L'abbé Tartu, fondateur de la chorale des "Petits chanteurs de Touraine" a été reconnu coupable ce 29 novembre d'abus sexuels par un tribunal canonique. Cette nouveauté permet à l'Église catholique de statuer sur des faits prescrits et d'exclure des prêtres dangereux.
C'est l'épilogue d'une lutte interminable. Au lendemain de l'annonce de la condamnation d'un prêtre tourangeau par le tribunal pénal canonique à une interdiction perpétuelle d'exercer, en raison d'abus sexuels sur plusieurs enfants, les victimes ont exprimé leur "soulagement" ce vendredi 29 novembre.
"Cette condamnation est un pas immense pour les victimes et les familles, l'Église reconnaît enfin la souffrance des victimes", a déclaré lors d'une conférence de presse Christian Guéritauld, coordinateur du collectif des Voix Libérées, qui regroupe les victimes depuis décembre 2021.
Une vingtaine de victimes entre les années 1960 et 1980
Selon ce collectif, une vingtaine de personnes au moins s'étaient fait connaître comme victimes pour des faits commis entre les années 1960 et les années 1980.
L'abbé Bernard Tartu, qui avait fondé en 1954 la chorale des "Petits Chanteurs de Touraine", rattachée à la cathédrale de Tours, et par laquelle sont passés un millier de jeunes garçons jusqu'au début des années 2000, a "été reconnu coupable d'abus sexuels sur mineurs par le Tribunal pénal canonique national (TPCN)", avait indiqué la veille le diocèse de Tours dans un communiqué.
Cette nouvelle institution, fondée en 2021 pour traiter notamment les affaires d'abus sexuels, permet à l'Église de reconnaître la souffrance des victimes. Elle donne aussi la possibilité "d'obtenir des sanctions ecclésiastiques, même lorsque les délais de prescription ont expiré en justice civile", expliquait à France 3 Danto Ludovic, prêtre à Nantes et Doyen de la Faculté de Droit canonique de Paris.
Neuf personnes avaient saisi le TPCN, structure nouvelle dans le droit interne de l'Église catholique pour traiter notamment les affaires d'agressions sexuelles, et moins d'une dizaine avaient porté plainte, mais ces procédures avaient été prescrites.
"Il m'a traité de menteur"
Parmi la dizaine de victimes présentes ce 29 novembre, Christophe, qui n'a pas souhaité donner son nom. Comme les victimes présentes, son émotion était palpable. "Il m'a traité de menteur. Aujourd'hui, je ne suis plus un menteur. Il m'a violé, il m'a fait mal, il a fait mal à ma famille", a-t-il lancé au micro, en larmes, pour crier sa colère.
Gilles Martin, 67 ans, est le premier à avoir dénoncé l'abbé Tartu. Il s'est dit soulagé par cette décision: "C'est un réconfort. C'est l'aboutissement d'un combat depuis 2006". M. Martin a raconté vendredi ces "viols", qui ont "commencé en 1968" alors qu'il n'avait que onze ans.
"Il me faisait venir avant les autres le mercredi et le samedi pour les répétitions. Il me faisait déshabiller. Il m'a violé jusqu'en 1975", a-t-il livré. "Il a brisé ma vie, j'avais honte. J'ai sombré, je suis devenu alcoolique et dépressif."
Justice canonique
Condamné à une "interdiction perpétuelle de la célébration publique de tout acte liturgique et de tout sacrement", à l'exception du droit de célébrer la messe seul en privé, l'abbé Tartu est aussi frappé d'une "interdiction perpétuelle d'exercer tout ministère d'accompagnement spirituel de personnes mineures".
Une "assignation à domicile", a aussi été décidée, sans préciser les conditions d'applications de la mesure. "Sans prescription, il aurait été reconnu coupable et condamné à une peine d'emprisonnement", a de son côté estimé Catherine Champrenault, ancienne procureure et présidente de France victimes 37.
Pour l'archevêque d'Indre-et-Loire, Vincent Jordy, "c'est la fin d'un parcours". "Les plaignants doivent entendre qu'ils sont reconnus comme victimes", a-t-il indiqué en préambule de la conférence de presse. L'archevêque s'est entretenu avec l'abbé Tartu en 2020. Il l'a écarté et envoyé vers un diocèse voisin avec des mesures conservatoires strictes.
"En août 2022, je reçois l'abbé Tartu qui reconnaît les faits en se justifiant par des besoins pseudos médicaux. J'ai envoyé le dossier à Rome pour qu'il soit soumis à la justice canonique", a-t-il raconté.
"Comment expliquer que ce ne soit pas la peine maximale ?
Victime dans les années 80, Jean-Louis Audebrand s'est, quant à lui, dit déçu de la condamnation. "Comment le tribunal canonique justifie-t-il son jugement ? Comment expliquer que ce ne soit pas la peine maximale ?", a-t-il questionné.
"Quand un prêtre, est renvoyé de l'État clérical, il se retrouve dans la rue. Et s'il est un prédateur: qui va s'assurer qu'il ne repassera pas à l'acte, même à 89 ans ?", a justifié Mgr Jordy.
Un "projet de plaque commémorative est prévu à Tours et une rencontre entre les victimes et le pape est également envisagée", selon l'Inirr (Instance nationale indépendante de reconnaissance et réparation).