L'Indre-et-Loire en tête, quatre départements de la région Centre-Val de Loire s'opposent au financement de la mise en application de la "pause numérique". Aux casiers et pochettes anti-ondes préconisées par l'État, les chefs d'établissement préfèrent des solutions plus simples et moins onéreuses.
Si tous sont d'accord sur le principe, c'est sur la mise en œuvre de la "pause numérique" que cela se complique. Si le portable est interdit à l'école et au collège depuis la loi de 2018, la "pause numérique" va plus loin puisqu'il est question d'une mise à l’écart du téléphone portable
"Il appartient à chaque établissement de déterminer des modalités pratiques pour assurer le respect de la loi. La mise en place d’un système de casiers permettant à l’élève de déposer son téléphone durant la journée et de le récupérer avant de quitter l’école et ou le collège, est une piste intéressante", précise le texte du ministère de l'Éducation nationale présentant la "pause numérique".
Des casiers ou des pochettes anti-ondes sont donc préconisés pour mettre les portables à l'écart et à l'abri... Et comme ce sont les Départements qui sont chargés de financer les équipements des collèges, leur réaction ne s'est pas fait attendre.
9 000 euros pour 400 élèves
"Dans un collège de 400 élèves, le coût des pochettes anti-ondes pour lequel nous avons demandé un devis s'élève à 9 000 euros". Pour Judicaël Osmond, vice-président du conseil départemental d'Indre-et-Loire en charge des collèges, le fait de demander aux Départements d'assumer la charge financière de la mise à l'abri des téléphones portables dans le cadre de la pause numérique est la goutte d'eau.
"Vous imaginez, on a 24 000 collégiens dans le département, c'est impossible pour notre collectivité d'assumer ça en plus." Pour lui, la pause numérique est une bonne idée et il la soutient. "C'est très bien de vouloir lutter contre le harcèlement et contre le fait que les élèves sont trop sur les écrans."
Mais le problème n'est pas là. "Ce qui devient pénible, c'est que quand l'Etat prend une décision, il ne finance pas ce qui est nécessaire pour la mise en application. Là c'est un cas concret. On doit trouver un moyen pour que l'élève pose son téléphone en toute sécurité et qu'il ne l'utilise pas.
L'idée est belle. En revanche, dire que maintenant c'est aux départements de financer, là je dis non !
Judicaël Osmond, vice-président du conseil départemental d'Indre-et-Loire
L'élu explique que le budget a été voté en mars pour les engagements pris et il ne sait pas quel budget il aura pour l'éducation l'année prochaine. Par ailleurs pour lui, "c'est à l'Education nationale de trouver des moyens pour sécuriser les téléphones des élèves et pas aux Départements." Enfin, le "coût exorbitant" des pochettes (22,50 euros la pochette anti-ondes) ou des casiers rend selon lui impossible son financement par la collectivité territoriale.
De nombreux départements contre le financement des équipements de la pause numérique
Le conseil départemental d'Indre-et-Loire n'est pas le seul à refuser de financer les équipements pour mettre en œuvre "la pause numérique".
Selon Judicaël Osmond, En Centre-Val de Loire, trois autres départements s'y opposent : le Loir-et-Cher, le Cher et le Loiret et l'Indre-et-Loire. "Nous avons appelé tout le monde et pour le moment ce sont les trois qui nous ont répondu".
L'opposition dépasse les limites de la région Centre-Val de Loire. Ce lundi 2 septembre, l'association d’élus qui représente les Départements, Départements de France", s'est emparée du sujet et a annoncé qu'elle était aussi contre le financement de ces moyens-là.
Elle explique que le ministère de l'Education nationale estime le coût des casiers pour 450 élèves à plus de 10 000 euros. "Ce serait donc aux Départements, qui ont la charge du bâti scolaire, d’assumer ce coût qui pourrait s’élever à 125 640 000€ pour les 6 980 collèges de France. C’est quasiment le coût des oubliés du Ségur !", s'insurge le président de l'association, François Sauvadet.
