Depuis le jeudi 9 novembre, trois familles sans solution d'hébergement dorment dans la permanence du député de Tours, Charles Fournier. Récit d'une soirée passée au cœur de ce local transformé en centre d'hébergement d'urgence pour cinq adultes et cinq enfants de 2 à 15 ans.
"C'est là que je dors avec mon père et ma mère. C'est ici sur ce bureau que je fais mes devoirs", nous explique Zach* en nous faisant visiter la permanence du député Charles Fournier transformée en centre d'hébergement d'urgence temporaire depuis le jeudi 9 novembre.
"Dans la voiture, c'est mieux que dans la rue"
"Depuis que je dors dans un lit, j'ai des verts plus au collège", constate le collégien, assez fier. Du haut de ses douze ans, le garçon arrivé d'Albanie avec ses parents en janvier dernier, raconte en français et avec une grande maturité qu'en deux mois, ses parents et lui n'ont eu accès à un hébergement d'urgence que pendant deux semaines.
"Le reste du temps, on dort dans la voiture. C'est mieux que dans la rue. Mais c'est tellement mieux ici", nous confie-t-il. Mais il sait bien que ça ne va pas durer. Il est habitué maintenant à ne pas savoir où dormir et à ne pas avoir d'endroit à lui.
Dans la salle au rez-de chaussée de la permanence, une grande table est dressée pour les familles, le député, son équipe et les membres du collectif "Pas d'enfant à la rue". Le fumet du plat préparé par la maman de Zach* embaume toute la pièce. Il s'agit d'une spécialité albanaise, un burek aux poireaux.
J'ai été épaté par leur organisation. Ils nettoient tout, ils rangent tout, ils sont habitués à changer de lieu tous les jours
Charles Fournier, député de Tours
À l'étage de la permanence, La salle de réunion est partagée en trois parties par des draps tendus pour créer des espaces pour chaque famille. Au sol, des matelas gonflables pour les enfants et des matelas pour les parents prêtés par l'association La Table de Jeanne-Marie et le collectif "Pas d'enfant à la rue".
Un semblant d'intimité pour ces familles qui tiennent à ce que tout reste en ordre. "J'ai été épaté par leur organisation. Ils nettoient tout, ils rangent tout, ils sont habitués à vivre dans une forme de rythme particulier où tous les matins à 8h il faut quitter les lieux. Nous, on est un peu plus souples ici. On ne leur propose pas des conditions extraordinaires. On fait du mieux que l'on peut mais il n'y a pas de douche par exemple", raconte Charles Fournier.
"Il se passe quelque chose de très fort ici"
Vanessa est professeur de français dans le collège Michelet. Zach* est un de ses élèves. Membre du collectif "Pas d'enfant à la rue" elle a passé toutes ses soirées à la permanence depuis le début du dispositif.
"La joie de Zach* tout de suite quand il s'est installé et qu'il a vu ce bureau pour poser ses cahiers et ses stylos. Il a dit qu'il allait pouvoir faire mes devoirs dans des bonnes conditions !", raconte l'enseignante encore très émue."Il se passe quelque chose de très fort ici. C'est très riche en échanges de passer du temps avec ces familles de cultures et de langues différentes. Je ne suis pas censée être là tous les jours et pourtant je le suis."
Aucune réaction des autorités publiques
Ce dispositif, le député écologiste l'a mis en place avec les membres du collectif "Pas d'enfant à la rue". Depuis le mois de mars, parents et enseignants qui forment le collectif, hébergent dans les écoles et les collèges de Tours des élèves et leurs parents sans solution de logement.
"Là, il y avait une nouvelle situation d'urgence et il n'était pas question que les enseignants se chargent une nouvelle fois d'ouvrir une école pour héberger des familles. C'est pourquoi j'ai proposé de prendre le relais et qu'on s'en occupe tous ensemble". Avec cette opération, le député souhaitait alerter le gouvernement sur cette situation "intolérable".
Depuis le lancement du dispositif, le député déplore ne pas avoir été contacté par les autorités publiques. "J'ai croisé le Préfet à l'occasion de la commémoration du 11 novembre. Ce n'était pas le bon cadre mais personne ne m'a contacté. Comme si c'était banal alors que ça ne l'est pas".
Après 3 nuits d’accueil des familles dans ma permanence parlementaire, j’interpelle le Ministre @P_Vergriete pour que des mesures immédiates et pérennes soient prises
— Charles Fournier - Député de Tours (@cfourniereelv) November 13, 2023
A ce jour, les autorités concernées ne se sont pas manifestées. pic.twitter.com/3DQreRQ0Ts
Charles Fournier a écrit au ministre Patrice Vergriete, délégué à la cohésion des territoires chargé du logement et a été voir les services de la DDETS (Direction départementale de l'emploi, du travail et de la solidarité) dont il se sent "solidaire parce qu'ils gèrent la pénurie et font des propositions pour augmenter le nombre de places et le budget. Mais ils ne sont pas plus entendus que nous".
Un dispositif prolongé d'une semaine si besoin
Chaque mardi, c'est le jour des rotations au 115. Le jour où les personnes sans solution d'hébergement appellent le numéro d'urgence pour demander une place. Si d'autres sont partis, des places se libèrent.
"Si le 115 ne nous trouve pas de place demain, on retournera dormir dans la voiture, c'est comme ça", confie Zach, inquiet. "Le mardi, c'est un jour de grand stress pour les élèves et leurs familles", raconte Vanessa. Est-ce que papa et maman vont réussir à avoir une place ? Où va-t-on dormir ce soir ? Chaque semaine, c'est terrible pour eux."
Selon les associations tourangelles qui viennent en aide aux sans-abri, il manquerait 1100 places d'hébergement d'urgence en Indre-et-Loire. "Si je fais ça, c'est pour dire qu'il y a des enfants à la rue et qu'on doit s'indigner de ça, quelle que soit leur situation. Il faut les protéger. C'est tout." Le député rappelle que le Préfet à le pouvoir de réquisitionner des lieux pour mettre à l'abri les personnes sans solution d'hébergement. "Cela peut être des hôtels qui sont fermés, des logements vides... ces endroits existent à Tours, mais il faut des moyens humains et financiers pour l'organiser."
En attendant une réaction des autorités, le député et son équipe souhaitent maintenir le dispositif. "Si le 115 ne propose pas de place à ces familles ce mardi, on prolongera le dispositif une semaine de plus. On ne peut pas les laisser dans la rue. C'est une question d'humanité", annonçait ce lundi soir le député Charles Fournier venu passer une deuxième nuit avec les familles dans sa permanence.
Et de conclure : "On souhaite utiliser cette semaine supplémentaire pour aller le plus loin possible dans l'interpellation des autorités publiques. J'appelle aussi tous mes collègues de l'Assemblée à faire la même chose que nous pour que le gouvernement réagisse."
*Le prénom du collégien a été changé pour préserver son anonymat