Des chercheurs de Clermont-Ferrand ont conçu un pain très spécial : grâce à une recette enrichie en fibres, il devrait, selon eux, permettre de lutter contre l’obésité et contre des pathologies comme le diabète.
A Clermont-Ferrand, des chercheurs sont partis d’un constat inquiétant : au niveau mondial, l’obésité a triplé depuis 1975. Pour lutter contre cette maladie, ils ont créé un pain bien particulier : un pain enrichi en fibres fermentescibles (donc dégradées par notre microbiote intestinal) potentiellement capable d’augmenter la sensibilité à l’insuline et donc limiter le développement du diabète. Ce pain pourrait être recommandé pour les personnes en surpoids. “Les fibres alimentaires sont connues pour avoir un impact positif sur la santé et notamment sur l'obésité. C’est notamment dans les pains complets que l’on peut les trouver. Par contre, le pain blanc, le plus consommé, se caractérise par son apport très important en glucides à digestion rapide qui peut participer à favoriser à la fois l'obésité et le diabète. Ajouter des fibres fermentescibles dans un pain blanc peut donc améliorer ses caractéristiques nutritionnelles", explique Isabelle Savary-Auzeloux, chercheuse à l'INRAE.
Trop peu de fibres consommées
Les fibres alimentaires sont, de manière générale, connues pour avoir un impact positif sur la santé. C'est la raison pour laquelle les recommandations alimentaires vont dans le sens d'augmenter la part des fibres dans l'alimentation via l'ingestion de fruits et légumes, de légumineuses et de tous les aliments riches en fibres. “Nous sommes partis du constat que la problématique que nous avons en France, et nous ne sommes pas les seuls, c'est que nous mangeons moins de fibres que ce qui est recommandé dans notre alimentation. Nous sommes à 20 grammes de fibre à ingérer par jour dans notre alimentation et il en faudrait 30 minimum voire plus si on veut réellement des effets santé avérés. Malgré les campagnes que l'on voit partout pour augmenter la quantité de fruits et légumes par jour, on se rend compte que finalement ce n'est pas évident d'arriver à changer les habitudes alimentaires des gens”, regrette Isabelle Savary-Auzeloux.
Un aliment facile à consommer
L’idée était donc de travailler sur un aliment déjà fortement consommé, qui ne présenterait aucune difficulté à s’intégrer dans l’alimentation quotidienne. “En France, le pain est un aliment qui reste, même si on en mange de moins en moins, régulièrement consommé. On se dit que si ce pain pouvait être un vecteur de fibres alimentaires, cela pourrait présenter un effet santé. Pour le moment, on est au stade de la recherche. C'est un pain que vous ne trouverez pas dans le commerce”, précise-t-elle. Certaines personnes, soit parce qu'elles sont obèses ou parce qu'elles ont des problèmes d’insulino-résistance, auraient un intérêt à consommer plus de fibres mais ont des difficultés à changer leurs habitudes alimentaires. “Utiliser comme vecteur le pain, un aliment qui est généralement très bien consommé par tout le monde, c'est un moyen d'apporter des fibres en plus chez des populations qui ont du mal à aller vers d'autres aliments”, ajoute la chercheuse.
Des tests sur l'animal
En effet, personne n’a encore pu goûter ce pain novateur. Les premiers testeurs sont de petits cochons : “Nous n'avons pas, chez l'Homme, fait d'études avec ce pain. Elles ont été faites sur un animal qui est le mini porc. Physiologiquement parlant et métaboliquement parlant, c'est un animal proche de l'Homme, mais on n'a pas vérifié cet effet chez l'Homme. On est très en amont en termes de réflexion.”
Un ensemble de molécules bénéfiques
La première étape a été la conception du pain, enrichi d’un mélange de fibres fermentescibles sur une base de 20 % d’inuline, 20 % de pectine et 60 % d’amidon résistant. “On dit “les fibres” parce qu'il n'y a pas une fibre alimentaire, c’est-à-dire un seul type de molécule chimique qui serait associée à cette notion de fibre”, indique Isabelle Savary-Auzeloux. “C'est tout un ensemble de polysaccharides, c'est-à-dire de sucres collés les uns aux autres, plus ou moins gros en termes de taille, qui présentent la particularité de ne pas être digérés dans la partie haute de l'intestin comme le reste de notre alimentation. Alors que les protéines, l'amidon et les lipides sont digérés plus haut, ces fibres arrivent jusque dans notre colon, là où on trouve notre microbiote intestinal qui va les dégrader.”
