L'Observatoire des inégalités, basé à Tours, a mis au point une extension au célèbre jeu de société Monopoly qui met en scène plusieurs nouvelles règles inspirées des données objectives sur la répartition des richesses et des discriminations.
Disons-nous les choses tout de suite : le Monopoly est un jeu notoirement irréaliste. L'idée de base reste quand même que n'importe qui, par son seul talent et un tout petit peu de chance, peut devenir rentier et envoyer son beau-frère en prison. Dans la réalité, la double déception est cruelle.
Pourtant le Monopoly, dès ses origines, était un jeu pédagogique, dont l'ancêtre The Landlord's game était censé illustrer les dérives du système des rentes immobilières. L'extension publiée le 6 janvier par l'Observatoire des inégalités, basé à Tours, n'est donc pas une trahison, loin de là. Dans sa "Boîte à outils des inégalités", l'Observatoire propose en effet de nouvelles règles, dont la plus importante est la distribution de fiches de personnages. Selon que vous commencez la partie riche ou pauvre, homme ou femme, valide ou handicapée, blanche ou non, l'expérience sera très différente.
Pas nés sous la même étoile
Par exemple, chaque joueur ou joueuse débute avec un patrimoine et un salaire différent, et les personnages sont répartis en trois catégories de revenus. Ceux de classe A commencent avec deux maisons, ceux de catégorie B avec une seule, et ceux de catégorie C avec rien du tout, et ne lancent qu'un seul dé pour représenter le cumul des inégalités. En outre, le salaire des femmes est, de manière réaliste, inférieur à celui des hommes, et les personnages handicapés soustraient deux points aux résultats de leurs lancers de dés, et ne peuvent utiliser les gares faute d'accessibilité aux PMR. En fonction de l'origine et de la couleur de peau de votre personnage, enfin, certaines propriétés lui resteront inaccessibles, et il ou elle devra affronter le contrôle de police au faciès.
L'idée, explique Constance Monnier, responsable du projet "Jeunesse pour l'égalité" est d'incarner des "caricatures de catégories sociales", sur la base des données objectives réunies par les sciences humaines. "On a fait en sorte de ne pas rester dans le constat fataliste : le fait d'avoir des personnages crée une distance, du recul, et suscite l'empathie." Le tout s'adresse à un public jeune, entre 11 et 20 ans, dans un cadre pédagogique.
Sans faire culpabiliser les uns, qui se verraient représenter en tant que privilégiés, ni enfermer les autres dans le fatalisme, puisque le jeu n'est qu'une partie de l'expérience de la Boîte à outils. Le jeu, qui ne représente que "25% environ du temps" consacré à l'atelier, s'accompagne d'un appareil critique et d'un rôle central d'animateur de débat pour expliquer et "objectiver" ces règles.
Comprendre les inégalités pour mieux les combattre
De fait, les concepteurs du jeu ont pris le parti de rester le plus proche possible de la réalité. "Chacune des règles est basée sur les données que nous possédons", explique Constance Monnier. La conception de la Boîte à outils, qui a mis trois ans, a été financée en partie par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) et se base à la fois sur les connaissances en sociologie et sur une volonté de "ne pas enfermer les jeunes dans un constat fataliste".
Premier jeu de son genre, le Monopoly des inégalités ne sera peut-être pas le dernier, car l'Observatoire réfléchit déjà à de nouvelles idées en direction des jeunes de 11 à 25 ans, dans le cadre de son projet "Jeunesse pour l'égalité". En 2022, l'Observatoire organise d'ailleurs sa 9e édition du "Prix jeunesse pour l'égalité", un concours de vidéos et d'affiches avec un thème d'actualité : "Si j'étais président(e)" Les inscriptions sont ouvertes jusqu'au 30 janvier.
Car l'objectif, à terme, est bien de changer les règles du jeu.