Depuis deux ans, le Centre-Val de Loire compte 18 établissements scolaires de moins. La faute à une démographie en baisse dans la majeure partie de la région, et à une politique de "concentration" des écoles, au désavantage de la ruralité.
La ruralité serait-elle en train de se vider de ses écoles ? En seulement deux ans, le Centre-Val de Loire a perdu pas moins de 18 établissements scolaires. Dans le Cher, à la rentrée 2024, 31 classes ont été fermées par l'Éducation nationale, principalement en zones rurales, comme à Orval, Sancoins et Saint-Germain-du-Puy. À l'inverse, 12 classes sont ouvertes, dont plusieurs à Bourges et à Vierzon.
"C'est du mépris pour les élus et les parents d'élèves", souffle Loïc Kervran. Le député Horizon de la 3e circonscription du Cher ne décolère pas. "On vide la ruralité de nos services publics", peste-t-il.
Après l'annonce de la nouvelle carte scolaire en début d'année 2024, des mobilisations ont été organisées un peu partout dans la région. En plus du Cher, des parents d'élèves sont mobilisés dans l'Indre-et-Loire où 67 fermetures de classes sont envisagées. Même rengaine dans le Loir-et-Cher où enseignants, syndicats et parents d'élèves ont manifesté après l'annonce d'un possible retrait de 24 postes.
Des fermetures dans la ruralité
"On est très inquiets pour l'avenir de nos enfants", s'agace Anne Petitjean Toison, la représentante des parents d'élèves de l'école Jules Ferry, à Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire). Elle s'oppose à la fermeture d'une classe dans l'établissement : "On va se retrouver avec des classes surchargées de 49m2 où l'on a déjà 26 élèves qui s'entassent", alerte-t-elle.
Loïc Kervran, lui, dénonce "une saignée" des zones rurales. Le 31 janvier, il s'est adressé directement à la ministre de l'Éducation nationale d'alors, Amélie Oudéa-Castera :
Est-ce qu'on veut garder un service public de l'Éducation nationale en proximité dans nos petites communes ou est-ce qu'on considère que l'école devient demain l'apanage des villes ?
Loïc Kervran, député du Cher
Les fermetures de classes, les plus récentes du moins, s'expliquent par une baisse du nombre d'enfants. À la rentrée 2022, l'académie d'Orléans-Tours comptait 441 770 élèves, contre 433 069 à la rentrée 2024. Soit une perte de 4 000 élèves par an, principalement en école maternelle et élémentaire.
Moins d'élèves, moins de postes de professeurs
Et qui dit moins d'élèves, dit moins de moyens et de postes envoyés dans l'académie par le ministère. Le rectorat doit alors, en regardant le nombre de professeurs à sa disposition, faire des choix. Et "repenser la répartition territoriale" des classes et des écoles, explique le recteur Jean-Philippe Agresti. En théorie, c'est fermer les quelques classes les moins fréquentées, et en ouvrir là où le besoin s'en fait sentir, en restant pile à l'équilibre des moyens alloués par l'Éducation nationale.
Cette année, "on perd moins d'emplois que d'élèves" proportionnellement, assure le recteur lors de sa conférence de presse de rentrée, vendredi 31 août. Ce qui n'empêche pas la baisse du nombre de classes. D'ailleurs, selon lui, "une école à classe unique avec quelques élèves, ce n'est bon pour personne".
À l'inverse, Bertrand Hauchecorne milite pour conserver des écoles dans les villages. "La proximité est un atout pour l'enfant, qui n'a pas de transports, avec un meilleur lien social dans le village."
Maire de Mareau-aux-Prés et référent en Centre-Val de Loire de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), il estime que "les communes rurales comportent un certain nombre de populations défavorisées qui ont besoin d'une attention particulière". L'élu dit avoir "plaidé" auprès du rectorat, à la fin du mois d'août, pour "profiter de la baisse de population pour maintenir le nombre d'enseignants et d'avoir des classes moins chargées".
