La révolution des traitements anticancéreux se fera peut-être à Tours

Une équipe de scientifiques tourangeaux participe à la concrétisation d'un projet fou : réussir à produire en laboratoire une molécule essentielle à certaines chimiothérapies, jusqu'ici uniquement synthétisée par une plante.

Peut-on encore se permettre de dépendre d'une fleur capricieuse pour produire des traitements anticancéreux ? C'est parce qu'ils répondent "Non" à cette question qu'une équipe de scientifiques tourangeaux avu ses travaux publiés dans la prestigieuse revue Nature le 31 août. Des travaux qui ouvrent la porte à la production en laboratoire de tels traitements, et peut-être même à l'arrivée d'une chaîne de production dans le Loiret dans quelques années.

L'équipe scientifique tourangelle se compose d'une dizaine de membres du laboratoire Biomolécules et Biotechnologies végétales (BBV) de l'université de Tours, augmentés de chercheurs recrutés selon leurs spécialités, venus du Portugal, d'Afrique du Sud ou encore d'Inde. À leur tête : Vincent Courdavault, maître de conférence à l'université de Tours. Sa spécialité : "la compréhension de la synthèse de la pervenche de Madagascar, depuis une quinzaine d'années", explique-t-il.

Le risque de la pénurie

La pervenche de Madagascar est la seule source actuelle permettant la production à portée pharmaceutique de la vinblastine, un composé chimique utilisé dans plusieurs chimiothérapies depuis une quarantaine d'années. Efficace notamment contre le lymphome de Hodgkin, ainsi que les cancers des testicules et des ovaires, la vinblastine est recensée sur la liste des "médicaments essentiels", établie par l'Organisation mondiale de la santé.

Sauf que "les problèmes de culture ou de fournisseurs peuvent provoquer des tensions sur le marché" de la vinblastine, détaille Vincent Courdavault, avec régulièrement "des problèmes assez conséquents d'approvisionnement". 

Objectif pour les scientifiques : réussir à produire de la vinblastine sans passer par la capricieuse pervenche de Madagascar. Dans cette optique, s'est formé en 2019 le projet international "H2020 MIAMI", qui synthétise le travail de plusieurs laboratoires spécialisés à travers le monde. Après avoir bénéficié de fonds de recherche de la région Centre-Val de Loire, le labo BBV s'est fait remarquer pour intégrer "Miami".

Au milieu du projet, le BBV de Tours s'occupe de l'identification des gènes de synthèse de la pervenche. Autrement dit, les morceaux du code génétique de la plante qui lui permettent de produire de la vinblastine. Ces bouts de code sont ensuite intégrés au code de levures de boulangerie, qui se mettent à produire à leur tour de la vinblastine. C'est ce qu'on appelle de la biosynthèse, soit la synthèse d'un composé chimique par un organisme. L'équipe tourangelle s'assure également que les levures "arrivent à fonctionner et à se développer normalement", même avec un code génétique altéré. 

Promesses d'avenir

Ce procédé peut paraître assez anodin, mais promet d'être une vraie révolution dans la production de traitements pharmaceutiques. À tel point que le laboratoire BBV s'est associé au groupe pharma Axyntis, basé à Pithiviers dans le Loiret. L'entreprise espère, dans quelques années, développer une unité de production de traitements via biosynthèse dans le Pithiverais. "C'est dans les cartons", assure Sébastien Rose, vice-président recherche et développement chez Axyntis. "On a la place pour le faire."

Car la crise Covid a mis en lumière la nécessité de produire des médicaments sur le sol français, de relocaliser. Y compris la production de vinblastine, hautement dépendante de la culture à grande échelle de pervenche en Inde. "Faire face aux pénuries, relocaliser, et se différencier de l'Asie, ça ne pourra passer que par des technologies innovantes", assure Sébastien Rose. Selon lui, la biosynthèse représente actuellement "20 à 30%" du budget recherche et développement d'Axyntis. 

Car l'étude du projet "Miami", parue dans Nature, ne se contente pas d'ouvrir la porte à une production industrielle de vinblastine. Elle jette aussi les bases de la synthèse de composés chimiques totalement inexistants dans la nature, des "molécules non-naturelles en apportant de nouveaux gènes" aux levures et en changeant, au cas par cas, "leurs spectres d'action biologique", explique Vincent Courdavault. En somme, la création pure et simple de composés aux propriétés nouvelles, dans la lutte contre le cancer, "mais aussi contre les syndromes neurodégénératifs, les addictions"

Le scientifique tourangeau assure que ces perspectives feront l'objet d'une future publication. 

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