"Des exclus de la société de consommation" : de quels conforts doivent se priver les plus pauvres en France ?

À partir des données de l'Insee, l'Observatoire des Inégalités dresse une note sur les privations forcées des plus pauvres. Une manière de montrer le fossé existant entre les classes sociales en France, certains acquis pour certains étant considérés comme des luxes pour d'autres.

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Changer un meuble hors d'usage, faire face à une dépense imprévue de plus de 1 000 euros, ou se payer ne serait-ce qu'une semaine de vacances hors de chez soi. Autant de dépenses que la moitié des Français les plus pauvres déclarent devoir éviter.

C'est ce qui ressort des chiffres de l'Insee, mis en exergue par l'Observatoire des Inégalités, basé à Tours, dans une note mise en ligne le 7 octobre 2024. Les données permettent de constater que les 20% les pauvres de France sont fortement contraints de se priver sur des dépenses jugées comme normales par la majorité.

La moitié des plus pauvres ne partent pas en vacances

Ainsi, au sein de ce premier quintile, deux personnes sur trois ne peuvent faire face à une dépense imprévue d'un montant d'environ 1 000 euros. Plus d'une personne sur deux ne peut changer un meuble hors d'usage, et se prive de partir en vacances. Et approximativement une personne sur trois n'a pas les moyens d'avoir une activité de loisir régulière.

Ces critères entrent dans le calcul par l'Insee du taux de privation matérielle et sociale. Un moyen d'envisager la pauvreté au-delà du seul seuil monétaire, et de mettre en avant les personnes exclues "des normes de la société de consommation", note l'Observatoire des Inégalités.

L'Insee utilise ainsi 13 critères, dont ceux évoqués ci-dessus, mais aussi la capacité économique d'une personne à se payer des vêtements neufs, à maintenir le logement à bonne température, ou à avoir accès à internet. Est considérée en situation de privation matérielle et sociale toute personne évoquant des difficultés dans au moins cinq de ces 13 catégories.

Le taux de privation était ainsi d'environ 14% sur l'ensemble de la population française début 2022, et de 36,6% chez les 20% les plus pauvres. Et encore, l'Observatoire considère que les données de l'Insee ne permettent pas d'analyse réellement fine. "20%, c'est une fourchette très large, c'est 12 millions de personnes, explique Louis Maurin, son directeur. C'est une vision réduite des privations, il manque une analyse sur les très faibles revenus, qui sont beaucoup moins nombreux." Et pour lesquels les chiffres seraient certainement encore plus alarmants.

Les effets de l'inflation

Le taux de privation en France mais n'a jamais été aussi haut que début 2022, avec des évolutions marquées sur certains critères. Ainsi, le nombre de personnes déclarant ne pas avoir de quoi garder une température confortable chez eux a doublé depuis 2018, passant de 5 à 10,2% en 2022. Chez les 20% les plus pauvres, ce taux atteint les 22,3%.

Louis Maurin soulève cependant une "contradiction" :

Ces données sont subjectives, et il faut les prendre avec prudence. Notamment quand on voit que plus de gens disent ne pas avoir les moyens de posséder deux paires de chaussures, que de se payer une voiture.

Louis Maurin

Deux critères qui n'ont pourtant pas du tout les mêmes coûts. Ainsi, entre l'achat, les carburants, l'entretien ou encore les assurances, une voiture coûte environ 4 200 euros par an à son propriétaire, selon le blog cartegrise.com.

Sauf que, contrairement à une deuxième paire de chaussures, la voiture reste un critère déterminant pour l'insertion professionnelle. Toujours selon l'Insee, les trois quarts des actifs en emploi utilisent la voiture pour aller travailler. Et, selon France Travail, la mobilité est le troisième plus gros frein à l'emploi, derrière l'accès au numérique et la santé. Peu importe donc que la voiture soit plus onéreuse que les autres postes de dépenses utilisés par l'Insee pour calculer le taux de privation, puisqu'elle permet de ramener un salaire, et donc de l'argent pour limiter les autres privations.

Le budget des pauvres, loin des clichés

Comme le loyer, l'énergie ou l'eau, la voiture fait, d'une certaine manière, partie des "dépenses contraintes" évoquées par Denis Colombi, chercheur en sciences sociales et en économie, et auteur de l'ouvrage Où va l'argent des pauvres. Dans un entretien pour Alternatives économiques, il explique que les 10% les plus pauvres disposent d'un reste de 80 euros par mois, une fois retranchées à leur revenu ces dépenses contraintes, nourriture comprise.

Il critique ainsi le "cliché" selon lequel les pauvres sont incapables de gérer leur argent, arguant que "le principal constat des sociologues, c'est que les ménages pauvres gèrent leur argent avec beaucoup de soin et de rigueur", "tout simplement parce qu'ils n'ont pas le choix". Il ajoute que "même une gestion parfaite, sans aucune dépense "superflue", ne permet pas de sortir de la pauvreté".

Ce sont des gens qui restent à terre et voient les bateaux partir lentement, ça me semble dangereux. Ça ne veut pas dire qu'ils vivent dans des bidonvilles, mais ils ne sont pas inclus dans la société de consommation.

Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des Inégalités

Une gestion qui aboutit à des privations sur plusieurs postes de dépenses. "Concrètement, les données [de l'Insee] permettent de voir qu'une partie de la population n'a pas accès à des normes répandues, et est très marquée par la fracture sociale", assure Louis Maurin, le directeur de l'Observatoire des Inégalités. Selon lui, "ça dit quelque chose des tensions qu'on peut avoir dans le pays".

Des données incomplètes

Et encore, certaines de ces dépenses ne sont plus comptabilisées par l'Insee. "La liste a été réduite, elle est passée de 26 à 13 questions, je ne comprends pas bien pourquoi." Ne sont plus intégrées les possessions d'un réfrigérateur ou d'un téléphone par exemple. "C'est quand même une société remarquable, dans laquelle on considère que tout le monde a accès à ces équipements, ironise Louis Maurin. Mais certains n'y ont pas accès, et on les fait disparaître."

L'Insee ne prend pas non plus en compte le non-recours à certains soins médicaux, alors même que le risque de ne pas avoir recours à des soins est trois fois plus élevé chez les personnes en situation de pauvreté, selon une note du ministère de la Santé datée de 2021.

Les données les plus récentes de l'Insee, sur le taux de privation en 2023, montrent une traduction de la hausse des prix dans les habitudes de consommation. Ainsi, face à l'augmentation du prix des énergies, le taux de personnes ne pouvant pas chauffer suffisamment leur logement a encore augmenté de 2 points. Même chose pour l'inflation des produits alimentaires : le taux de personnes ne pouvant pas manger un repas avec des protéines tous les deux jours pour raisons financières a progressé de 3 points en un an.

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