Puis il revient sur le contexte de cette mesure : "Les Départements font face ces dernières années à une explosion des dépenses sociales dans un contexte de chute des droits de mutation, d’envolée des prix des matières premières, de revalorisations successives des AIS et du point d’indice des fonctionnaires, d’augmentation des précarités et de l’envolée des dépenses de protection de l’enfance. Tout cela se répercute sur nos capacités d’investissement et d’aide aux communes ", détaille le président de l'association, François Sauvadet. "Mais le Gouvernement préfère que l’on investisse dans des casiers."
Des solutions à trouver par les chefs d'établissements
Pour la direction académique d'Indre-et-Loire, il n'est pas question de commenter la décision du conseil départemental. "De toute façon, ça va être mis en place donc c'est au chef d'établissement de trouver des solutions de façon autonome avec son budget", rappelle le service communication du DASEN 37.
C'est ce qu'a fait le principal du collège la Béchellerie à Saint-Cyr-sur-Loire qui s'est porté candidat pour lancer l'expérimentation dès la rentrée. Il s'appuie sur la loi du 3 août 2018 et a prévenu les parents au cours de l'été par mail. "À partir du moment où ils entrent au collège, il faut que les élèves éteignent leur téléphone et le mettent dans leur sac. Par ailleurs, on renforce notre vigilance et les procédures disciplinaires si le téléphone est aperçu ou s'il sonne dans le collège", explique simplement Michel Levêque.
Empêcher les interférences et le harcèlement
Et depuis la rentrée, ça fonctionne plutôt bien et ça ne coûte rien. "En attendant que soit la collectivité change d'avis soit l'Etat trouve une autre solution, nous avons choisi la façon la plus efficace avec les moyens que nous avons. Les parents sont associés et convaincus de l'intérêt, le personnel aussi."
Ce chef d'établissement compte sur la pédagogie et des partenariats avec des intervenants sur la santé pour que les élèves intègrent cette habitude. L'objectif est de les protéger de toute interférence en classe et du harcèlement numérique.
Mais ce n'est pas si simple. "Le téléphone est le prolongement d'eux-mêmes, il y a de plus en plus sollicitations sur les portables et une addiction aux écrans se développe dès le plus jeune âge", conclut Michel Levêque. "C'est pourquoi nous avions besoin de renforcer la loi de 2018 pour que l'école redevienne un sanctuaire consacré aux apprentissages".
À voir si la pédagogie et la sanction suffiront. Selon la direction académique d'Indre-et-Loire, le second collège d'Indre-et-Loire qui devait se lancer dans l'expérimentation de "la pause numérique" est le collège Choiseul à Amboise. Contactée par téléphone, la direction nous a répondu qu'elle ne l'avait pas encore entamée.
À la rentrée 2024, 199 collèges en France se sont portés volontaires pour la mettre en place au cours de cette année scolaire, soit plus de 50 000 élèves concernés.
En Centre-Val de Loire, 11 collèges participent à l'expérimentation de "la pause numérique" :
(source : Académie Orléans-Tours)
- collège Marguerite-Audoux de Sancoins (18)
- collège Émile-Zola de Châteaudun (28)
- collège les Capucins de Châteauroux (36)
- collège la Béchellerie à Saint-Cyr-sur-Loire (37)
- collège Marie-Curie de Saint-Laurent-Nouan (41)
- collège Le Grand Clos de Montargis (45)
- collège du Chinchon de Montargis (45)
- collège Paul-Éluard de Chalette-sur-Loing (45)
- collège Pablo-Picasso de Chalette-sur-Loing (45)
- collège Alain-Fournier d’Orléans (45)
- collège Jean-Rostand d’Orléans (45)
À partir de janvier 2025, "la pause numérique" sera de toute façon généralisée à tous les établissements. Chacun devra trouver une solution selon ses moyens.