, une cabane en bois, deux oies, des poules et toute la place pour jouer au badminton aux beaux jours.
Il est 17 h dans la maison du service d'accueil renforcé ( SAR) du Village d'enfants et d'adolescents d'Amboise. Nelson plie le linge, Marvyn termine ses devoirs avec une éducatrice. Timmy range sa chambre. C'est bientôt l'heure du temps libre pour les six enfants placés qui vivent dans cette maison sur les hauteurs d'Amboise.
Marvyn a 14 ans. Il est scolarisé en 4 ème à l'ITEP (Institut thérapeutique éducatif et pédagogique). Il vit au SAR depuis 3 ans. Il aime vivre avec les autres garçons de la maison et les vacances. Après la Vendée au printemps, ils vont partir en Corse en juillet. "J'aime les trajets en voiture quand on part en vacances, la pêche à pied, faire des tours de rosalie et aller au restaurant." Il souhaiterait devenir conducteur de train parce qu'il aime les trains et les voyages.
Timmy va avoir 13 ans. Il est en 5 ème à l'ITEP. Il vit au SAR depuis un an et demi. Lui aussi a hâte d'être en Corse. "On va y aller en bateau et je vais fêter mon anniversaire là-bas", se réjouit-il. Il enchaîne sur son quotidien dans la maison. "Ici on a une grande maison et un grand jardin. C'est bien parce que quand on est en colère on peut aller souffler dehors. On a des oies, des poules, on élève des poussins. Je trouve que c'est bien ici."
Il considère les éducateurs comme des membres de sa famille et leur dévouement a suscité une vocation chez Timmy. "On est contents parce que ce sont les mêmes qui restent avec nous depuis le début. J'aimerais bien être éducateur parce que c'est bien d'aider les personnes en difficulté comme nous. Comme moi on m'a aidé, j'aimerais aider des enfants qui ont des difficultés comme moi."
Entre les traumatismes de l'enfance et l'envie de juste vivre sa vie
Quant à la vie avec les autres garçons au quotidien, il répond du tac au tac : "Ici on vit en collectif, donc des fois, ça pète mais ça va."
"Comme six frères dans une famille j'ai envie de dire", réagit Benoît Silard, leur éducateur familial qui assiste à notre entretien.
À 12 ans, Justin, lui, vit dans un village d'enfants depuis cinq ans. "J'ai été séparé de ma famille à deux ans" dit-il d'emblée. "D'abord j'étais en famille d'accueil, puis au village d'enfants et maintenant ici au SAR. Je vois ma mère ou deux fois par mois et mes sœurs un peu. "
Puis il enchaîne sur sa passion pour les animaux et les mangas. En expliquant que, plus tard, il travaillerait dans un zoo ou ferait n'importe quel métier avec des animaux.
Entre les traumatismes de l'enfance et l'envie de juste vivre sa vie, ces adolescents étonnent par leur maturité et leur enthousiasme.
Ils filent jouer au ping-pong au sous-sol, leur spot quand ils ont du temps libre.
Le SAR : particularité des maisons d'enfants d'Indre-et-Loire
À Amboise, comme dans les deux autres villages d'enfants de la Fondation Action enfance d'Indre-et-Loire, Chinon et Pocé-sur-Cisse), il existe une maison pour les enfants et adolescents à besoins particuliers : il s'agit du SAR, service d'accueil renforcé.
"C'est une spécificité de l'Indre-et-Loire à la demande du Conseil départemental", explique Benoit Silard, éducateur familial au SAR depuis trois ans. "Ici vivent des jeunes qui ont des troubles du comportement, handicap intellectuel ou spectre autistique."
Le taux d'encadrement est plus important qu'au village d'enfants. Il y a six éducateurs pour six enfants. Trois par jour et deux par nuit. L'objectif est de les réinscrire dans la scolarité. "Justin par exemple va pouvoir retrouver le chemin de l'école après deux ans sans scolarité. C'est une grande réussite" , raconte l'éducateur considéré comme le "daron" de la maison.
Depuis 1968, La fondation Action enfance vient en aide aux enfants et aux adolescents victimes de maltraitance ou de négligences graves.
Les 15 Villages d'enfants et d'adolescents permettent aux frères et sœurs séparés de leurs parents sur décision du juge des enfants de grandir ensemble dans un environnement stable de type familial.
En France environ 1000 enfants vivent dans ces villages d'Action enfance. À Amboise, 36 enfants sont accueillis dont six au SAR.
Dans les Services d'accueil renforcés comme à Amboise, ce ne sont pas des fratries mais des enfants à besoins spécifiques qui sont hébergés.
