C’est paraît-il dans le Val de Loire que l’on parle le français le plus pur, c'est-à-dire le français sans accent. Le parler local a servi de modèle pour poser les bases de la langue française. Aujourd’hui encore, de nombreux étrangers choisissent en priorité la Touraine pour apprendre le français.
En cette semaine de la langue française et de la francophonie, nous avons voulu en savoir plus sur une réputation qui colle à la peau du Val de Loire : celle d'y parler le meilleur français !
En 1539, François Ier déclare le français comme langue officielle en lieu et place du latin par l'ordonnance de Villers-Cotterêts. Il faut alors un modèle de la langue de référence. Quelques années auparavant, en 1530, quand John Palsgrave publie la première grammaire du français,
L'éclaircissement de la langue française, il décrit la langue qui se parle "entre Seine et Loire parce que c’est là que se parle le meilleur français."
Le Val de Loire, berceau du français le plus pur ?
La réputation de la pureté du français du Val de Loire remonte au XVIème siècle, quand les Rois de France séjournaient sur les bords de Loire. On était censé y parler le français le plus pur. La langue de la Cour ayant toujours été considérée comme un modèle. Le français parlé en vallée de la Loire devient le français du roi. La vallée de la Loire, loin des régions frontalières dont les parlers sont affectés par les accents étrangers est aussi le centre intellectuel et littéraire de la France. Les écrivains de la Pléiade sont quasi tous originaires du Val de Loire.
Rabelais écrit dans Pantagruel que la Touraine est le jardin naturel de la langue française. L'autorité a longtemps perduré puisqu’Alfred de Vigny souligne trois siècles plus tard le langage "pur" des Tourangeaux dans son roman Cinq-Mars.
Leur langage est le plus pur français, sans lenteur, sans vitesse, sans accent. Le berceau de la langue est là, près du berceau de la monarchie.
Alfred de Vigny
Il n’est pas question que le français de référence soit celui des campagnes. Et le français parisien de l’époque est perçu comme très populaire, avec un vilain accent. Le français parlé en Vallée de la Loire est le compromis, à la fois issu d’une culture urbaine qui n’est pas une culture populaire ni trop régionale comme en Bourgogne ou en Normandie.
Gabriel Bergounioux, professeur émérite des sciences du langage à l’Université d’Orléans nous explique : "Il fallait aussi une variété centrale du français. Les régions autour de Paris, au nord et à l’ouest, le picard et le normand sont des variétés dialectales très marquées. On dit le cien au lieu de dire le chien. La variété bourguignonne est caractérisée par un R très roulé. Dans les formes de type champenois, on trouve les formes de types moé, toé pour moi, toi."
Mais la façon dont le français était prononcé est devenue importante qu’au début du XIXème siècle : "pour des raisons d’unification politique forte. C’est la fin des provinces royales. Et surtout à la fin du XIXème, début XXème avec des moyens où le son est devenu reproductible."
Gabriel Bergounioux ajoute : "À partir du XVIIIème et XIXème siècle, le Val de Loire n'était une région industrielle, donc son parler n'était pas celui des ouvriers. On disait donc que les gens parlaient mieux ici et que nos campagnes gardaient cette forme effectivement assez neutre de français."
Le Val de Loire a été le premier à basculer dans ce qui est considéré aujourd'hui comme le français moderne.
Gabriel Bergounioux, professeur émérite des sciences du langage de l'Université d'Orléans
"Ce fut un processus de neutralisation. Il ne fallait pas que ça sonne comme une région particulière. C’est peut-être parce que la Touraine et l’Orléanais ne sont rien qu’elles ont eu le droit d’être représentatives du français. On peut considérer qu’il a eu ici un manque d’unité régionale et en même temps une unité régionale de la langue."
Tours, capitale du français sans accent
Aujourd’hui, la Touraine attire encore de nombreux étudiants étrangers qui souhaitent apprendre un français sans accent.
"La ville attendue serait Paris, mais je ne connais pas de ville moins française que Paris, entre les immigrés, les touristes, les étrangers qui habitent à Paris... Il est très difficile de rencontrer des francophones natifs à Paris. Alors qu’en Touraine, c’est beaucoup plus facile." explique Gabriel Bergounioux. "D’un aspect linguistique, c’est une variété de français qui n'a pas eu en deçà une sorte de patois. Il y a assez peu de tournures syntaxiques non standards dans ce parler-là, que l’on va retrouver au contraire dans d'autres régions qui, parce qu'elles ont un dialecte en deçà, ont fait des transpositions en masse sur le français. C'est aussi l’une des régions réputées pour avoir conservé un certain nombre des oppositions du français qui sont en cours de disparition. Par exemple, en Touraine, on fait encore la différence de prononciation entre jeûne et jeune."
Et aujourd’hui, les accents ont-ils tendance à disparaître ?
Le français est-il en passe de s'uniformiser ? Allons-nous vers une disparition des accents régionaux et une homogénéisation des prononciations ? Selon Gabriel Bergounioux, les accents ont tendance à s’atténuer : "Mais ce qui est très frappant, on a une transposition d’accents qui étaient sur des lieux à des accents qui sont dans la société. Les prononciations à l’intérieur des mêmes territoires selon la classe sociale sont de plus en plus marquées aujourd’hui alors qu'il y a quelques années, on notait une atténuation grâce à l’effet de l’école."
La semaine de la langue française et de la francophonie, c'est jusqu'au 24 mars 2024.