Le retour sur la procédure d'interdiction de l'herbicide S-métolachlore suscite de vives critiques. Le Ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, persiste et assume son choix au nom de la "souveraineté alimentaire", malgré les risques pour la biodiversité.
En visite ce lundi en Bourgogne, Marc Fesneau a réaffirmé : "Il n"y a pas de changement de trajectoire : la trajectoire est une réduction des phytosanitaires." Dans une tribune publiée sur son compte Twitter samedi 1er avril, le ministre a appelé à "changer de méthode pour avancer" et demandé à l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (Anses) de revenir sur sa décision de bannir l'herbicide S-métolachlore. Plusieurs élus socialistes et écologistes ont aussitôt déploré une atteinte inadmissible à l'indépendance de l'Anses.
L'eau de 3,4 millions de Français contaminée
Le 15 février dernier, celle-ci a lancé la procédure de retrait du marché de cet herbicide, l'un des plus utilisés en France, notamment sur le maïs, le soja et les tournesols. Autorisé depuis 2004, le S-métolachlore est venu remplacer l'atrazine et l'alachlore.
Cette molécule, après avoir été épandue, se dégrade et se transforme en "métabolites" qui migrent et persistent dans l'environnement. Lors du contrôle des eaux destinées à la consommation humaine, les métabolites du S-métolachlore sont très fréquemment détectés à des concentrations dépassant les normes de qualité.
L’eau de plus de 3,4 millions de Français est contaminée au-delà de la limite fixée par l’Europe, comme le montrent nos confrères de Franceinfo. En outre, ces substances ont une longue durée de vie : l'atrazine, interdite en 2001, est toujours détectée sous la forme de substance active ou de métabolite dans l'eau du robinet. L'Anses espérait donc restaurer la qualité des sols, des eaux souterraines et de surface en l'interdisant.
"Sans biodiversité, il n'y aura plus de cultures !"
Selon le député écologiste d'Indre-et-Loire Charles Fournier, "Cette réhabilitation est un recul, que le Ministre veut masquer en prétextant un changement de méthode au nom de la 'souveraineté alimentaire', et également, nous dit-il, pour éviter les distorsions de concurrence : on n'arrêtera pas son utilisation tant que les autres pays européens n'auront pas décidé la même chose."
A ce petit jeu, et comme toujours, c’est la biodiversité et la santé humaine qui vont continuer de trinquer. Il y a toujours une raison de ne pas faire", s'insurge l'élu. "Sans biodiversité, il n’y aura plus de cultures. C’est donc aussi un danger réel pour la production agricole."
Plutôt qu’être le phare dans la lutte contre l’effondrement de la biodiversité, la dégradation de la qualité des eaux, la perte de 64% des populations d’insectes et la diminution de moitié des espèces d’oiseaux, notre pays préfère s’aligner sur les moins-disants environnementaux.
Charles Fournier, député EELV d'Indre-et-Loire
Jérémie Godet, conseiller régional du groupe Ecologie et Solidarité, peste également contre l'avis gouvernemental : "C'est irresponsable de s'obstiner dans ce modèle agricole qui n'a plus d'avenir. Marc Fesneau choisit de faire perdurer ce système et de continuer à enterrer les agriculteurs. J'attends d'un ministre qu'il se donne les moyens et propose une transition pour la filière en France, non qu'il mette en danger les consommateurs."
"Se donner le temps"
Marc Fesneau estime de son côté qu'il n'y a aucune question immédiate de santé publique, et désire "se donner le temps de trouver des alternatives". Pourtant, selon Charles Fournier, celles-ci "existent déjà car il s’agit d’un herbicide majoritairement utilisé pour les grandes cultures. Le désherbage mécanique est possible. Il faut sortir de la logique du produire plus, à tout prix et moins cher. C’est dans ce changement de modèle que se situe le véritable enjeu de souveraineté alimentaire, associé à la préservation de la biodiversité et de la santé humaine."
Nier l'impact de ces produits reviendrait à encourager leur vente, estime le député. "A force de procrastination et de reculs, le ministre persiste à maintenir sous respiration artificielle un modèle industriel qui ne fonctionne plus et qui joue contre les agriculteurs et les consommateurs."
Le dossier suit également son cours entre les mains de la Commission Européenne, qui l'a inscrit à l'agenda du prochain Comité permanent pesticides, fin 2024.