Environnement, tabou, stéréotypes : à Tours, les autres enjeux de la précarité menstruelle

Depuis le 23 février, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche s'est engagé à favoriser la gratuité des protections périodiques dans les universités. Mais au-delà des aides financières, le problèmes est éminemment politique pour les associations étudiantes.

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Des tampons usagés, gardés pendant "des heures et des heures" faute de pouvoir en changer, au risque d'un choc septique. Des étudiantes obligées de choisir entre acheter des protections périodiques ou d'autres produits de première nécessité. Ou encore contraintes de s'en passer et d'aller en cours avec un pantalon noir et un pull noué autour de la taille. C'est la réalité que vivent certaines des 1465 étudiantes en situation de précarité menstruelle à Tours. Selon une récente étude menée par trois associations, un tiers des personnes étudiant en France et ayant des menstruations estime avoir besoin d'une aide financière pour se procurer des protections périodiques.

Longtemps taboue, la question est désormais ouvertement abordée, non seulement par les associations étudiantes, mais aussi par les pouvoirs publics. A Tours, au mois de décembre 2020, la fédération des associations étudiantes, l'AGATE, et l'APNÉ ont organisé des distributions de kits de protection réutilisables à destination des étudiantes et des étudiants. Les 500 kits disponibles ont été "réservés en à peine une heure !" se souvient Alizée Denis, vice-présidente de l'APNÉ. L'opération, souligne-t-elle, prouve à la fois l'urgence de cette crise et l'importance du soutien financier de l'université dans sa résolution.

Des tabous multiples

Comme pour l'alimentation ou le logement, le covid-19 a accentué des fragilités déjà bien présentes parmi la population étudiante. Selon un rapport d'information de l'Assemblée nationale rédigé par les députées Laëtitia Romeiro Dias (LREM) et Bénédicte Taurine (LFI), le budget lié aux menstruations irait de 4500 euros à 23 000 euros sur la durée de vie d'une personne menstruée. Mais la prise de conscience sur cette précarité bien spécifique a tardé, même parmi les personnes concernées.

Depuis l'automne, l'APNÉ a ainsi récolté de nombreux témoignages d'étudiants et d'étudiantes confrontées à ce problème qui a longtemps été repoussé dans la sphère privée. Les premières concernées, d'ailleurs, intériorisent parfois l'idée qu'il s'agit d'une dépense moins importante, secondaire. "Certaines ne savent pas forcément qu'elles sont en situation de précarité", constate Alizée Denis. "Elles partent du principe que même si elles se privent pour en acheter, ce n'est pas de la précarité car elles ont quand même réussi à s'en procurer."

C'est horrible de se dire qu'une fille va garder une serviette pendant deux jours, l'éponger aux toilettes en espérant que ça fasse quelque chose, et qu'elles en soient au point de mettre leur santé en danger. Une cystite ou une mycose ça se soigne encore, mais un choc septique c'est pas la même chose !

Alizée Denis, vice-présidente APNÉ

Autre tabou à briser : la croyance selon laquelle les menstruations restent "un problème de femme". Ainsi, un certain nombre personnes trans, non-binaire ou intersexe (nées avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas à une typologie mâle ou femelle) sont également concernées par le phénomène. "On a tout fait pour les inclure, tout était non-genré pour bien faire comprendre que tout le monde était bienvenu : c'est pas parce qu'on est une personne non-réglée ou une personne réglée et non-féminine, qu'on ne peut pas venir." De même, de futurs distributeurs de protections seront installés à la fois dans les toilettes pour femmes, pour hommes, et dans des toilettes mixtes.

Et au-delà des personnes réglées, les hommes cisgenres sont aussi inclus dans l'équation. "La précarité menstruelle ne concerne pas que les femmes et toutes les personnes menstruées" ajoute Oscar Bretonneau, président de l'AGATE. "Ça concerne aussi leurs compagnons, leurs amis, leur famille. C'est un sujet sur lequel nous, les hommes, on peut aussi aider." De fait, lors de la distribution des kits en décembre, les intervenants sur place ont pu voir passer aussi bien de jeunes femmes concernées que des amis ou des compagnons venus chercher un kit pour une femme trop gênée pour le demander en public.

 

Un risque pour la santé, mais aussi pour l'environnement

En outre, la précarité menstruelle recouvre un certain nombre d'autres problématiques et inégalités, notamment pour des personnes en rupture familiale ou ayant reçu une éducation religieuse rigoriste. Depuis quelque temps, l'enjeu sanitaire et environnemental de certains produits est également en question. La composition d'un tampon que l'on peut trouver dans le marché, résume Alizée Denis, est par exemple "absolument horrible" : "On retrouve des substances absolument bannies dans l'industrie alimentaire, mais dans un produit qui est directement en contact avec les muqueuses." Hydrocarbures, perturbateurs endocriniens ou encore pesticides se retrouvent ainsi dans la composition de protections proposées à la vente, alertait dès 2018 l'Agence du médicament. En plus d'être potentiellement nocives, ces substances sont aussi polluantes une fois à l'état de déchet.

"On sait très bien faire des protections dégradables, en coton biologique, sans pesticides", fulmine Alizée Denis, sans parler des applicateurs en plastique. "Le problème c'est que ça coûte un petit peu plus cher à la fabrication, donc du coup le choix se porte toujours sur du plastique non dégradable !" En tout cas, c'est le cas pour de nombreuses personnes interrogées par l'APNÉ, obligées faute de moyens de se rabattre sur des protections "les plus bas de gamme possible", au point, parfois, d'avoir de plus en plus de mal à les supporter. Paradoxalement, les mêmes dépenseraient sans doute moins d'argent, sur le long terme, avec des protections non jetables mais plus onéreuses, comme des serviettes lavables à 19 euros, des cup menstruelles entre 15 et 20 euros ou, solution la plus confortable, des culottes menstruelles, dont le prix peut atteindre 35 à 60 euros. Et pour pouvoir alterner, il faut en acheter trois ou quatre. Comme l'écrivait Martin Hirsch en 2013, "Cela revient cher d'être pauvre".

La bonne nouvelle, cependant, c'est que les pouvoirs publics nationaux et locaux commencent à prendre le problème au sérieux depuis quelques mois. Le 23 février dernier, la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal s'est ainsi engagée dans une mise à disposition gratuite des protections "hygiéniques" pour les étudiantes. A Tours, l'université a elle aussi pris la mesure du problème, et après avoir reçu certains des témoignages recueillis par l'APNÉ, a accepté de fournir les financements pour la distribution des 500 premiers kits de protection menstruelle. Suite à une nouvelle demande de financement des deux associations, 1000 nouveaux kits devraient être distribués prochainement, et l'université envisage désormais sérieusement l'installation de distributeurs gratuits.

 

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