Dans ces maisons, chacun a sa chambre et les enfants contribuent au quotidien de la maison. Faire son lit, vider le lave-vaisselle, vider les poubelles, gérer les poules, mettre la table, plier le linge...Un tableau avec la répartition des tâches hebdomadaires est affiché et chacun veille à ce que ce soit respecté. "S'il y a une chose que les enfants placés détestent par-dessus tout c'est l'injustice. Alors chacun a intérêt à faire ce qu'il a à faire."
Action enfance fait son cinéma : un projet éducatif enrichissant
Pour la septième année consécutive, "Action enfance fait son cinéma" a permis à 200 des jeunes de s'essayer au 7 ème art.
Dans cette maison des enfants d'Amboise, cinq des six jeunes ont participé au tournage d'un court-métrage intitulé "David Bowie et la fille aux mille et une boucle d’or".
C''est la deuxième fois que Marvyn, Timmy et Justin participent à la réalisation d'un court métrage avec des étudiants en cinéma. "Ça nous apporte des connaissances qu'on n'a pas sur le cinéma," raconte Marvyn qui interprète un bâton de dynamite dans le court-métrage. "
Ça permet aussi de faire ressortir des qualités dont on n'avait pas conscience.
Marvyn, 14 ans
"On connaît surtout nos défauts mais pas nos qualités. Ça donne confiance en soi devant une caméra et ça apprend à vraiment être dans ce qu'on fait", confie l'adolescent.
Pour explorer le monde du grand écran, les enfants et adolescents sont accompagnés par des étudiants de quatre écoles françaises de cinéma : ESRA, EICAR, Clcf et 3iS. Ils prennent en charge la coordination et la production de leurs courts-métrages. Les jeunes sont encadrés dans ce projet par 50 éducateurs familiaux référents qui peuvent être comédiens, figurant ou technicien lors des tournages.
Timmy a aimé le tournage parce qu'il s'est tenu au château de Pocé-sur-Cisse. "C'est une chance parce que tout le monde ne connaît pas ce lieu". Dans le court-métrage, Timmy interprète le grand-père. "C'était chouette de voir les autres jeunes du village d'enfants parce que comme nous on vit un peu à part on ne les voit pas souvent."
Entre les castings, la préparation du tournage, les décors, le tournage lui-même, "Action enfance fait son cinéma" est un excellent levier éducatif pour l'équipe. " Savoir exprimer ses émotions, comprendre et ressentir celles des autres. Souvent quand ils sont jeunes et placés, ils ont leur tristesse à eux et ne peuvent pas concevoir celle de l'autre. Pourtant leurs pairs sont aussi dans une détresse émotionnelle"," confie Benoît Silard, l'éducateur familial.
Dans le court-métrage, Timmy, le plus jeune de la maison a joué le grand-père. Une inversion des rôles intéressante pour l'éducateur. "Quand on est dans une posture adulte contre enfants, ça permet de mieux comprendre les règles. On a inversé les rôles ici dans la maison. Au début, ils surjouent l'éducateur et ensuite ils comprennent aussi notre position."
Etre enfant placé ne constituera jamais la personne que vous serez.
Benoît Silard, éducateur familial pour Action enfance à Amboise
Enfin, les rencontres lors de ces tournages sont essentielles pour les enfants. Cette année, les étudiants et les enfants ont dû convaincre une célébrité de jouer ou de faire une apparition dans leurs films. "Le hasard fait qu'Eloise Valli, notre guest de cette année, leur a annoncé pendant le tournage qu'elle aussi avait été une enfant placée et qu'il n'y a pas de rêve qu'on ne puisse réaliser quand on est un enfant placé. C'est important parce que ça permet de leur rappeler qu'être enfant placé ne les empêchera jamais de deveir qui ils veulent."
Le court-métrage du village d'enfants et d'adolescents d'Amboise :
15 courts-métrages, trois récompenses
Le public a jusqu'au lundi 10 juin pour choisir son court métrage favori entre les 15 réalisés.
Les internautes pourront voter une fois par jour pour leur film préféré pour décerner le Prix du Public.
Le Prix du Public, le Prix du Jury et le Prix Coup de cœur seront remis au Grand Rex à Paris. "Cette soirée de gala c'est le grand rendez-vous de l'année pour les enfants", note Benoît Silard, l'éducateur familial.
Le jury est composé de professionnels du cinéma comme Olivier Baroux, Olivier Nakache et Eric Toledano, Michel Hazanavicius, Dominique Farrugia, Marie-Anne Chazel, Hugo Gélin.
Le Président du jury cette année sera le réalisateur Claude Lelouch
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