Le référent dans la région de l'AMRF note d'ailleurs un problème d'attractivité de la ruralité quand les parents "n'ont pas de solution de proximité". Le serpent qui se mord la queue : la population s'en va, donc les écoles ferment, donc la population s'en va... "Maintenir une école est un facteur d'activité, sait Jean-Philippe Agresti. Mais il faut une politique derrière."
1 200 écoles fermées en Centre-Val de Loire depuis 1978
Le phénomène de fermetures d'écoles n'est pas nouveau. France 3 Centre-Val de Loire s'est plongée dans les données de l'Éducation nationale sur la fermeture des écoles primaires (maternelles et élémentaires) publiques dans la région. Et le constat est sans appel : depuis 1978, 1 213 écoles ont fermé leur porte alors que 311 nouveaux établissements ont été créés. L'immense majorité des écoles fermées l'ont été dans une zone rurale.
(En rose sur la carte ci-dessus, les 25 communes les plus peuplées du Centre-Val de Loire.)
"Rationaliser" l'éducation
Pour comprendre cette tendance, il faut faire un peu d'Histoire : "Durant la IIIe République, la logique c'était : une école par village", explique Malorie Ferrand, historienne de l’aménagement scolaire du territoire rattachée à l’université Lyon-II. "Mais à partir des années soixante et l'arrivée des cartes scolaires, il y a eu une logique de rationalisation et des fermetures de classes avec un seuil de 16 élèves au nom de la modernisation de l'école". Pour l'AMRF, cette rationalisation revient à faire "de la concentration" des classes dans les centres urbains.
Résultats, 17 000 écoles ont fermé en quarante ans dans l'hexagone, "alors que le nombre d'élèves reste globalement stable", précise l'historienne. En Centre-Val de Loire, cette tendance semble se confirmer. Le nombre d'enfants âgés de 0 à 10 ans est certes en baisse depuis 1978, mais la fermeture des établissements augmente plus rapidement.
Une tendance qui pourrait expliquer, en partie, qu'en 2022 la France présente la taille moyenne de classe la plus élevée à l'école élémentaire (22 élèves par classe) de toute l'Union européenne. À cela s'ajoute la crise des vocations au sein de l'Éducation nationale. Les enseignants manquent et les démissions ne cessent d'augmenter. Le nombre d'élèves par enseignants est donc également plus élevé dans l'hexagone que dans le reste des pays européens.
Une politique à l'envers ?
Or, on sait désormais que réduire le nombre d'enfants par classe peut être bénéfique pour les élèves. C'est d'ailleurs en ce sens qu'Emmanuel Macron, le président de la République, a mis en place le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones d'éducations prioritaires.
"On observe que les élèves des zones rurales ont de meilleurs résultats que les urbains, même si la tendance s'inverse à partir du collège", détaille Malorie Ferrand. Un constat que l'on retrouve parfois en Centre-Val de Loire. En 2022, l'Insee publiait une étude sur le retard scolaire dans les territoires touchés par la pauvreté. L'étude montre que les élèves des territoires ruraux s'en sortent plutôt bien par rapport à leurs camarades urbains.
Dès 1970, le discours politique a évolué. On a commencé à parler de lutter contre la désertification rurale. Mais dans les faits, la politique est restée sensiblement la même.
Malorie Ferrand, historienne de l’aménagement scolaire du territoire rattaché à l’université Lyon-II
Et pourtant, c'est bien le manque d'élèves et d'enseignants qui poussent l'Éducation nationale à fermer des classes et des établissements : "La question c'est : quelle mission on veut donner à l'école ? On pourrait faire le choix d'investir et de réduire les classes. Cela s'inscrit plus généralement sur la question de nos services publics", analyse l'historienne.
"L'approche numérique ne veut rien dire", dénonce de son côté Loïc Kervran. "Dans le Cher, nous avons 500 élèves manquants pour 1 000 classes. Ce n'est qu'un demi-élève par classe". Pour tenter de changer la donne, le député a déposé une proposition de loi pour "conditionner la fermeture d'une classe d'au moins 15 élèves à l'accord du conseil municipal" pour les communes de moins 2 000 habitants. "Ça obligera à créer de la concertation", veut-il espérer.