Le livre-enquête de Victor Castanet "Les Fossoyeurs" paraît ce mercredi 26 janvier. Il dénonce des faits de maltraitance dans les EHPAD du groupe Orpéa, leader mondial dans ce secteur. Une association tourangelle de défense des intérêts des résidents et un directeur d'établissement public dans le Loir-et-Cher s'accordent pour exiger plus de contrôles afin de mettre un terme à une "situation inhumaine qui dure depuis plus de 20 ans".
"Quand j'ai entendu Olivier Véran, ministre de la Santé dire qu'il fallait vérifier ces allégations, je n'y croyais pas. Il aurait mieux fait de se taire." Françoise Duchemin est en colère. La vice-présidente de l'ADIR MR 37, association de défense des intérêts des résidents des maisons de retraite en Indre et Loire, dénonce depuis près de 20 ans les maltraitances dans les Ehpad. "Que ce soit dans le public ou dans le privé, ce n'est pas nouveau. Et les témoignages qui sont dans ce livre ne sont pas des allégations, c'est la vérité. C'est grave ce qu'il se passe mais tout le monde s'en fout".
La parution du livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet chez Fayard ce mercredi 26 janvier a fait remonter tous les souvenirs de Françoise Duchemin.
Chez moi, j'ai une pile d'un mètre de dossiers de témoignages de soignants et de familles qui racontent les horreurs que peuvent vivre les résidents dans les maisons de retraite. Qu'ils dorment dans leurs excréments, qu'ils ne bougent pas de tout le week-end parce qu'il n' y a pas assez de personnel...
Françoise Duchemin, vice-présidente de l'ADIR MR 37
En 2016, avec son association, l'infirmière à la retraite avait réalisé un rapport révélant des maltraitances dans une vingtaine d'établissements d'Indre-et-Loire. Elle avait rencontré des élus et a même interpelé le gouvernement : "Beaucoup disent qu'ils vont agir et puis il ne se passe rien. On a une administration tellement lourde qu'on a l'impression que tout le monde s'en fiche. C'est démoralisant".
Depuis le début de leur combat, Françoise Duchemin et les membres de l'association demandent plus de contrôles dans les Ehpad. "Il faudrait qu'un médecin gériatre, du personnel infirmier et aide-soignant se rendent dans les établissements sans s'annoncer. S'ils assistaient aux toilettes et aux repas, ils se rendraient compte tout de site de la situation".
Le contrôle nécessaire des Ehpad par les institutions mais aussi par les familles
"Ce livre ne va pas nous faire du bien, reconnaît Pierre Gouabault. Mais il est nécessaire pour que le gouvernement et la population se rendent compte que vieillir est une responsabilité collective. Il est grand temps que le sujet soit pris à bras le corps."
En Loir-et-Cher, il dirige trois Ehpad publics : à Bracieux, Cour-Cheverny et Contres. "Il ne suffit plus de dénoncer. Maintenant il faut agir". Pierre Gouabault est lui aussi tout à fait favorable -et même demandeur- à des contrôles inopinés dans les maisons de retraites publiques et privées. "On doit pouvoir être contrôlé sur le respect des contentions, sur la fréquence des soins, sur les animations proposées aux résidents, sur notre ouverture sur l'extérieur."
Ces contrôles sont normalement assurés par l'Agence régionale de Santé et le département. "L'ARS ne nous contrôle plus parce qu'on a enlevé les moyens humains de nous contrôler, constate Pierre Gouabault, navré. Nous devons de la transparence à ceux que nous accompagnons et leurs familles. Les contrôles permettraient aussi d'identifier les sous-moyens chroniques que nous avons."
Manque de moyens humains
Selon l'ARS, entre 15 et 20 contrôles programmés sont réalisés dans des établissements sanitaires et médico-sociaux dans la région chaque année... ou presque. Car, depuis 2020, la gestion de la crise sanitaire a mobilisé les agents chargés des contrôles en période normale.
À ces contrôles "s’ajoutent des inspections qui suivent un signalement, une réclamation, un événement indésirable grave" signalés par les familles ou les conseils de vie sociale, explique l'agence. En cas de manquements avérés graves, des sanctions administratives peuvent être prononcées. "Il est arrivé que l’agence mette fin aux fonctions d’un directeur d’Ehpad au regard des faits contrôlés", note l'ARS. Autres sanctions possibles : la désignation d’un administrateur provisoire, une cession d’autorisation, la suspension temporaire ou la cessation d’activité, le non renouvellement de l’autorisation.
Pierre Gouabault ne fait, en tout cas, pas dans l'angélisme. Il existe aussi des formes de maltraitance dans le public. "C'est souvent dû au manque de moyens humains. Il faudrait un professionnel pour six résidents. Quand on a un professionnel pour dix résidents, on peut s'estimer heureux."
Pierre Gouabault prône aussi un contrôle par les familles. Dans ses établissements de Bracieux, Contres et Cour-Cheverny en Loir-et-Cher, les proches participent à la gouvernance. "Il faut donner un vrai statut aux représentants des usagers et aux familles, soutient-il. Ils doivent avoir voix au chapitre et doivent pouvoir intervenir. C'est en co-construisant qu'on réussira à transformer le système et recréer du lien."
Taxer les dividendes
Dans son livre Les aventuriers de l'âge perdu paru en novembre 2021 chez Plume d'Eléphant, Pierre Gouabault propose des solutions pour améliorer le système. Parmi ses proposition, réduire le reste à charge des familles en prélevant sur les dividendes des actionnaires des groupes privés.
"Aujourd'hui les familles n'ont plus le choix. Il n'y a plus de places dans le public", soutient-il. Si bien que, dans ses établissements à 1 800-2 000 euros mensuels, la liste d'attente peut contenir 200 personnes. Résultat : "Les familles sont obligées de placer leurs proches dans le privé à plus de 3000 euros par mois. Si on taxe les dividendes des établissements privés pour recruter plus de personnel dans les établissements publics, on pourra rééquilibrer les choses", explique-t-il.
"Et surtout, rappelle-t-il, il faut une charte commune de service public du grand âge et de l'autonomie inscrite dans la loi que public et privé devraient respecter. Le problème c'est qu'aucun candidat à l'élection présidentielle ne parle de ce sujet. Pourtant, vieillir n'est pas un choix. Vieillir est une responsabilité collective. La question doit être regardée droit dans les yeux." Car, comme dit le dicton, la société peut être jugée à la manière dont elle traite ses anciens.