Un effet sur le métabolisme
Certaines de ces fibres ne vont pas être digérées et donc participer à l'augmentation de la taille des selles. “Ces fibres sont connues pour jouer sur le transit intestinal”, ajoute la chercheuse. Si certaines vont avoir un effet purement digestif, d'autres fibres, celles supplémentées dans ce pain, sont des fibres qui ont la particularité d'être plus facilement dégradés par les micro-organismes de notre colon. “Cette dégradation va favoriser la production de molécules, notamment les acides à chaînes courtes. Ils sont connus pour, lorsqu'ils sont absorbés dans notre organisme, avoir pour certains d'entre eux des effets bénéfiques pour notre santé et participent par cette action à limiter l'obésité et les maladies cardiovasculaires au sens large.”
Le fait de manger des fibres peut aussi jouer sur la vitesse d'absorption des lipides et la limiter, participant ainsi à la diminution de notre ingestion de gras. “Les effets des fibres sont à plusieurs niveaux, à la fois digestif et aussi métabolique via l'action de molécules qui sont générées par le microbiote intestinal.” L’augmentation de l’ingestion de fibres, en particulier fermentescibles, a montré, dans des études cliniques contrôlées, un effet bénéfique sur l’insulino-sensibilité et donc la diminution de l’apparition du diabète et des pathologies cardiovasculaires. “Nous supposons l’action des acides gras à chaînes courtes (butyrate et propionate) connus pour limiter le diabète et augmenter l’insulino-sensibilité”, précise la chercheuse dans un article publié sur le site de l’INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement).
Des fibres déjà présentes naturellement dans l'alimentation
Si vous souhaitez profiter des effets bénéfiques des fibres sans attendre l’éventuelle commercialisation de ce pain révolutionnaire, beaucoup d’aliments en contiennent naturellement : “On parle des fruits et des légumes, mais une autre source de fibres très intéressante qui, malheureusement, génère très peu d'intérêt actuellement, ce sont les légumineuses. Elles présentent l'intérêt d'être très riches en protéines, mais également très riches en fibres”, se félicite Isabelle Savary-Auzeloux. En effet, il ne faut pas s’attendre à trouver ce pain en supermarché prochainement : “On n’en est absolument pas à envisager de le commercialiser. Ce qu'on voulait, c'était la preuve de concept en donnant à des animaux une quantité de pain qui pourrait être normalement consommée chez les humains.” Les mini porcs ont consommé 200 à 250 g, une quantité de pain qu’il est possible de consommer dans la journée, selon la chercheuse.
Une fabrication à grande échelle difficile
Pour l’heure, la commercialisation semble complexe : "Ces fibres ont des propriétés particulières, qui jouent sur les processus de panification, ce qui complique la fabrication du pain. Si la chose était amenée à être industrialisée, vous comprenez bien que les machines ne peuvent pas faire certaines choses que nous avons pu faire au laboratoire. Il faudrait vérifier à combien on peut monter en termes de pourcentage pour que ça reste à la fois possible d'être fabriqué industriellement, rentable...”
Une évolution naturelle du microbiote
Malgré toutes leurs vertus, les fibres alimentaires peuvent générer un certain nombre d'inconforts, intestinaux notamment. “Pour éviter que les gens abandonnent la prise de ce type de produit, il faut commencer lentement et puis voir si les gens l'acceptent bien dans le cadre, par exemple, d'un régime de perte de poids ou d'un régime spécifique.” De plus, certaines personnes ont des difficultés à assimiler ces produits : “On se rend compte que, du fait de notre alimentation très occidentalisée et du fait qu'on mange beaucoup moins de fibres, notre microbiote a des difficultés à les utiliser. Notre microbiote n’a plus l'habitude de voir des fibres et donc il s'est adapté. Il a co-évolué avec nous pour finalement ne plus les utiliser. L'écosystème des micro-organismes qui sont présents dans notre intestin s'est adapté à ça. Certaines personnes peuvent présenter un microbiote particulier qui est non répondeur à l'effet des fibres. Actuellement, il n'y a aucun test qui permette de savoir actuellement dans quelle mesure vous pourriez, en tant que personne, être répondeur ou non répondeur”, regrette la chercheuse.
Manger un pain enrichi en fibre ne pose aucun problème de santé, à part d’éventuels inconforts gastriques sur lesquels il faut être vigilant, mais pour des personnes en bonne santé, augmenter la part des fibres dans l'alimentation est très recommandé.